La conquête romaine (200- av. J.C.)

Décadence des grands Etats grecs (200-197 av. J.C.)

La Grèce tombait chaque jour plus bas. Les vices que cette société corrompue cachait jadis sous les brillants dehors de la puissance et de la gloire semontraient à nu. Athènes n’était plus qu’un musée et une école où l’on dissertait beaucoup, où l’on n’agissait plus. A Thèbes un dieu était surtout en honneur, l’Hercule Vorace, et la grande affaire était les festins. Sparte avait des tyrans abominables, comme ce Nabis qui imaginait chaque jour une torture nouvelle. Il avait fait faire une statue dont les bras, la poitrine et les mains étaient armés de pointes acérées et qu’il nommait Apega. Quelqu’un lui refusait-il de l’argent? « Eh bien! Allez exposer vos motifs à Apega, » disait-il. Aussitôt la terrible statue paraissait, saisissait le malheureux et le mettait en pièces, ou tout au moins lui faisait souffrir de cruels tourments.

Ambition de la Macédoine et de Rome (200-197 av. J.C.)

De telles gens étaient incapables de sauver leur liberté. Cependant deux ennemis redoutables la menaçaient. La Macédoine, maintenant gouvernée par Philippe III avait repris sur la Grèce les projets du père d’Alexandre, mais à l’Occident un peuple s’apprêtait à la lui disputer, les Romains. La Grèce était la proie réservée au victorieux.

La bataille des Cynoscéphales (197 av. J.C.)

Philippe, apprenant que les Romains venaient d’être vaincus par Annibal (Hannibal) à la grande journée de Cannes (216 av. J.C.), fit alliance avec le général carthaginois et se prépara à envahir l’ltalie. Rome le prévint, et par une vive attaque le retint en Grèce, puis lui imposa un premier traité (205 av. J.C.). Délivré d’Annibal, le sénat voulut se venger du Macédonien, et d’adroites négociations détachèrent de Philippe ses alliés grecs. Quand on l’eut isolé, on le pressa vivement. La phalange fut à Cynoscéphales écrasée par les légions romaines (197 av. J.C.), et Philippe n’obtint la paix qu’à la condition de se renfermer dans les anciennes limites de son royaume.

La bataille de Pydna (168 av. J.C.)

Là même il fut abreuvé d’outrages. Il préparait une guerre nouvelle quand la mort l’enleva. Son fils Persée la commença par des succès; mais personne ne le soutint, et la bataille de Pydna (168 av. J.C.) brisa le trône du dernier successeur d’Alexandre. Persée, conduit à Rome derrière le char de triomphe de Paul Emile son vainqueur, fut jeté dans un cachot, et l’année suivante s’y laissa mourir de faim. Un de ses fils apprit un métier pour vivre; plus tard il parvint à la charge de scribe dans la ville d’Albe!

La Macédoine, province romaine (148 av. J.C.)

Vingt-six ans après, la Macédoine fut réduite en province romaine. La Grèce eut le même sort presque au même moment.

Réduction de la Grèce en province romaine (146 av. J.C.)

Le sénat avait d’abord solennellement déclaré qu’il combattait pour que la Grèce fût indépendante; et, après la journée de Cynoscéphales, le proconsul Flamininus avait proclamé la liberté de tous les peuples grecs. Mais on vit se former dans chaque ville, à l’instigation des agents du sénat, un parti romain qui se saisit des magistratures et obéit à tous les ordres venus de Rome.

A l’époque de la guerre de Persée, mille Achéens dénoncés comme ayant fait en secret des voeux pour les Macédoniens, furent enlevés de leurs cités et déportés en Italie. Au bout de 17 ans d’exil, le sénat les laissa retourner en Grèce. Quelques-uns y portèrent une haine imprudente; ils provoquèrent une rupture avec Rome, et la Grèce livra à Leucopetra, près de l’isthme de Corinthe, sa dernière bataille. Corinthe fut prise et incendiée par le consul Mummius. Thèbes et Chalcis furent rasées, toutes les villes démantelées et la Grèce fut ajoutée sous le nom d’Achaie à la liste déjà longue des provinces romaines.

Philopoemen (210-183 av. J.C.)

