Les Antonins (96-192)

Nerva (96-98)

Les soldats voulaient venger Domitien; mais ils ne purent trouver de chef. Le sénat se hâta de proclamer le vieux consulaire Coccéius Nerva. Avec ce prince commence une période de quatre-vingts ans, la plus heureuse peut-être de l’histoire : on l’a appelée le siècle des Antonins, du nom du meilleur de ces princes.

Nerva régna seize mois et ne fit qu’une chose mémorable : il adopta Trajan.

Trajan (98-117)

C’était un Espagnol. Sa haute taille et son air martial imposaient; mais son affabilité, sa déférence pour le mérite et pour l’âge gagnaient bien vite les coeurs.

Il ouvrit sa demeure à tous les citoyens. « Je veux être avec les autres », disait-il, « comme j’aurais voulu, étant citoyen, que les empereurs fussent avec moi. » On essaya de lui inspirer des soupçons contre un sénateur : il alla sans gardes souper chez lui, et répondit le lendemain aux accusateurs : « S’il avait voulu me tuer, il l’eût fait hier. »

Avare des deniers publics, il put, grâce à une vie modeste et simple, augmenter les revenus du fisc tout en diminuant les impôts, et en faisant des constructions utiles comme des ponts, des aqueducs, des voies militaires, ou magnifiques, comme la colonne Trajane, qui existe encore et qui a servi de modèle à la colonne élevée à Paris, par Napoléon I, à la grande armée.

Le sénat put croire que son ancienne puissance lui était rendue; ses décrets étaient obéis et il disposait de toutes les charges. Trajan rendit même les élections au peuple, et briguait au champ de Mars pour ses amis, confondu dans la foule. En donnant au préfet du prétoire l’épée, signe de ses fonctions, il lui avait dit: « Sers-toi de ce glaive pour moi, si je fais bien; contre moi, si je fais mal. »

Troisième persécution contre les chrétiens (102)

Ce grand prince ne sut malheureusement pas échapper aux vices honteux. Il fut contraint d’ordonner qu’on n’exécutât pas les ordres qu’il donnerait après ses longs repas, et il continua de considérer la profession du christianisme comme un crime d’Etat, de sorte qu’il faut placer sous un des meilleurs empereurs une troisième persécution contre les chrétiens. Il défendit qu’on les recherchât, mais ordonna de frapper du glaive ceux qui se présenteraient. Lui-même condamna aux lions l’évêque d’Antioche, Ignace.

Guerres de Trajan contre les Daces et les Parthes (101-112)

La plus grande partie de ce règne fut remplie par des guerres étrangères. Au nord du Danube, dans la Hongrie actuelle et la Moldo-Valachie, Trajan battit les Daces (101), et réduisit leur pays en province (106).

L’Occident pacifié, il marcha contre les Parthes. Deux campagnes lui suffirent pour incorporer l’Arménie à l’empire, et dicter au roi Chosroès une paix humiliante (110). Dans une seconde expédition, il s’empara de Ctésiphon, capitale des Parthes, et descendit en vainqueur jusqu’à l’embouchure de l’Euphrate, dans le golfe persique. « Si j’étais plus jeune », dit-il alors, « j’irais conquérir les Indes. »

Il se consola de ne pouvoir suivre jusqu’au bout les traces d’Alexandre, en soumettant une partie de l’Arabie, que les armes du héros macédonien n’avaient pas visité.

La mort de Trajan (117)

Ces rapides et brillantes conquêtes ne furent pas durables. Les vaincus se soulevèrent partout, et l’empereur mourut à Sélinonte, avant d’avoir achevé son oeuvre (117). On rapporta ses cendres à Rome. Elles furent ensevelies au pied de la colonne qui porte encore son nom. Le sénat rendit à sa mémoire un hommage éclatant.

Hadrien (Adrien) (117-138)

Trajan ne laissait pas d’enfant et n’avait pas désigné un successeur. Sa veuve Plotine déclara qu’il avait, à ses derniers moments, adopté Adrien, que les soldats proclamèrent.

