Epaminondas (418-362 av. J.C.)

Education et caractère d’Epaminondas (418-371 av. J.C.)

Epaminondas était d’une des familles les plus distinguées de Thèbes; mais il naquit pauvre et resta tel toute sa vie, se félicitant d’être par-là débarrassé de beaucoup de soucis. Il n’omit aucune des études qui font l’homme complet. Il se livra avec ardeur aux exercices du gymnase et au maniement des armes, pour rendre son corps souple et vigoureux; mais il ne s’efforça pas moins de développer les qualités de son esprit. Pour maître de philosophie, il eut le pythagoricien Lysis de Tarente. On le vit, presque enfant, s’attacher à ce vieillard triste et sévère, jusqu’à préférer sa société à celle de tous les jeunes gens de son âge. Il ne voulut se séparer de lui qu’après en avoir appris les devoirs du citoyen, autant que ceux de l’homme.

Il était prudent et austère; il avait l’âme grande et le courage indomptable; il savait commander et obéir, ce qui, au jugement d’Aristote, est le trait distinctif des bons citoyens : aujourd’hui vainqueur de Sparte à Leuctres, demain simple hoplite ou édile chargé du soin des rues. Son respect pour la vérité était si profond, qu’il ne mentait pas, même en plaisantant. Aucune injustice du peuple ne l’empêchait de bien servir son pays; aucun secret ne lui paraissait difficile à garder. Il parlait peu, mais écoutait beaucoup; habile pourtant et puissant orateur, il servit plus d’une fois Thèbes de sa parole aussi bien que de son bras.

Telle était l’éducation des hommes distingués de la Grèce, et telles étaient les qualités douces et sérieuses du héros thébain. Comme caractère moral, la Grèce n’a rien eu de plus pur et de plus élevé. Quand Pélopidas conspira, il refusa de prendre part au complot, non par lâcheté assurément, mais il n’aimait pas les menées ténébreuses, et préférait le combat à ciel ouvert. Tandis que les bannis nouaient leurs intrigues, il exhortait ses concitoyens à lutter dans les gymnases contre les Spartiates et à prendre l’habitude de les vaincre. Il faisait ainsi des hommes de tous les jeunes Thébains, pour le jour de l’action. Ce jour-là il partagea tous les périls de Pélopidas auquel il était lié par une étroite amitié. La grandeur de Thèbes dura autant que ces deux hommes.

Bataille de Leuctres (371 av. J.C.)

Les Spartiates voulaient reprendre ce que la trahison leur avait donné, ce qu’une ruse légitime leur avait ôté. Agésilas pénétra en Béotie. Mais les Thébains, sans l’attendre nulle part, le suivirent partout, s’habituant dans de fréquentes escarmouches à regarder les Spartiates en face. Le combat de Tégyre où le bataillon sacré et Pélopidas firent merveille fut la première révélation que les Spartiates n’étaient pas invincibles. Leuctres le prouva mieux encore. Le roi Cléombrote entré en Béotie avec 10000 hoplites et 1000 cavaliers, se trouva dans la plaine de Leuctres, en face des Thébains. Ceux-ci n’avaient que 6000 hommes, mais leur cavalerie était supérieure à celle des Spartiates. Pélopidas était à la tête du bataillon sacré; Epaminondas commandait en chef. Il disposa ses soldats dans un ordre nouveau. Il mit à l’aile gauche l’élite de ses troupes et établit obliquement sa ligne de bataille, tenant sa droite éloignée de l’ennemi et engageant vivement l’action avec sa gauche, où les hommes étaient rangés en un épais bataillon dont chaque rang avait cinquante files. Comme il portait ainsi tout le fort de l’action sur le point où il avait placé ses meilleurs soldats, la ligne des Spartiates fut brisée; Cléombrote essaya de tourner et d’envelopper ce coin terrible qui s’enfoncent dans son front de bataille. Pélopidas le chargea impétueusement, avec le bataillon sacré, et le roi tomba frappé à mort. Ses amis purent l’emporter vivant encore au camp, où l’armée se réfugia derrière le fossé qui le couvrait. Elle laissait sur le champ de bataille 1000 Lacédémoniens et 400 Spartiates, sur 700 qu’ils étaient. Quand on félicita Epaminondas: « Ce qui me rend le plus heureux », dit-il, « c’est que mon père vive encore, il jouira de cette gloire ».

