Athènes de Codrus à Pisistrate (1045-490 av. J.C.)

Population mêlée de l’Attique

On a vu qu’à l’époque du retour des Héraclides, plusieurs tribus chassées du Péloponnèse se réfugièrent dans l’Attique où étaient déjà venus s’établir des hommes de plusieurs contrées. Il en résulta que la population d’Athènes fut plus mêlée que celle de Sparte; ou du moins, tandis que, dans la Laconie, les populations étaient restées superposées l’une à l’autre, les vainqueurs dominant les vaincus, dans l’Attique elles s’étaient mélangées. Aussi ne trouvons-nous pas à Athènes ce classement rigoureux qui faisait vivre en Laconie face à face trois peuples ennemis.

L’archontat (1045 av. J.C.)

Lorsque Codrus se fut immolé pour son peuple, les Athéniens déclarèrent que nul n’était digne après lui de porter le sceptre, et ils abolirent la royauté (1045 av. J.C.). Au lieu d’un roi héréditaire, il n’y eut plus qu’un archonte élu. Cette charge d’abord à vie fut rendue décennale en 752 av. J.C., annuelle en 683 av. J.C. et partagée alors entre neuf magistrats ou archontes.

Dracon et Cylon (624-612 av. J.C.)

Ce gouvernement divisé ne sut pas prévenir ou réprimer les troubles. Un législateur qu’on nomma, Dracon, fit des lois si sévères qu’elles furent inapplicables (624 av. J.C.). Les désordres continuèrent. Un ambitieux, Cylon, en profita pour essayer de saisir le pouvoir (612 av. J.C.). Il s’empara de la citadelle, mais y fut aussitôt assiégé par le peuple entier. Quand les vivres et l’eau manquèrent, Cylon parvint à s’évader, les autres s’assirent, en suppliants, près de l’autel de Minerve. L’archonte Mégaclès, pour les attirer hors de la protection de la déesse, leur persuada de se présenter en jugement; et, comme ils craignaient de perdre le droit d’asile, il leur conseilla d’attacher à la statue de Minerve un fil qu’ils tiendraient à la main. Lorsqu’ils furent près de l’autel des Euménides, le fil se rompit. Suivant Mégaclès, cet accident prouvait que la déesse leur refusait sa protection. On lapida ceux qui furent pris hors du temple, et ceux qui s’y étaient sauvés furent massacrés auprès des autels. Quelques-uns seulement échappèrent par l’intercession des femmes des archontes.

Epiménide (595 av. J.C.)

Une peste qui survint peu de temps après parut une vengeance des divinités, dont on avait violé le sanctuaire. Un homme vénéré, le sage Epiménide, appelé de Crête, fit des sacrifices expiatoires. Il coûte à dire que ce sage exigea le sacrifice d’une victime humaine. On en trouva deux, Cratinos et Aristodèmos, deux jeunes Athéniens liés d’une étroite amitié qui s’offrirent au couteau sacré pour le salut de la patrie. Quand Epiménide se disposa à regagner la Crète, on voulut le combler de présents; il n’emporte qu’une branche de l’olivier de Minerve et il conseilla aux Athéniens d’écouter les avis d’un d’entre eux, Solon.

Solon (640-558 av. J.C.)

Il descendait de Codrus, ce qui ne l’avait pas empêché de se livrer au commerce pour réparer les brèches faites à son patrimoine. Il avait beaucoup voyagé, beaucoup appris et passait pour un sage. Il était poëte aussi, et, même à ce titre, il servit bien sa patrie. Les Athéniens, après plusieurs défaites essuyées en voulant reprendre Salamine sur les Mégariens, avaient, par une loi, prononcé la peine de mort contre celui qui parlerait d’attaquer de nouveau l’île fatale. Solon contredit l’insensé et joua quelque temps ce rôle. Un jour il sort sur la place publique, l’air égaré, et déclame à haute voix des vers qui commençaient ainsi : « J’arrive en héraut de la belle Salamine et je vais vous redire les vers harmonieux qu’Apollon m’a dictés ». On l’écouta, c’était un fou. Mais il arriva que lorsqu’il eut fini, toute la multitude était folle avec lui. Il ne fut plus question de la loi, le peuple courut s’armer, mit le poëte à sa tête et reprit Salamine. En 595 av. J.C., on lui confia le soin de réformer les lois.