Un seul homme mérite, dans cette dernière période de l’existence du peuple grec, l’attention de l’histoire, Philopoemen de Mégalopolis. C’était un bon citoyen et un habile capitaine. Sentant la supériorité des forces de Rome, il n’essaya pas de lutter contre elle, mais il travailla sans relâche à éloigner le moment d’une ruine inévitable. Il raviva parmi les Achéens l’esprit militaire; il réforma l’armure des soldats et l’ordonnance de l’armée; il combattit, comme l’avait fait Aratus, les tyrans qui s’élevaient dans les villes, et s’efforça de prévenir toute division au sein de la ligue achéenne. En la conservant unie et forte, il espérait imposer au moins à Rome des égards pour elle. Ce fut en pratiquant cette politique, à la fois habile et élevée, qu’il trouva la mort. Un jour on lui annonce que Messène, à l’instigation de Rome, se sépare de la confédération. Il avait alors soixante et dix ans et était malade à Argos; il part néanmoins pour Mégalopolis, y arrive le jour même, ayant fait vingt lieues d’une traite, rassemble un corps de cavalerie, et marche à l’ennemi. ll le repousse; mais, entouré par des forces supérieures, il est obligé de reculer.

Il couvre lui-même la retraite des siens: au passage d’un défilé, ceux-ci se retirant trop vite, il reste seul au milieu des ennemis; son cheval trébuche et le jette violemment à terre. Les Messéniens le saisissent, et quand il est revenu à lui l’accablent d’indignes outrages. On l’emmène à Messène chargé de fers comme un criminel. On le jette dans une prison souterraine, sans air, sans lumière. Bien des Messéniens s’intéressaient à lui; Dinocratès, le chef du parti contraire, n’en fut que plus pressé de le faire mourir. Le soir même, l’exécuteur reçut l’ordre de lui porter du poison. Philopoemen était couché sur son manteau; lorsqu’il vit la lumière et l’homme, debout devant lui, tenant une coupe, il comprit ce qu’on lui voulait. ll se releva avec peine, à cause de sa faiblesse, et demanda au geôlier s’il ne savait rien de ses cavaliers, surtout de Lycortas. L’exécuteur répondit qu’ils avaient échappé. Philopoemen le remercia d’un signe de tête, en le regardant avec douceur : « Voilà de bonnes nouvelles », dit-il, « et il vida la coupe ».

Au bruit de sa mort, les Achéens consternés accoururent en armes, conduits par Lycortas, le père de l’historien Polybe. Ils mirent la Messénie à feu et à sang. Messène lui-même; beaucoup de ses partisans l’imitèrent, les autres furent réservés pour les tourments. « On brûla le corps de Philopomen, et, après avoir recueilli ses cendres dans une urne, on partit de Messène, sans confusion et en ordre, en mêlant à ce convoi funèbre une sorte de pompe militaire et triomphale. Les Achéens marchaient couronnés de fleurs, mais fondant en larmes; ils étaient suivis des prisonniers messéniens chargés de chaînes. Polybe, fils de Lycortas, entouré des plus considérables d’entre les Achéens, portait l’urne, qui était couverte de tant de bandelettes et de couronnes qu’on pouvait à peine l’apercevoir. La marche était fermée par les cavaliers revêtus de leurs armes, et montés sur des chevaux richement harnachés. Ils ne donnaient ni des marques de tristesse qui répondissent à un si grand deuil, ni des signes de joie proportionnés à une si belle victoire.

Les habitants des villes et des bourgs qui se trouvaient sur leur passage sortirent au-devant des restes de ce grand homme, avec le même empressement qu’ils avaient coutume de lui montrer quand il revenait de ses expéditions, et, après avoir touché son urne, ils accompagnèrent le convoi jusqu’à Mégalopolis. Ces vieillards, ces femmes, ces enfants mêlés dans la foule, jetaient des cris perçants qui, de l’armée, retentissaient dans la ville. Les habitants répondaient à ces cris par leurs gémissements; car ils sentaient bien qu’avec ce grand homme ils avaient perdu leur prééminence parmi les Achéens. » (Plutarque).

Petite affaire que cette mesquine prééminence! La véritable perte fut celle que fit la Grèce du dernier soutien de sa dignité. Comme on dit que les mères aiment mieux le fils qu’elles ont porté dans l’âge mûr, la Grèce ayant enfanté Philopomen dans sa vieillesse, après tous les grands hommes qu’elle avait déjà produits, l’aima d’un singulier amour, et l’appela le dernier de ses enfants.