Fermeté des Spartiates (371-369 av. J.C.)

On célébrait alors à Sparte une fête publique. Des choeurs de jeunes garçons et de jeunes filles s’exerçaient sur le théâtre, lorsque la funeste nouvelle arriva. Les éphores ne permirent ni aux choeurs de sortir du théâtre, ni à la ville d’ôter les décorations de la fête. Le lendemain, quand on eut la liste certaine des morts et de ceux qui s’étaient sauvés, les parents des premiers se montrèrent en public parés et joyeux; les autres, au contraire, s’enfermèrent dans leurs maisons, comme en un temps de deuil; ou, s’ils étaient forcés de sortir, ils marchaient tristes et la tête baissée. Fausse ostentation de grandeur, car ils devaient comprendre que, dans cette journée, était tombé un mort de plus que les listes n’en portaient, et sur lequel ils pouvaient bien pleurer, Lacédémone elle-même. A Leuctres, en effet, elle avait perdu l’empire de la Grèce.

Invasion des Thébains dans le Péloponnèse (369 av. J.C.)

Cette victoire donnait aux Thébains l’alliance de presque toutes les cités placées au Nord de l’isthme de Corinthe et leur faisait dans le Péloponnèse même bien des amis. Les Arcadiens, jusque-là dispersés en de nombreux villages, profitèrent de l’abaissement de Sparte pour fonder une grande ville, Mégalopolis, qui serait la capitale et la forteresse du pays. Les Spartiates virent avec douleur cette entreprise et voulurent la troubler. Epaminondas entra au contraire pour la soutenir dans le Péloponnése avec une puissante armée et envahit la Laconie, en suivant l’Eurotas jusqu’auprès de Lacédémone qui, depuis qu’elle était aux mains de la lignée dorienne, n’avait pas vu de feux ennemis s’allumer autour d’elle. La terreur était extrême; la plus grande partie de la population, libre et esclave, refusait d’obéir. Heureusement Sparte avait alors un vieux soldat habitué à garder son sang-froid au milieu du péril, le roi Agésilas.

Siège de Sparte (369 av. J.C.)

Pendant trois ou quatre jours, Epaminondas espéra attirer son adversaire à une bataille, en ravageant la plaine sous ses yeux. Le roi ne bougea pas. Une attaque de cavalerie réussit mal, bien que les Thébains eussent pénétré jusque dans la ville. Peut-être s’étaient-ils ainsi avancés pour soutenir des traîtres, 200 Spartiates, qui s’étaient saisis d’une hauteur. On disait autour d’Agésilas qu’il fallait les attaquer. Cette guerre civile, en face de l’ennemi, eût fait éclater d’autres trahisons et ruiné la ville. Agésilas feignit d’ignorer leurs mauvais desseins; et, sans armes, suivi d’un seul homme, il va à eux et leur crie qu’ils ont mal entendu ses ordres; que ce n’est pas là qu’il les a envoyés. En même temps, il leur montre de la main les différents quartiers où ils doivent se répandre. Eux, croyant bien qu’on n’a rien découvert, descendent et obéissent; la nuit suivante, 15 des coupables périrent. D’autres conspirateurs furent encore surpris et exécutés. Agésilas avait ainsi à veiller sur les siens autant que sur l’ennemi.

Fondation de Messène (369 av. J.C.)

