Aratus, Agis et Cléomène (271-213 av. J.C.)

Les tyrans (301-251 av. J.C.)

Après la bataille d’Ipsus (Ipsos), la Grèce se trouva séparée de l’Asie; et, par suite des troubles qui agitèrent la Macédoine pendant trente années, elle fut abandonnée à elle-même. Mais la domination étrangère, en se retirant, laissa derrière elle, comme un limon impur, des tyrans dans chaque ville. Entourés de soldats mercenaires, ces hommes tenaient les citoyens sous la terreur et arrachaient à leur lâcheté l’or qui servait à sceller leurs fers. Un homme entreprit de renverser ces dominations détestables, ce fut Aratus (Aratos).

Aratus (Aratos) (271-251 av. J.C.)

Son père, citoyen distingué de Sicyone, avait été tué par le tyran de cette ville, et lui-même, âgé seulement de sept années, avait été sauvé à grande peine. On l’avait conduit à Argos, où les hôtes et les amis de son père l’avaient reçu. ll y passa treize années, goûtant peu les philosophes, mais fort assidu aux exercices du gymnase, où il excella. Sa taille, son corps étaient athlétiques. Mais l’athlète était aussi un prudent et avisé personnage, se plaisant, en politique comme à la guerre, aux embuscades, aux surprises; craignant le grand jour, les décisions rapides; brave soldat et médiocre général; bon citoyen, car il consacra sa vie à son pays et le servit bien; peut-être mauvais politique, puisqu’il prépara son asservissement à l’étranger.

Aratus veut affranchir Sicyone (251 av. J.C.)

De bonne heure, Aratus médita l’affranchissement de sa patrie. Quand toutes ses mesures eurent été prises, il arriva que le tyran Nicociès, qui régnait alors à Sicyone, eut vent du complot et envoya à Argos des espions déguisés. Aratus, informé qu’ils étaient dans la ville, fit enlever à grand bruit, au marché, les mets délicats, les parfums, et louer des joueurs de flûtes. Il organisa chez lui une fête. Les espions revinrent à Sicyone, riant de la crédulité soupçonneuse du tyran. Ils n’avaient pas encore rendu compte de leur mission qu’Aratus partait d’Argos, et rejoignait des soldats qui l’attendaient à la tour de Polygnote. Il les conduit à Nénée, leur découvre son projet, excite leur courage, et les mène droit à Sicyone, réglant sa marche sur celle de la lune, pour n’arriver aux murailles qu’après qu’elle serait couchée.

Aratus entre dans Sicyone par surprise (251 av. J.C.)

Un Sicyonien échappé des prisons de Nicoclès l’avait instruit que, en un endroit, le mur était peu élevé, et que sa crête était de plain-pied avec l’intérieur de la ville. Mais de ce côté se trouvait la maison d’un jardinier, que des chiens vigilants gardaient. Un des siens, qu’il envoya pour s’en saisir, n’y réussit pas, et cet accident décourageait sa troupe; mais il promit de renoncer à l’entreprise, si les chiens devenaient trop importuns. Ils continuèrent d’avancer, précédés de ceux qui portaient les échelles; quand ils les appliquèrent aux murailles, les chiens aboyèrent avec force. Un autre danger survint. Les premiers montaient déjà, lorsque l’officier qui devait être relevé le matin passa au-dessus de leurs têtes, avec une clochette et beaucoup de torches allumées, suivi de soldats qui faisaient un grand bruit; les assaillants se tapirent comme ils étaient sur leurs échelles, et on ne les aperçut pas. La garde du matin, qui venait relever celle de la nuit, passa de même sans les voir. Aussitôt ils escaladèrent la muraille, se saisirent des deux côtés du chemin, et envoyèrent presser la marche d’Aratus.

Il y avait peu de distance du jardin à la muraille et à la tour, où un grand chien de chasse faisait le guet. Cet animal n’avait pas reconnu l’approche des conjurés; mais les chiens du jardinier l’ayant comme provoqué, en aboyant d’en bas, il répondit par un aboiement sourd; et quand les premiers qui avaient franchi le mur passèrent devant la tour, il aboya de toute sa force. La sentinelle demanda au veneur, à haute voix, après que son chien aboyait avec tant de fureur, et s’il n’y avait pas quelque chose de nouveau. Le veneur répondit que c’étaient les torches des gardes et le son de la clochette qui avaient irrité son chien. Cette réponse encouragea les soldats d’Aratus; ils ne doutèrent pas que le veneur, d’intelligence avec leur chef, n’eût voulu les cacher, et qu’un grand nombre d’habitants ne favorisât leur entreprise.