Principales colonies grecques

Les Grecs avaient couvert de leurs colonies toutes les côtes de la Méditerranée, et quelques-unes des villes qu’ils y avaient fondées brillèrent quelque temps d’un vif éclat. Telles furent :

Dans l’Asie Mineure, Milet, Smyrne, Ephèse et Phocée;
En Afrique, Cyrène;
En Espagne, Sagonte;
En Gaule, Marseille;
En Italie, Crotone, Sybaris et Tarente;
En Sicile, Messine, Agrigente et Syracuse.

Parmi les îles grecques, celles qui jouèrent le rôle le plus important furent Corcyre (Corfou) dans la mer Ionienne; Samos, Rhodes et Chypre, le long des rivages de l’Asie Mineure.

Milet, Thalès et les Sages

Milet, célèbre par son immense commerce, ses trois cents comptoirs établis sur les côtes de l’Euxin, la mollesse de ses habitants et les riches tissus de laine qu’elle fabriquait, fut soumise par les Perses au temps de Cyrus. Athènes la délivra; Alexandre la soumit; Rome lui rendit cette ombre de liberté qu’elle laissait volontiers aux peuples qu’elle ne redoutait pas. Thalès, un des plus grands hommes de la Grèce, était né dans ses murs, au VIIième siècle avant J. C. Il fit d’importantes découvertes en mathématiques et prédit une éclipse de soleil.

Thalès fut mis au nombre des Sages. On varie sur leur nombre comme sur leurs noms; les uns en nommaient sept, d’autres dix. Thalès de Milet, Bias de Priène, Pittacos de Mitylène et Solon d’Athènes étaient les seuls qu’on reconnût généralement. On leur adjoignait d’ordinaire Chilon de Sparte, Cléobule de Lindos et Périandre de Corinthe, qui fut pourtant un cruel tyran. On a conservé quelques-unes de leurs maximes:

Connais-toi toi-même;

Rien de trop;

L’infortune te suit de près;

Qui donne la sagesse? l’expérience;


La vraie liberté, c’est une conscience pure.

Et encore le grand précepte :

Ne fais pas toi-même ce qui te déplaît les autres.

Bias, qui mettait les seuls biens dans l’intelligence, disait, sortant nu de sa ville natale prise par l’ennemi : J’emporte tout avec moi. » Peut-être était-elle d’eux aussi, cette inscription gravée sur la porte du temple de Delphes: Tu es, » qui semble un écho de la Génèse, en ne reconnaissant l’existence absolue, éternelle qu’à la divinité seule1.

1. Il ne reste plus aujourd’hui de Milet que quelques ruines. Les alluvions du Méandre ont comblé ses quatre ports.

Smyrne et Ephèse

Smyrne passa par de plus cruelles vicissitudes que Milet. Elle fut détruite par les Lydiens. Alexandre la rebâtit; un tremblement de terre la renversa encore, mais Marc-Aurèle la fit reconstruire. Elle prétendait avoir donné le jour à Homère, Ephèse, comme Milet, n’est plus qu’un amas de ruines, et nulle cité ne l’égalait en magnificence. Son temple de Diane passait pour une des sept merveilles du monde. Un fou, Erostrate, l’incendia; Alexandre offrit de le rebâtir à ses frais, en ne demandant que le droit d’y placer son nom. Les Ephésiens répondirent comme les Athéniens à Périclès, par le refus de laisser cette gloire à un seul homme. Le temple avait 140 mètres de long, sur 70 de large. La nef était portée par 127 colonnes de 20 mètres de hauteur. On y fit usage, pour la première fois, de l’ordre ionique1. Ephèse obéit tour à tour aux Perses, aux successeurs d’Alexandre et enfin aux Romains après la défaite d’Antiochus le Grand, en 189 avant J. C.

Phocée fut très florissante au VIième siècle avant notre ère. Elle rivalisa alors d’activité et de puissance avec Milet. Tandis que les Milésiens exploraient tout le Pont-Euxin, les hardis navigateurs de Phocée allaient à l’Ouest jusque sur les côtes d’ltalie, de Corse, de Gaule, d’Espagne, et osaient même s’aventurer au-delà des colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar). L’Espagne était alors très riche en mines d’argent; aussi les Phocéens purent dans les premiers voyages emporter une telle quantité de ce métal précieux, qu’on disait qu’ils s’en étaient servi comme de lest et qu’ils en avaient chargé leurs ancres. Ils nouèrent de si intimes relations avec un roi de ce pays, que celui-ci voulut les décider à quitter leur patrie pour s’établir dans l’endroit de ses Etats qui leur plairait le plus. Ils n’y consentirent pas, mais acceptèrent de lui une grosse somme d’argent avec laquelle on entoura Phocée d’une haute et forte muraille.