Cependant les moyens de réduire une place étaient chez les anciens si défectueux, qu’Epaminondas n’osa tenter une attaque de vive force contre ces collines, à travers ces rues, le long de ces constructions où des embuscades pouvaient se cacher. Il ravagea tout le pays, et ses alliés le quittant pour mettre leur butin en sûreté, il s’éloigna, mais en laissant à Sparte une trace terrible de son passage : ce fut la construction de Messène, sur la pente occidentale du mont Ithôme. Les meilleurs architectes en tracèrent le plan et les meilleurs ouvriers en élevèrent les murailles, dont les ruines excitent encore l’admiration. Il y appela tout ce qui survivait de Messéniens, et leur adjoignit, avec les mêmes droits de cité, les étrangers qui se présentèrent. Il est probable que les hilotes de la Messénie favorisèrent cette entreprise par un soulèvement, et formèrent la portion la plus considérable du nouveau peuple.

Après avoir enfoncé au flanc de Sparte ce poignard, après l’avoir cernée par Messène, à l’Ouest, comme elle l’était, au Nord, par Mégapolis et par Tégée où il mit garnison, Epaminondas put sortir content de la Péninsule, dont la face était maintenant à jamais changée. Mais à l’isthme, il rencontra un ennemi inattendu : les Athéniens, qu’il évita avec quelque peine.

Histoire confuse et sans grandeur (369-362 av. J.C.)

Athènes, en effet, venait par jalousie de la puissance de Thèbes, de retourner à l’alliance de Sparte. Alors commence une histoire très confuse. Il n’y a plus de cause générale comme au temps des guerres médiques, mais seulement des intérêts particuliers. Ce sont des alliances qui se nouent et se rompent perpétuellement; des ambitions stériles qui se tiennent les unes les autres en échec, et qui usent les forces de la nation dans une lutte fratricide; c’est la Perse enfin qui attise ce feu parce qu’il lui convient d’entretenir la faiblesse et l’anarchie en Grèce; nulle part, rien de grand, si ce n’est Epaminondas, qui continue de bien servir son pays, mais sans que cette prospérité de Thèbes soit, comme l’avait si bien été celle d’Athènes, utile à la Grèce ou à la civilisation.

Bataille de Mantinée; mort d’Epaminondas (362 av. J.C.)

Le héros thébain reparut en 362 av. J.C. dans le Péloponnèse pour arrêter une défection des alliés de Thèbes. Il pénétra encore en Laconie, insulta Sparte et livra près de Mantinée sa dernière bataille.

Il y suivit la même tactique qu’à Leuctres. Il n’engagea que ses meilleures troupes, et concentra sur un seul point une masse profonde qui renversa tout devant elle. Il combattit lui-même au premier rang, mais se laissa emporter trop loin en avant des siens, fut entouré d’ennemis et reçut dans la poitrine un coup de lance si violent que le bois se rompit et que le fer resta dans la plaie. Les Thébains arrachèrent avec peine à l’ennemi leur chef respirant encore. Les médecins déclarèrent qu’il mourrait quand on retirerait le fer de la blessure. Alors il appela son écuyer pour savoir si son bouclier était sauvé; l’écuyer le lui montra. Il demanda ensuite de quel côté la victoire était restée; on lui dit qu’elle était aux Béotiens. « Eh bien! Je puis mourir. » Il ordonna qu’on arrachât le fer. Dans ce moment, les amis qui l’entouraient firent entendre de grands gémissements; un d’eux s’étant écrié : « Eh quoi ! Epaminondas, faut-il que tu meures ainsi sans laisser de postérité ! – Non pas », reprit-il, « non pas, Par le grand Jupiter! Car je laisse après moi deux filles immortelles, la victoire de Leuctres et celle de Mantinée ». (362 av. J.C.).

Après ce combat, dit Xénophon, il y eut autant de confusion en Grèce qu’il s’y en trouvait auparavant. C’était, il est vrai, le dernier coup donné à l’empire spartiate, mais ce n’était pas la consolidation de l’empire thébain. On s’accorda, l’année suivante, à signer la paix.