Adrien s’était distingué dans les dernières guerres: on pouvait croire qu’il allait continuer Trajan. Mais il trouvait l’empire assez grand; et, comme Auguste, il tâcha moins de l’accroître que de bien le gouverner. Des conquêtes de son prédécesseur il ne garda que la Dacie, où trop de colons romains s’étaient déjà établis pour qu’on pût les abandonner. En Orient, il abandonna tout ce qui avait été occupé au-delà du Tigre; en Occident, il se contenta de protéger la Bretagne romaine contre les incursions des Calédoniens par un mur qui porta son nom, et d’achever les fortifications qui couvraient les bords du Rhin.

La dernière révolte des Juifs (132-135)

Son règne n’eut qu’une seule guerre, contre les Juifs. Elle fut atroce. Pour effacer jusqu’au dernier souvenir de leur ancienne indépendance, Adrien avait fait de Jérusalem une colonie romaine appelée AElia Capitolina, et avait installé dans le Temple de Jérusalem le culte de Jupiter. Les Juifs se révoltèrent sous un chef, Barcochébas (Shimon bar Kokhba), qui se faisait passer pour le Messie. Six cent mille d’entre eux périrent encore; toute la Judée fut dévastée, et ce qui resta du peuple fut jeté en esclavage (133).

Il régularise l’administration impériale (117-138)

Sauf ces horribles scènes, le règne d’Adrien fut tout pacifique. Le prince s’efforça de régulariser l’administration. Il effaça les formes républicaines qui, depuis longtemps, s’étaient perpétuées, et rendit le gouvernement plus monarchique. Il divisa tous les offices en trois classes : la première comprenait les charges de l’Etat, la seconde celle du palais, la troisième celles de l’armée. Il réunit et coordonna les dispositions des édits des préteurs et en fit une sorte de code qu’on nomma l’édit perpétuel (131), et que tous les gouverneurs de provinces durent suivre; mesure avantageuse aux sujets : une loi fixe valant mieux qu’une loi qui pouvait être changée chaque année.

Son activité (117-138)

L’empereur donnait à tous l’exemple. « Te voilà sauvé, » disait-il à un de ses ennemis qu’il rencontra après son avènement. Et un jour qu’il refusait d’entendre une pauvre femme: « Pourquoi es-tu empereur? » lui demanda-t-elle : il l’écouta patiemment. Il imposait aux soldats une sévère discipline, mais ils le voyaient avec admiration faire des routes de vingt milles, à pied, tête nue, et vivant de leur nourriture. Il voulait tout examiner par lui-même, et passa onze ans à visiter les diverses parties de l’empire. Ces voyages ne coûtaient rien aux provinces, car l’empereur n’emmenait qu’une suite peu nombreuse, et ils produisaient de grands avantages. Combien d’abus corrigés, de coupables punis, de fonctions inutiles supprimées! Aussi la reconnaissance des peuples, cette fois sincère, proclama-t-elle Adrien le restaurateur de l’univers. Tant d’activité, d’intelligence et de dévouement au bien public ne peuvent cependant faire oublier ses moeurs, et son caractère irascible, qui à la fin de son règne le rendit parfois cruel.

Antonin le Pieux (138-161)

Le nouveau prince, que son prédécesseur avait adopté, était né à Rome; mais ses ancêtres étaient originaires de Nîmes. Sous son règne de vingt-trois années le monde jouit d’une paix profonde; aussi l’histoire est-elle comme muette sur lui. On sait seulement que l’empire fut heureux de son administration paternelle, et que la renommée de ses vertus s’étendit si loin que des princes de l’Inde, de l’Hyrcanie et de la Bactriane le choisirent pour arbitre de leurs querelles. Il vint même à Rome des députés de peuples barbares qui demandèrent à être admis comme sujets de l’empire. Ses contemporains reconnaissants lui donnèrent le beau surnom de Père du genre humain.