Cette muraille ne put cependant les sauver. Cyrus fit assiéger leur ville par son lieutenant Harpagus. Quand ils virent qu’ils ne pouvaient plus la défendre, ils entrèrent en pourparlers avec Harpagus. Il leur demanda seulement d’abattre une des tours pour que les Perses eussent toujours libre entrée dans la ville. Mais eux, ne pouvant souffrir l’esclavage, le prièrent de leur accorder un jour pour délibérer, et, en attendant, de retirer ses troupes du pied des murs. Aussitôt que les Perses se furent éloignés, les Phocéens mirent leurs vaisseaux à la mer, y déposèrent leurs femmes, leurs enfants, leurs richesses et les statues des dieux, puis s’éloignèrent dans la direction de Chios. Arrivés dans cette île, ils demandèrent aux habitants de leur vendre quelques îlots du voisinage; les gens de Chios, peu touchés de l’héroïque résolution des Phocéens, refusèrent par un sentiment de basse jalousie. Ils craignirent d’établir près d’eux des rivaux de leur commerce.

Alors les Phocéens se décidèrent à émigrer en Corse, où ils avaient fondé vingt ans auparavant la ville d’Alalia (Aléria). Mais, avant de s’y rendre, ils voulurent revoir Phocée une dernière fois. Ils y retournèrent, et, la trouvant occupée par une garnison perse, ils immolèrent cette troupe aux mânes de leurs pères, puis ils jetèrent dans la mer une masse de fer rougie au feu, en faisant le serment de ne retourner à Phocée que le jour où cette masse de fer reviendrait à la surface de l’eau. Malgré ces terribles imprécations, une partie ne put résister au désir de demeurer aux lieux qui les avaient vus naître: ils se séparèrent de la flotte pour rentrer à Phocée; les autres continuèrent leur route vers l’Ouest, s’établirent en Corse et combattirent longtemps contre les carthaginois et les Etrusques qui dominaient dans ces mers. Ils se mêlèrent peu à peu avec les populations de la Corse et de l’Italie, ou gagnèrent Marseille, la plus renommée de leurs colonies.

Les premiers continuèrent l’existence de Phocée, qui passa, comme les autres cités de cette région, de la domination d’Alexandre sous celle des Romains. Il existe encore aux mêmes lieux une ville de Fochia avec quelques milliers d’habitants.

1. Il y a trois ordres principaux d’architecture mis en usage par les Grecs et qui sont caractérisés par les chapiteaux des colonnes : le dorique a le chapiteau le plus sévère et le plus simple; le corinthien a le plus riche, formé par des feuilles d’acanthe qui se déroulent; le chapiteau d’ordre ionique a, de chaque côté, deux volutes.

Cyrène

Hérodote raconte ainsi la fondation de Cyrène : Grinos, roi de l’île de Théra (Santorin), une des Cyclades, se rendit un jour à Delphes pour offrir une hécatombe au dieu; parmi ceux qui l’accompagnaient était un citoyen nommé Battos. Quand la Pythie eut répondu à ses questions, elle ajouta qu’il devait bâtir une ville en Libye. « Mais, seigneur », répondit le roi des Théréeris, « je suis trop vieux et trop pesant pour me mettre en voyage: donnez un tel ordre à un de ces jeunes gens, plus en état que moi de l’exécuter. » En disant ces mots, il indiquait de la main Battos. De retour à Théra, on négligea l’oracle, car les habitants, qui ne savaient pas où la Libye était située, n’osèrent faire partir une colonie pour un lieu inconnu. Cependant il arriva que, durant sept années consécutives, il ne tomba pas de pluie dans l’île, et que les arbres y séchèrent tous, à l’exception d’un seul. Les Théréens consultèrent de nouveau l’oracle, et la Pythie leur reprocha de n’avoir pas obéi au dieu. Ils se mirent alors en quête de quelqu’un qui connût la Libye. Après quelques informations recueillies en Crète, ils équipèrent deux vaisseaux sous la conduite de Battos, qui fonda la ville de Cyrène (632 av. J.C.) dans une des plus fertiles et des plus délicieuses régions de l’Afrique. Quatre autres s’y élevèrent bientôt : Apollonie, qui servit de port à Cyrène, Barcé, Tauchira et Hespéris. Ces villes soumirent à leur influence les nomades qui les entouraient.