Quand toute la troupe voulut monter, ils coururent un nouveau danger: les échelles pliaient; il fallut aller lentement les uns après les autres. Cependant l’heure pressait; déjà les coqs chantaient, et on allait voir arriver les gens de la campagne portant leurs provisions au marché. Aussi, dès qu’il y eut quarante soldats sur le mur, Aratus monta à son tour; il attendit encore quelques-uns de ceux qui étaient en bas, et marcha avec eux sans délai au palais du tyran, dont les gardes passaient la nuit sous les armes; il les chargea brusquement, les prit tous, sans en tuer un seul, et envoya sur-le-champ presser ses amis de venir le joindre. Ils arrivèrent de tous côtés, comme le jour commençait à paraître, et bientôt le théâtre fut rempli d’une multitude considérable qui ne savait encore rien de certain sur ce qui s’était passé; mais un héraut s’avança au milieu de la foule, et cria qu’Aratus, fils de Clinias, appelait les citoyens à la liberté. Ne doutant plus alors de l’événement qu’ils attendaient depuis si longtemps, ils coururent au palais du tyran, qui se sauva par un souterrain, et y mirent le feu.

Il n’y avait pas eu, dans toute l’affaire, un seul homme tué ou blessé. Aratus rappela ceux qui avaient été bannis par Nicoclès, au nombre de 580, et ceux qui l’avaient été par les autres tyrans; ceux-ci n’étaient pas moins de 500; ils avaient erré loin de leur patrie pendant près de 50 ans; ils revinrent la plupart dans une extrême misère, et se remirent en possession de leurs maisons, de leurs terres et de tous les biens qu’ils possédaient avant leur exil.

Sicyone agrégée à la ligue achéenne (245 av. J.C.)

Sicyone délivrée avait besoin de trouver des alliés, car le roi de Macédoine, déjà maître d’Athènes et de Corinthe, avait bonne envie de mettre aussi la main sur elle. Aratus l’agrégea à la ligue achéenne que douze petites villes de l’Achaïe avaient formée pour leur défense mutuelle. Cette ligue reposait sur des principes équitables. Ses affaires étaient réglées par une assemblée générale à laquelle avaient droit d’assister tous les citoyens âgés de trente ans au moins. Mais on y prenait les voix par cité, non par tête, de sorte qu’une ville ne pouvait pas opprimer les autres. Le magistrat suprême était un stratège qu’on élisait chaque année. Tous les membres de la ligue avaient mêmes lois, mêmes poids, mêmes mesures, même monnaie, mêmes magistrats. C’était la réalisation d’un état social que la Grèce n’était jamais parvenue à organiser, car Athènes, Sparte, Thèbes, qui tour à tour avaient rallié autour d’elles une grande partie des cités helléniques, les avaient toujours traitées en sujettes, non en alliées. La ligue achéenne pouvait donc devenir le salut de la Grèce. Qu’elle s’étende, qu’elle enveloppe toutes les cités du Péloponnèse et de la Grèce centrale, et les forces des Grecs, réunies comme en un faisceau, ne pourront être brisées. Ce fut le plan qu’Aratus se proposa.

Progrès de la ligue achéenne (245-213 av. J.C.)

Mais Aratus avait bien des choses à faire pour réussir : abattre les tyrans, contenir la Macédoine, qui sous son nouveau roi Antigone Gonatas était redevenue ambitieuse et forte, enfin amener les Etoliens, peuple de pillards, à vivre en paix avec la ligue achéenne. Pour le premier point, il réussit à peu près. Il chassa les tyrans d’Argos, de Mégalopolis, d’Hermione, de Phlionte, et il unit à la ligue Mégare, Trézène, Epidaure. Il réussit également pour le second, les Macédoniens ayant été empêchés par les troubles qui les agitaient d’entraver ses desseins. Il surprit l’Acrocorinthe (243 av. J.C.), rendit aux Corinthiens les clefs de leur citadelle, qu’ils n’avaient pas eues depuis Philippe, père d’Alexandre, et gagna l’alliance d’Athènes qui chassa sa garnison macédonienne. Les Etoliens eux-mêmes semblèrent un moment disposés à faire avec les Achéens une bonne amitié; mais, quand les dangers disparaissaient au nord, on en vit d’autres naître au midi.

Ruine de la constitution de Lycurgue (730-245 av. J.C.)

A Sparte, la constitution de Lycurgue n’était depuis bien longtemps qu’un souvenir. L’Etat était tombé dans la plus complète désorganisation. Au lieu de l’égalité de fortune que Lycurgue avait établie, on trouvait un très petit nombre de riches et une foule de pauvres, que leur pauvreté même privait du titre de citoyen, puisqu’un Spartiate perdait ses droits du jour où il ne pouvait plus subvenir aux frais des tables communes. Aussi, sur 700 Spartiates qui existaient encore au temps où nous sommes parvenus, cent à peine possédaient de la terre. Sparte n’était donc plus Sparte, mais une ville comme beaucoup d’autres, molle, oisive et corrompue, mélange odieux d’extrême richesse et d’extrême misère.

Réforme d’Agis (244 av. J.C.)