Ses lois (594-593 av. J.C.)

Pour soulager les pauvres, il diminua le taux de l’intérêt, décréta que les biens du débiteur et non plus sa personne répondraient de sa dette; en conséquence, il fit mettre en liberté tous ceux qui étaient devenus esclaves pour dettes.

Ensuite il partagea le peuple en quatre classes, d’après la fortune, la quatrième renfermant ceux qui avaient peu de chose ou qui n’avaient rien. Celle-ci fut exempte d’impôts, mais les citoyens des trois premières purent seuls remplir les fonctions publiques.

Un sénat de 400 membres désignés chaque année par le sort proposait les lois que l’assemblée du peuple acceptait ou rejetait et que les 9 archontes faisaient exécuter. L’aréopage composé d’archontes sortis de charge, était le tribunal suprême. Les autres cours de justice étaient formées, comme le jury chez nous, par des citoyens que le sort désignait, mais qui étaient en nombre très considérable.

Caractère humain de ces lois (594-593 av. J.C.)

Solon ne brisa pas comme Lycurgue les liens de la famille. A Sparte il n’y avait vraiment que des hommes qui étaient citoyens et d’autres qui allaient le devenir. A Athènes il y eut des pères, des époux, des fils ayant les sentiments et remplissant les devoirs que la nature impose dans ces trois états. Le travail proscrit à Lacédémone, devint à Athènes une obligation. Chaque citoyen devait pratiquer un métier. Les étrangers furent bien accueillis, et l’esclave maltraité par son maître put exiger d’être vendu, dans l’espoir de passer sous une autorité moins dure.

Pisistrate (561-527 av. J.C.)

Après avoir donné ses lois, Solon s’éloigna pour les mieux laisser agir; mais en son absence, Pisistrate se rendit le favori du peuple, et, sans abolir la constitution de Solon, exerça dans la ville une autorité supérieure à celle des magistrats. Un jour on le voit accourir tout sanglant sur la place publique. Il s’était fait lui-même ces légères blessures; mais il s’écrie : « Ce sont les ennemis du peuple qui ont voulu m’assassiner », et la foule lui vote aussitôt des gardes avec lesquels il s’empare de la citadelle. Plusieurs fois chassé par des rivaux, il revint toujours, grâce à l’affection du peuple, et de 538 à 528 av. J.C. garda le pouvoir sans contestation.

Son gouvernement (561-527 av. J.C.)

Sa tyrannie, au reste, fut douce, sans violence, amie des lettres et des arts. Il commença quelques-uns des monuments qui devaient embellir Athènes, fonda la première bibliothèque publique qu’on ait vue en Grèce et fit ce que nous appellerions une première édition des oeuvres d’Homère. L’Illiade et l’odyssée n’avaient été jusqu’alors conservées que par les rapsodes qui parcouraient la Grèce et les îles en chantant divers morceaux de ces poèmes. Pisistrate fit réunir tous ces fragments et décréta qu’ils seraient récités à la fête nationale des grandes Panathénées qui revenait tous les cinq ans.

Les fils de Pisistrate (521-510 av. J.C.)