Les Perses établirent leur autorité dans la Cyrénaïque, sous Darius, mais la perdirent après leurs grandes défaites en Grèce. Les Ptolémées s’emparèrent ensuite de ce pays, et un d’eux en fit un royaume particulier pour son fils Apion. Ce prince, se voyant sans enfants, légua ses Etats aux Romains (96 avant J. C.).

A Cyrène naquirent un grand mathématicien, Eratosthène, et un poète remarquable, Callimaque. Eratosthène sut le premier mesurer un degré du méridien, et construisit une carte du monde alors connu qui servit longtemps. Callimaque a beaucoup écrit, mais il ne reste de lui que 31 épigrammes, une élégie et quelques hymnes. On le regardait comme le premier des poètes élégiaques de la Grèce, pour l’élégance de son style.

Un autre citoyen de Cyrène, Aristippe, fut un philosophe célèbre. Sa morale n’était pas rigoureuse, et il hantait très volontiers les grands; mais il se dédommageait par des bons mots des caprices auxquels il était forcé de se soumettre. Un jour, après avoir vainement supplié Denys le Tyran d’épargner un de ses amis, il se jette à ses pieds, et obtient enfin cette grâce. On le blâmait de s’être ainsi humilié devant un homme. « Est-ce ma faute », répondit-il, « si Denys a les oreilles aux pieds? » Une autre fois, le tyran ne lui donna à table que le dernier rang. « Vous voulez honorer cette place », lui dit-il.

Sagonte

Cette ville, bâtie en Espagne par une colonie que les habitants de l’île de Zacynthe y envoyèrent, est célèbre par le siège qu’elle soutint contre Annibal, et qui fut la cause de la seconde guerre punique. Plutôt que de se rendre, les habitants incendièrent eux-mêmes leur ville et ne livrèrent au vainqueur que des ruines fumantes, avec un mémorable exemple de patriotisme.

Marseille

Les Grecs plaçaient une gracieuse histoire à l’origine de cette ville. Un marchand phocéen, Euxène, aborda, disaient-ils, sur la côte gauloise, à quelque distance de l’embouchure du Rhône. Il était sur les terres du chef des Ségobriges, Nann, qui reçut bien l’étranger et l’invita au festin des fiançailles de sa fille. L’usage voulait que la jeune vierge vint elle-même offrir une coupe à celui des hôtes de son père qu’elle choisissait pour époux. Quand elle entra, à la fin du repas, tenant la coupe pleine, ce fut devant le Phocéen qu’elle s’arrêta. Nann accepta le choix de sa fille; il donna à l’étranger le golfe où il avait pris terre. Euxène y jeta les fondements de Marseille. Cette ville atteignit un haut degré de puissance et fut par sa marine, la rivale de Carthage et des Etrusques dans la mer qui baigne les côtes de la Gaule et du Nord de l’Espagne. Son gouvernement intérieur fut remarquable par sa sagesse et sa douceur. Le glaive destiné aux exécutions était rongé par la rouille, tant il servait rarement. Quand un étranger entrait dans la place, il était obligé, s’il portait des armes, de les laisser aux gardiens des portes, qui les lui rendaient au départ.

Marseille, par crainte de ses belliqueux voisins, les Gaulois, se lia de bonne heure à la politique des Romains et guida leurs légions quand elles commencèrent la conquête de la Gaule. Durant les guerres civiles; elle prit parti pour Pompée, et eut l’honneur de soutenir contre César un siège mémorable. Dès lors elle devint peu à peu une cité romaine. Sous les empereurs, ses écoles étaient si florissantes, que la jeune noblesse de Rome faisait le voyage de Marseille, comme auparavant elle allait à Athènes pour s’y instruire dans les lettres grecques.

