Tibère (14-37)

Premières années de son gouvernement (14-23)

Tibère avait été associé par Auguste à sa toute puissance, et personne n’était en état de la lui disputer. Il succéda donc à son père adoptif sans opposition. Il avait cinquante-six ans. Depuis la mort d’Agrippa, nul général ne pouvait invoquer d’aussi éclatants services. Il avait combattu en Espagne et dans les Alpes, gouverné la Gaule, dompté les Pannoniens, vaincu les Germains, et rassuré l’empire après la défaite de Varus. Malheureusement ses amours étaient dépravées, son caractère vindicatif et sanguinaire. L’empire trouva en lui un administrateur vigilant, mais sévère; sa famille un maître défiant qui finit par devenir cruel.

Tout alla bien d’abord. « Les affaires publiques », dit Tacite, le grand historien de cette époque, « se traitaient au sénat ainsi que les intérêts les plus graves des particuliers. Dans la distribution des honneurs, Tibère consultait la naissance, les services militaires et le talent civil; de sorte qu’il eût été difficile de faire de meilleurs choix. Quant aux lois, on en faisait bon usage. Pour ses affaires particulières, il choisissait les hommes les plus considérés, quelques-uns sans les connaître et sur leur réputation, et la plupart vieillirent dans leur charge. Il veillait à ce que les provinces ne fussent pas chargées d’impôts. Ses domaines en Italie étaient peu étendus; ses esclaves sans insolence, ses affranchis peu nombreux. Avait-il des contestations avec des particuliers, les tribunaux et les lois décidaient. »

Germanicus (16-19)

Au dehors, l’empire était vigoureusement défendu par le neveu de Tibère, Germanicus. Chéri de l’armée pour son courage et pour sa bonté, il repoussa dans une émeute avec indignation l’empire, que lui offraient les soldats, et, pour rétablir la discipline, les mena jusque dans la forêt Teutberg (Teutobourg), où il ensevelit les restes mutilés des légions de Varus, qui depuis trois ans attendaient ce dernier honneur. Il pénétra même plus loin dans la Germanie jusqu’aux bords du Wéser, et remporta une grande victoire dans la plaine d’Idislavisus. Quand Tibère crut la frontière du Rhin bien garantie par ces succès, il envoya son neveu en Orient pour y rétablir aussi l’ordre ébranlé et la paix; mais cet héroïque jeune homme fut arrêté au milieu de sa glorieuse carrière par une mort prématurée. On accusa Pison de l’avoir empoisonné (19). Quand la veuve de Germanicus débarqua à Brindes, portant dans ses bras l’urne sépulcrale, une foule immense vint à sa rencontre, et lui fit cortège de Brindes aux portes de Rome. Tibère, qu’on soupçonnait d’avoir, sinon commandé, du moins autorisé le crime, renvoya au sénat le jugement du meurtrier : il siégea lui-même et Pison le vit avec épouvante rester impassible et impénétrable, sans pitié, sans colère. Avant le jugement il se tua dans sa maison.

Puissance de Séjan : ses crimes et sa chute (14-31)

Redoutant les grands, Tibère donna toute sa confiance à un homme sorti de bas lieu, Séjan. Ce personnage avait su gagner son affection par une activité infatigable, d’habiles conseils et un dévouement absolu. Tibère lui devait la vie. Un jour qu’il dînait dans une grotte, la voûte s’écroule : tous les courtisans se sauvent; Séjan seul reste et fait un rempart de son corps à l’empereur. De ce jour il eut sur Tibère un ascendant prodigieux, reçut le consulat, le commandement des cohortes prétoriennes : rien ne se fit plus que par lui.

Mais si haut que Séjan fût arrivé, il voulait monter plus haut encore, et n’aspirait à rien moins qu’au souverain pouvoir. Son ambition ne recula pas devant un crime. Il empoisonna Drusus, fils de Tibère, et livra au bourreau la veuve et deux des enfants de Germanicus. Pour intimider les républicains, on condamna Crémutius Cordus à se donner la mort. Il avait, dans une histoire des guerres civiles, appelé Brutus et Cassius les derniers des Romains. Enfin Séjan parvint à éloigner l’empereur lui-même de Rome. Tibère quitta cette ville pour habiter l’île inaccessible de Capri (26).

Séjan se voyait si près du but qu’il n’hésita pas à demander la main de la veuve de Drusus; c’était presque demander à être l’héritier de l’empereur. Tibère ouvrit les yeux, et refusa son consentement. Le favori alors conspira : mais il n’était rien que par le prince. Celui-ci n’eut qu’à dire un mot, et Séjan tomba (33). Il fut arrêté en plein sénat, et étranglé dans sa prison : le peuple mit en pièces son cadavre. D’innombrables exécutions suivirent : on montre encore à Capri la pointe d’où sur un signe de Tibère, les condamnés étaient précipités dans la mer. Il traîna encore quatre ans une vie misérable, empoisonnée de craintes et de soupçons (37).