Administration générale de la justice

Le pouvoir judiciaire faisant partie de la souveraineté, le peuple n’en abdiqua jamais entièrement l’exercice. Mais, plus que tout autre, ce pouvoir dût être délégué, et réparti entre un grand nombre de fonctionnaires, à cause de la multitude et de l’infinie variété de ses applications.

Toutefois, dans l’origine de l’Etat romain, le peuple avait la prétention de l’exercer seul, et jusqu’à la fin de la république, il se réserva, pour certains cas, le droit de juger.

Il y a même une distinction très importante à faire entre le civil et le criminel, si l’on veut comprendre la répartition et l’exercice des pouvoirs judiciaires à Rome.

Au civil, les magistrats, quels qu’ils fussent, bien que choisis par le peuple, ou au nom du peuple, jugeaient dans toute la plénitude du droit souverain. Remise complète de l’autorité populaire leur était faite : le peuple n’avait plus à la revendiquer.

Au criminel, les magistrats n’étaient que les représentants du peuple, ses commissaires, délégués parce qu’il ne pouvait pas juger lui-même. L’appel au juge souverain était toujours possible.

C’est ce qui explique pourquoi le préteur pouvait se faire remplacer dans les causes civiles, pourquoi il ne le pouvait pas dans les causes criminelles. Dans ces dernières, lui-même n’était qu’un remplaçant.

La magistrature romaine n’était pas un corps, mais une sorte de grand jury, organisé presque entièrement sur les mêmes bases que le nôtre.

A la tête de l’administration judiciaire, était le préteur, espèce de grand juge, chargé de l’organisation et de la surveillance des tribunaux. Ses fonctions étaient annuelles, comme toutes les autres.

Malgré le nombre des préteurs qui s’accrut successivement, comme nous l’avons dit en parlant de cette dignité, le préteur de la ville (proetor urbanus) resta toujours le chef de la justice: les autres, destinés aux provinces, lui étaient subordonnés pendant l’année qu’ils passaient d’abord à Rome; et le préteur des étrangers (proetor peregrinus) se renfermait dans sa spécialité.

Le préteur, en prenant possession de sa charge, dressait le rôle des juges pour l’année. Il se réglait dans ce rôle sur la quotité du cens (ex amplissimo censu).

Dans l’origine, les sénateurs seuls étaient portés sur ce rôle, et formaient les tribunaux. Mais cet état de choses ne pouvait pas durer. Nous voyons même que de fort bonne heure, pour les causes civiles, on composa les tribunaux de membres choisis dans le sénat, les chevaliers et le peuple.

Mais là n’était pas la question politique : c’était sur la composition des tribunaux criminels que devaient se porter les prétentions démocratiques, car c’était là qu’il s’agissait d’examiner la conduite des magistrats.

Caïus Gracchus, en 630 de Rome (123 av. J.C.), enleva aux sénateurs et fit transporter aux chevaliers le privilège de former ces tribunaux. Sylla le retira aux chevaliers et le rendit au sénat. Nous venons de dire que le préteur dressait lui-même le rôle; en 664 de Rome (89 av. J.C.), la loi Plotia ordonna que les juges seraient nommés par le peuple, et que chaque tribu en élirait un certain nombre.

En 683 de Rome (70 av. J.C.), la loi d’Aurélius Cotta exigea qu’ils fussent pris indistinctement parmi les patriciens et les plébéiens, et nommés dans les comices par tribus. Pompée les fit élire dans les comices par centuries1. Mais n’oublions pas qu’il ne s’agissait que des tribunaux criminels.

Le préteur contiua toujours à composer, comme il l’entendait, les tribunaux civils, et même il paraît qu’il avait conservé, pour le criminel, le choix d’un certain nombre de juges, qu’on appela judices selecti, juges choisis.

Il faisait le serment de ne choisir que les hommes les plus honorables (optimum quemque).

Il classait ensuite tous ces juges par décuries. Ces décuries ne représentaient autre chose que des catégories, parmi lesquelles on tirait au sort les juges de chaque tribunal ou de chaque cause.

Nous dirons, dans les chapitres suivants, comment ces juges se divisaient entre les divers tribunaux criminels ou civils, et quel était le mode d’exercice de leurs fonctions.

Nous remarquerons seulement ici en général, qu’ils siégeaient plutôt comme jurés que comme juges, et que ces fonctions, comme celles de notre jury, étaient fort onéreuses; car nous voyons souvent des peines portées contre ceux qui se dispensaient de les remplir.

1. On s’appuya sur la loi des Douze Tables qui voulait que le peuple, quand il nommait des commissaires, ne pouvant pas juger lui-même, les nommât dans les grands comices.