Lucien raconte l’histoire suivante:

Un Marseillais, Ménécratès, était fort riche et exerçait dans la cité une charge considérable; mais, ayant proposé un décret contraire aux lois établies, il fut par le sénat privé de ses biens et de ses honneurs. Il s’en désola moins pour lui-même que pour sa fille, car elle était si laide et si contrefaite, qu’il avait espérée en peine, avec toutes ses richesses, pouvoir l’établir, et qu’il se désolait de penser que, lui mort, elle resterait sans soutien.

Mais Ménécratès avait un ami, Xénothémis, qui ne l’abandonna pas quand il le vit dans l’infortune. Xénothémls était le plus beau jeune homme et le plus riche citoyen de Marseille. Il fit préparer un grand festin, y invita Ménécratés et sa fille, en disant à son ami qu’il lui avait trouvé un gendre. A la fin du repas, après les libations, il remplit sa coupe, et, la présentant à Ménécratès : « – Reçois », lui dit-il, « cette coupe de la main de ton gendre, car j’épouse aujourd’hui ta fille Cydimaque; » et il ajouta, pour ne pas humilier la fierté de son ami devenu pauvre : « Tu sais bien qu’il y a longtemps que cela est convenu entre nous et que j’ai déjà reçu de toi vingt-cinq talents pour sa dot ». En même temps, malgré les instances contraires de Ménécratès, il présenta à l’assemblée Cydimaque, comme son épouse.

Depuis ce jour, il ne cessa de montrer à la fille de son ami la plus tendre affection et les égards qu’il aurait eus pour la personne la plus distinguée de la ville. Il fut récompensé de sa généreuse conduite, car il eut un fils de la plus remarquable beauté et d’une précoce intelligence. Quand l’enfant fut en âge de pouvoir prononcer quelques paroles, le père, après l’avoir habillé de deuil avec une couronne d’olivier sur ses beaux cheveux, le conduisit au milieu des sénateurs pour qu’il implorât leur pitié en faveur de son aïeul. La charmante figure de l’enfant, ses sourires au milieu des larmes, ses prières, excitèrent la compassion de l’assemblée. Le sénat remit à Ménécratès sa condamnation, et lui rendit ses honneurs et ses biens.

Les colonies grecques d’Italie

Les Hellènes étaient venus en tel nombre s’établir dans l’ltalie méridionale, que le pays avait pris d’eux le nom de Grande Grèce. On y trouvait, en effet, Cumes, Naples, Crotone, Sybaris, Tarente, Locres, Rhegium, et vingt autres cités grecques. La plupart de ces villes subsistent encore, et les traces de l’idiome hellénique, parlé il y a vingt siècles dans ce pays, ne sont pas aujourd’hui même effacées partout.

Cumes et Naples

Cumes, sur la mer Tyrrhénienne, fut la plus ancienne et longtemps la plus prospère; Naples ensuite l’effaça. Toutes deux subirent les premières la domination de Rome.

Sybaris et Crotone

Crotone et Sybaris se disputèrent la prépondérance dans le Brutium. Sybaris s’était élevée à un tel degré de puissance qu’elle commandait, dit-on, à vingt-cinq villes, et pouvait armer 300000 combattants; mais la richesse la corrompit. Ses habitants furent bientôt renommés pour leur mollesse : c’est l’un d’eux qui se plaignait que le pli d’une feuille de rose, qui s’était trouvée sur sa couche, l’empêchait de dormir; et aujourd’hui encore on appelle un Sybarite l’homme énervé par une vie molle et oisive. Comment s’étonner qu’avec de telles moeurs Sybaris n’ait pu sauver sa liberté? Les Crotoniates la détruisirent.

Crotone s’élevait dans la partie orientale du Brutium; Milon, le fameux athlète, était un de ses citoyens. Les Crotoniates étaient renommés à cause de leur force et de leur goût pour les études philosophiques. Pythagore vint se fixer au milieu d’eux, réformer leurs moeurs et leurs lois. Ils vainquirent Syharis mais ne purent résister aux Romains.

Tarente

Cette ville fut fondée vers l’an 707 av. J.C., durant la première guerre de Messénie, par des colons lacédémoniens, sur une étroite péninsule, au fond du golfe qui porte ce nom. Comme elle avait le meilleur port de cette côte, le commerce y afflua, et son territoire, extrêmement fertile, put nourrir une population nombreuse, qui, fière de sa richesse et de sa force, se crut l’égale des Romains. Un jour Tarente s’interposa d’une manière hautaine entre les Romains et les Samnites. Une autre fois, elle laissa insulter grossièrement les ambassadeurs du sénat. Quand les légions vinrent demander réparation, elle ne sut qu’appeler à son aide Pyrrhus, roi d’Epire, prince aventureux qui courait sans cesse d’une entreprise à l’autre (280 av. J.C.).