Le spectacle de cette dépravation frappa vivement l’esprit d’un jeune homme, Agis IV, qui était devenu roi en 244 av. J.C., à l’âge de 20 ans. Il résolut de régénérer Sparte, et estima qu’il n’y avait pour cela rien de mieux à faire que de ramener cette ville, par une révolution, aux institutions et aux moeurs du temps de Lycurgue. Il fallait commencer par refaire le partage des terres : c’était rencontrer, dès le premier pas, la question la plus périlleuse, car il s’agissait de déposséder les riches au profit des pauvres. La plupart des riches, les vieillards habitués au luxe et ennemis de toute innovation, les femmes effrayées au souvenir seul de la vie sévère que leur imposait Lycurgue, formaient le parti opposé à la réforme. A la tête de ce parti se plaçait le roi Léonidas, collègue d’Agis, qui avait passé une partie de sa vie dans les cours asiatiques, et avait enseigné à ses concitoyens de nouvelles délicatesses. Pour Agis étaient les pauvres, les ambitieux, mais aussi, en général, les jeunes gens et tous les coeurs généreux qui voulaient le bien de la patrie et que tentait la vertu. Il gagna a ses idées sa mère Agésistrate et son aieule Archidamie, les deux femmes les plus riches de la ville. Lui-même, élevé par elles dans le luxe, possédait de vastes propriétés et un trésor de 600 talents. Il renonça à ses habitudes, prit le vêtement sévère des anciens Spartiates, et déclara qu’il mettait ses biens en commun. Sa mère et son aïeule s’associèrent à ce noble esprit de sacrifice.

La mort d’Agis (241 av. J.C.)

Mais les riches ruinèrent la popularité du jeune roi durant une absence qu’il fut obligé de faire. Quand il revint, ses ennemis étaient triomphants, et il n’eut que le temps de se réfugier dans un temple. Attiré traitreusement hors du sanctuaire, il fut traduit devant un tribunal exceptionnel, et se fit condamner à mort en refusant de désavouer sa généreuse tentative. Trainé en prison, il y fut étranglé et l’on fit subir le même supplice, sur son cadavre, à sa mère et à son aieule.

Cléomène (230 av. J.C.)

Agis eut un vengeur, le fils même de son principal ennemi, le jeune et ardent Cléomène. Averti par le sort d’Agis, Cléomène résolut, avant d’agir, de se former une armée sur laquelle il pût compter pour ses desseins ultérieurs. Mais cette guerre glorieuse dont Cléomène avait besoin, il ne pouvait la trouver que dans une tentative pour rendre à Lacédémone son ancienne suprématie dans le Péloponnèse. Or, cette tentative le conduisait forcément à une lutte contre la ligue achéenne. C’était cette rivalité qui allait détruire la dernière espérance de la Grèce. La guerre éclata en 227 av. J.C. : Cléomène battit trois fois ses adversaires, et, fort de ses succès, revint à Sparte accomplir la révolution. Il remit en vigueur l’antique discipline, l’éducation, les repas publics, appela les habitants des pays voisins, leur distribua des terres et fit espérer à tous les pauvres du Péloponnèse une semblable révolution.

Aratus, effrayé, appela alors la Macédoine au secours de la ligue. Antigone Doson accourut avec 29000 soldats; Cléomène en avait 20000. Le choc eut lieu à Sellasie. La dernière armée de Sparte y fut détruite après une belle résistance (221 av. J.C.).

Mort de Cléomène (219 av. J.C.)

Cléomène quitta le Péloponnèse, espérant trouver en Egypte des secours pour recommencer la guerre. Il y trouva une fin qui fut plutôt celle d’un aventurier que d’un roi. Bien reçu d’abord du roi Ptolémée Evergète, il devint suspect à Philopator son successeur qui le fit enfermer dans une maison isolée avec treize de ses amis. Fatigués de cette captivité, ils sortirent un jour l’épée à la main et se répandirent dans les rues d’Alexandrie en appelant le peuple à la liberté. La foule les écoutait sans les comprendre; bientôt ils furent enveloppés et pour n’être pas pris vivants se tuèrent le uns les autres.

Mort d’Aratus (213 av. J.C.)

Aratus ne survécu à son rival que peu d’années et mourut le coeur brisé, l’âme pleine de sinistres pressentiments. Pour résister à Sparte qui voulait redevenir conquérante, il avait appelé les Macédoniens dans le Péloponnèse et ceux-ci y occupant les deux fortes positions de l’Acrocorinthe et d’lthome, tenaient, comme ils disaient, le boeuf par les deux cornes. Ainsi d’un péril on était tombé dans l’autre. La ligue achéenne ne trouvait pas plus de liberté sous le roi Philippe III, le successeur d’Antigone Doson, qu’elle n’en aurait eu sous Cléomène. Aratus lui-même, d’abord bien accueilli du prince, parut importun. Philippe, à en croire un récit heureusement peu certain, songea à se défaire de lui. N’osant, dit-on, frapper ouvertement ce vieillard respecté, il chargea un de ses officiers de lui donner un poison lent. « Aratus s’aperçut qu’il était empoisonné; mais il n’eût servi à rien de se plaindre, il supporta patiemment son mal, comme si c’eût été une maladie ordinaire. Un jour seulement qu’un de ses amis s’étonnait de lui voir cracher du sang : Mon cher Céphalon, lui dit-il, voilà le fruit de l’amitié des rois ».