Ses deux fils, Hipparque et Hippias, lui succédèrent (527 av. J.C.) et gouvernèrent comme leur père jusqu’en 514 av. J.C.; mais à cette époque Harmodios et Aristogiton, qui voulaient se venger d’une injure personnelle, formèrent avec d’autres ennemis des Pisistratides le complot de les assassiner, et attendirent, pour l’exécution de leur dessein, la fête des grandes Panathénées, le seul jour où les citoyens se réunissaient en armes. Ce jour arrivé, Hippias, avec ses gardes, rangea le cortège dans le Céramique, hors de la ville; déjà avançaient pour le frapper Harmodios et Aristogiton, armés de poignards qu’ils tenaient cachés sous des branches de myrte, quand ils virent un des conjurés s’entretenir familièrement avec lui. Ils se crurent dénoncés et rentrèrent précipitamment dans la ville où, rencontrant Hipparque, ils le frappèrent à mort. Aristogiton parvint d’abord à se soustraire aux gardes, mais bientôt il fut pris; Harmodios avait été tué sur-le-champ. Quand cette nouvelle eut été annoncée en secret à Hippias, il n’en laissa rien paraître, et commanda tranquillement aux citoyens qui l’entouraient de gagner, sans armes, un endroit qu’il leur montra. Ils s’y rendirent dans l’idée qu’il avait quelque chose à leur communiquer. Alors, donnant ordre à ses gardes de soustraire les armes, il choisit et fit arrêter ceux qu’il soupçonnait et tous ceux sur qui l’on trouva des poignards (514 av. J.C.).

Aristogiton, suivant des récits postérieurs, avant d’être mis à mort, fut appliqué à la torture: il dénonça les plus chers amis d’Hippias, qui les fit égorger aussitôt. « Et qui encore? » demandait le tyran. « Il n’y a plus que toi », reprit l’Athénien, « dont je voudrais la mort; au moins je t’aurai fait tuer ceux que tu aimais le plus ». Les Athéniens, pour ennoblir ce premier jour de leur liberté, racontaient encore que Lééna, une amie d’Aristogiton, avait été comme lui torturée, que de crainte de céder à la douleur et de trahir involontairement un de ses complices, elle s’était coupé la langue avec les dents et l’avait crachée au visage du tyran. Après la chute des Pisistratides, les Athéniens représenteront Lééna sous la forme d’une lionne, sans langue; ils élevèrent aussi des statues aux deux amis, et dans les fêtes, dans les festins, ils chantaient: « Je porterai l’épée dans le rameau de myrte, comme firent Harmodios et Aristogiton, quand ils tuèrent le tyran et qu’ils établirent dans Athènes l’égalité ».

« Très cher Harmodios, tu n’es point mort; sans doute tu vis dans les îles des bienheureux, là où se trouvent, dit-on, Achille aux pieds rapides, et Diomède, fils de Tydée.

Dans le rameau de myrte, je porterai l’épée, comme Harmodios et Aristogiton, lorsqu’aux fêtes de Minerve ils tuèrent le tyran Hipparque. »

Nous devons, pour expliquer ces honneurs rendus à des meurtriers, remarquer que chez les anciens Grecs, comme à Rome, on n’estimait pas que ce fût un crime de tuer l’homme qui usurpait le pouvoir dans une cité libre.

Tyrannie d’Hippias (510 av. J.C.)

De ce jour, Hippias devint un tyran cruel. La puissante famille des Alcméonides, qui s’était enfuie d’Athènes, crut l’occasion favorable pour renverser le dernier des Pisistratides. Ils subornèrent la pythie de Delphes, qui décida les Spartiates à les soutenir. Aidés d’une armée dorienne, ils rentrèrent en effet dans Athènes et réduisirent Hippias à s’enfuir chez les Perses (510 av. J.C.).

Les Alcméonides (632-490 av. J.C.)

Cette famille qui venait de délivrer Athènes était une des plus anciennes et des plus considérées de la ville; elle prétendait descendre d’Ajax, Hérodote raconte qu’un d’entre eux, Alcméon, ayant rendu plusieurs services à des ambassadeurs que Crésus, roi de Lydie, avait envoyés en Grèce pour consulter l’oracle de Delphes, fut mandé à Sardes par ce prince. Lorsqu’il fut arrivé, Crésus lui fit présent d’autant d’or qu’il en pourrait emporter en une seule fois. Pour mettre le mieux possible à profit cette générosité du roi, Alcméon se fit faire les habits les plus amples et les brodequins les plus larges. Conduit par les officiers du prince au trésor, il se jeta sur un tas de paillettes d’or, en mit dans ses brodequins, dans son habit, tant qu’ils purent en contenir, en poudra ses cheveux et s’en emplit la bouche. Il sortit alors les joues bouffies, le corps bossu traînant à grande peine sa chaussure, objet de risée pour ceux qui le rencontrèrent en cet état, car ils crurent voir moins un homme que quelque créature grotesque et repoussante.