Les Tarentins croyaient que Pyrrhus allait se battre pour eux et qu’ils n’auraient qu’à payer ses soldats; mais le lendemain de son arrivée il fit fermer les bains, les théâtres, et força les Tarentins à prendre les armes. Ils ne lui furent d’aucun secours. Vainqueur une première fois des Romains, mais au prix de la moitié de son armée laissée sur le champ de bataille, il fut battu, forcé de fuir, et Tarente vit les Romains au pied de ses murs. Il leur fallut, après un long siège, ouvrir leurs portes et accepter la loi de Rome (272 av. J.C.).

Locres et Rhegium

La première de ces villes fondée dans le Brutium (Calabre) par des Locriens de la Grèce, vers le milieu du Vlllième siècle avant notre ère, souilla ses commencements par une perfidie. Les Locriens, dit Hérodote, avaient juré aux Sicules, sur les terres desquels ils étaient débarqués, de garder la paix avec eux tant qu’ils auraient la terre sous les pieds et la tête sur les épaules; mais chacun d’eux avait de la terre dans sa chaussure et une tête d’ail sur ses épaules. Croyant s’être mis, par ce stratagème, en règle avec la bonne foi et avec les dieux, ils attaquèrent les Sicules à la première occasion favorable et les dépouillèrent. Pourtant beaucoup de Sicules furent admis dans la nouvelle cité, qui prit et garda plusieurs de leurs coutumes.

Pour obtenir un remède à de longues dissensions, les Locriens consultèrent l’oracle de Delphes; il leur répondit de chercher un législateur. Ce fut au berger Zaleucos qu’ils s’adressèrent. On prétendit que Minerve l’avait inspiré et lui avait dicté ses lois en songe. Il les écrivit et les promulgua en 644 av. J.C., vingt ans avant Dracon, dont il eut toute la sévérité. Elles étaient précédées d’un magnifique préambule sur la divinité. L’ordonnance de l’univers, disait-il, prouve invinciblement son existence; et il montrait les vertus que les dieux exigent des citoyens et des magistrats. Les Locriens restèrent si attachés à leurs vieilles lois, qu’à en croire Démosthène, le citoyen qui voulait proposer une disposition nouvelle se présentait à l’assemblée une corde au cou. Si sa proposition passait, il avait la vie sauve; si elle était rejetée, on l’étranglait sur l’heure.

Rhegium était une colonie de Chalcidiens auxquels des Messéniens se mêlèrent. Ces deux villes entrèrent de bonne heure dans l’alliance de Rome. De la première, il ne reste plus que des ruines; mais Reggio commande toujours le passage du détroit.

Les colonies grecques en Sicile

Les brigandages des pirates étrusques, qui couraient les mers de la Sicile et de l’ltalie, et d’effrayantes traditions, rendues populaires par les poèmes d’Homère, sur la taille gigantesque et la férocité des habitants de la Sicile1, écartèrent longtemps les Grecs des pays de l’Occident. Un hasard fit tomber cet épouvantail : l’Athénien Théoclès, jeté par les vents sur les côtes de la Sicile, observa que, loin de répondre aux terribles peintures qu’on en faisait, les habitants étaient d’une grande faiblesse et offriraient une proie facile. Au retour, il raconta ce qu’il avait vu, et le beau ciel, la richesse, l’exubérante fertilité de cette île. Des habitants de la ville de Chalcis, en Eubée, auxquels se joignirent des gens de l’île de Naxos consentirent à suivre Théoclès. Ils abordèrent à la côte orientale de la Sicile et y fondèrent la ville de Naxos (735 av. J.C.), qui plus tard donna naissance à Léontion et à Catane.