Marc-Aurèle (161-180)

Lorsque Antonin se sentit mourir, il fit porter la statue d’or de la victoire dans l’appartement de son fils adoptif Marc-Aurèle. C’était le reconnaître empereur. Marc-Aurèle voulut partager le titre d’Auguste avec Lucius Vérus, son frère, qui se montra indigne de cette générosité. Envoyé en Orient, où les Parthes venaient de tailler en pièces les légions d’Arménie, Vérus laissa tout le poids de la guerre à un lieutenant, Avidius Cassius, et ne s’occupa que de honteuses débauches. Une mort prématurée débarrassa l’empereur et l’empire de cet indigne prince (169).

Les vices de Lucius Vérus faisaient mieux ressortir la haute et pure vertu de son collègue. Marc-Aurèle sembla prendre à tâche, par une conduite irréprochable, de justifier ce mot de Platon : « Que les peuples seraient heureux si les rois étaient philosophes, ou si les philosophes étaient rois! ». Il est resté dans la mémoire des hommes le modèle le plus accompli de la sagesse païenne.

Guerre contre les Marcomans (168-175)

Son règne ne fut pourtant pas heureux. La corruption précoce de Commode souilla le palais impérial. Une peste terrible sévit dans Rome et désola l’empire. Pour repousser une invasion formidable des Marcomans, qui pénétrèrent jusqu’aux environs d’Aquilée : il fallut armer les esclaves et même enrôler des gladiateurs.

En Orient, l’habile Avidius Cassius se laissa entraîner à la révolte, puis fut tué par ses propres soldats. « Qu’au moins », écrivit l’empereur, « cette insurrection ne coûte la vie qu’à ceux qui sont morts dans le premier tumulte, » et il pardonna à tous les complices du rebelle (175).

Les Marcomans et une foule de peuplades barbares, que la grande nation des Goths poussait devant elle, avaient repris les armes. Marc-Aurèle regardait la guerre comme une calamité et se trouva condamné à passer sa vie dans les camps. Il mourut à Vienne sans avoir achevé la défaite des Germains (180 ap. J. C). Il nous reste de lui un livre intitulé: Mes pensées, qui est d’une grande élévation morale. Cependant il ordonna la quatrième persécution générale contre les chrétiens.

Commode (180-192)

Sévère pour lui-même, Marc-Aurèle portait l’indulgence envers les autres jusqu’à la faiblesse. C’est ainsi qu’il laissa s’enraciner dans l’âme de son fils Commode les passions désordonnées qui en firent le plus bas et le plus féroce des tyrans.

Au lieu d’écraser les Marcomans et les Quades, Commode conclut la paix à une condition forte imprudente. Il reçut vingt mille d’entre eux au service de l’empire; c’était leur livrer les secrets de la tactique romaine.

Il avait hâte de revenir à Rome, et de satisfaire son goût effréné pour les combats du cirque, pour la chasse, pour les grossiers plaisirs du gladiateur. Il parut sept cent trente-cinq fois dans l’arène. Toute son ambition était de ressembler à Hercule, ce héros de la force brutale, et il en prit les attributs sur les monnaies.

L’empire ne souffrit pourtant pas d’abord des vices de son prince : pendant six ans le préfet des gardes, Pérennis, maintint avec vigueur les traditions du gouvernement de Marc-Aurèle. Mais des soldats mécontents le massacrèrent, et Commode lui donna pour successeur un affranchi, le phrygien Cléander, qui fit argent de tout, de la vie et de la mort des citoyens. Les arrêts de mort se vendaient comme les emplois.

Alors des conspirations éclatent, et la cruauté de Commode ne connaît plus de bornes. Les hommes les plus vertueux sont mis à mort, même le grand jurisconsulte Salvius Julianus. Le sénat surtout est en butte aux fureurs du tyran.

Celui-ci, pour n’avoir rien à craindre des provinces, retenait auprès de lui en otage les enfants des gouverneurs, et, pour être sûr de Rome, accordait toute licence aux prétoriens. Mais ceux qui l’approchaient le plus étaient ceux qui étaient les plus menacés. Son chambellan et son préfet des gardes le firent étrangler par un athlète. Par crainte des soldats, on répandit le bruit qu’il était mort d’un coup de sang. Mais le sénat fit jeter son corps dans le Tibre et flétrit sa mémoire (192).