Quand Hérodote s’est mis une fois en train de conter, il ne s’arrête pas aisément. Après avoir dit cette première cause de la fortune des Alcméonides, il nous en donne une autre.

Clisthénès, tyran de Sicyone, homme très puissant et fort riche, avait une fille nommée Agariste, qu’il ne voulait marier qu’au plus accompli de tous les Grecs. Pendant la célébration des jeux olympiques, où il avait été vainqueur, à la course des chars, il fit proclamer par un héraut que quiconque se croirait digne de devenir son gendre se rendit à Sicyone dans soixante jours, parce qu’il marierait sa fille, un an après le soixantième jour commencé. De nombreux prétendants accoururent bientôt à Sicyone de tous les points du monde grec. Clisthénès s’informa à leur arrivée de leur pays et de leur naissance, puis les retint un an auprès de lui. Il les traita chaque jour avec magnificence, et, étudiant leurs inclinations, leurs moeurs, l’étendue de leur esprit et de leurs connaissances, dans les entretiens qu’il eut avec eux en particulier, ou dans les conversations générales et dans les festins auxquels il les invitait. Mais il voulait connaître aussi leur adresse et leur force, car il attachait, comme tous les Grecs, un grand mérite à ces qualités du corps, alors si nécessaires au soldat. Il les engageait donc à se livrer aux exercices ordinaires et il leur avait fait construire tout exprès un stade pour la course, et une palestre pour les autres jeux.

De tous les prétendants celui qui jusqu’au dernier moment parut avoir les chances les plus heureuses, était l’athénien Hippoclidès. L’année expirée et le jour fixé par Clisthénès pour déclarer son gendre, étant venu, ce prince immola cent boeufs, invitant à ce festin royal non seulement les prétendants, mais tous les Sicyoniens. Le repas fini, les prétendants s’entretinrent de musique, d’art et de tout ce qui fait le sujet ordinaire des conversations, chacun s’efforçant de faire briller son esprit. Hippoclidès attirait surtout l’attention, car on avait déjà deviné la secrète préférence dont il était l’objet. Tout à coup il dit au joueur de flûte de jouer un des airs qui accompagnaient les danses. Mais au lieu de commencer la pyrrhique, danse guerrière, inventée, dit-on, par Achille et fort pratiquée à Lacédémone, où elle se faisait par des hommes armés et était encore une image des combats, il dansa les danses de l’Ionie. Il espérait ainsi assurer son triomphe, en déployant toute sa grâce et sa légèreté, et ne voyant pas que le prince indigné de cette mollesse le regardait d’un oeil irrité, il se laissa aller jusqu’à imiter les gestes des bateleurs. Clisthénès ne pouvant plus se contenir lui cria enfin « Fils de Tisander, ta danse défait ton mariage ». « Hippoclidès s’en soucie peu, » reprit l’Athénien emporté par la vanité et trompé par les applaudissements moqueurs de l’assemblée.

Alors Clisthénès, ayant fait faire silence, remercia les prétendants, leur offrit à chacun un talent d’argent pour reconnaître l’honneur qu’ils lui avaient fait en recherchant son alliance et fiança sa fille à Mégaclès, fils de cet Alcméon vu plus haut. De ce mariage naquit Clisthénès, qui, après la chute de Pisistratides, eut la principale autorité dans Athènes. Une petite fille de Mégaclès fut mère de Périclès.

Puissance d’Athènes (525-492 av. J.C.)

Sous l’administration de ce Clisthénès, fils de Mégaclès, et dans les vingt années qui suivirent l’expulsion d’Hippias, Athènes déploya une vigueur inattendue. Elle repoussa une armée spartiate qui voulait rétablir Hippias, battit les Béotiens et fit la conquête d’une partie de l’Eubée, tandis qu’un de ses citoyens, Miltiade, soumettait l’île de Lemnos et régnait sur la Chersonèse de Thrace. C’est à ce moment que vint fondre sur elle l’ouragan qui semblait devoir l’emporter et qui lui a valu une gloire immortelle.