Les traces de Théoclès furent bientôt suivies par des Doriens de Corinthe. En 734 av. J.C., la peste ravageait cette ville; la Pythie, consultée, ordonna à un des plus riches citoyens, nommé Archias, de s’exiler. Il avait tué le jeune Actéon dont le père, n’ayant pu obtenir justice, se tua lui-même aux jeux isthmiques, en chargeant Neptune de le venger. Le gouvernement de Corinthe, qui n’avait pas osé punir le coupable, redouta l’effet de cette malédiction paternelle et força Archias à se bannir. Il partit, emmenant avec lui une troupe de Corinthiens, laissa en chemin une partie de ses compagnons dans l’île de Corcyre, et vint aborder à la côte orientale de la Sicile. Il y trouva une île nommée Ortygia, de trois kilomètres de circonférence, placée à l’entrée d’un vaste port que la mer creusait derrière elle, et si proche de la terre ferme par une de ses extrémités qu’on put, dans la suite, l’y réunir par un pont. Plus tard, une source abondante et pure, la fontaine Aréthuse, y coula et inspira aux poètes de gracieux récits. Archias fonda en ce lieu une ville qui fut appelée, du nom d’un lac voisin, Syracuse. Syracuse devint, en peu de temps, par son admirable position, la ville la plus considérable de la Sicile, et établit à son tour des colonies : Acrai, en 664 av. J.C., et Casméné, en 644 av. J.C., Camarina, en 599 av. J.C. L’impulsion était donnée. De toutes parts on accourut vers ce nouveau monde. Des Mégariens élevèrent Megara Hybla, qui donna naissance à Selinous (Sélinonte) (628 av. J.C.). Des Rhodiens et des Crétois bâtirent Gela (687 av. J.C.), qui fonda, au bord de l’Acragas, la rivale de Syracuse, Agrigente (582 av. J.C.).

1. C’est là qu’Homère, dans l’odyssée, plaçait les cyclopes, géants monstrueux qui n’avaient qu’un oeil au milieu du front.

Gélon et Hiéron

Syracuse ne jeta un grand éclat qu’après que Gélon, tyran de la ville de Gela, eut fait reconnaître son autorité aux Syracusains. Ce fut lui qui gagna sur Hamilcar et les Carthaginois la grande victoire d’Himère, dans le même temps que les Grecs battaient à Salamine la flotte de Xerxès (480 av. J.C.). Il exigea, dit-on, parmi les conditions de paix qu’il imposa aux vaincus l’abolition des sacrifices humains; s’il obtint cette promesse, elle fut du moins bien mal exécutée par les Carthaginois. Syracuse que Gélon avait sauvée et agrandie, lui rendit après sa mort des honneurs divins accordés aux héros, et laissa son frère Hiéron succéder à son pouvoir (479 av. J.C.). Ce fut l’époque de la plus grande puissance de Syracuse. Sur un message d’Hiéron, Anaxilaos, tyran de Zancle et de Rhegium, laissa les Locriens en paix; Cumes, que les Carthaginois et les Etrusques attaquaient, fut sauvée par sa flotte. Pindare chanta cette victoire, et un casque de bronze, offrande d’Hiéron, trouvé dans les ruines d’Olympie, en a conservé jusqu’à nous le témoignage. Cruel, mais magnifique, Hiéron attirait à Syracuse les grands poètes, Pindare, Simonide et Eschyle. La tyrannie de son frère Thrasybule, qui lui succéda, amena une révolution. Tous les Grecs de l’île aidèrent les Syracusains à chasser le tyran (465 av. J.C.). La royauté fut abolie, et le gouvernement démocratique établi dans toutes les cités. Mais des troubles ensanglantèrent longtemps la ville qui ne recouvra que peu à peu son ancienne puissance. Une expédition dirigée contre elle par les Athéniens faillit causer sa perte. La désastreuse issue de cette entreprise mit au contraire le sceau à la gloire et à la puissance de Syracuse.

Dioclès

Quelque temps après, elle voulut réformer ses lois et confia ce soin à un de ses citoyens, Dioclès. Nous connaissons mal la législation de Dioclès. Sa mort seule suffirait pour son éternel honneur. Afin d’éloigner des délibérations du peuple toute possibilité de violence militaire, il avait défendu, sous peine de mort aux citoyens, de paraître en armes sur la place publique. Un jour qu’il revenait d’une expédition, il entendit gronder l’émeute sur la place, et, voulant l’apaiser, il y courut sans songer qu’il était armé. « Dioclès », lui crièrent aussitôt ses ennemis, « voici que toi-même tu violes ta loi »-Non », répondit-il, « je la confirme »; et aussitôt il se perça le sein. Les Syracusains lui élevèrent un temple, et la plupart des villes de Sicile adoptèrent ses lois. D’autres écrivains attribuent ce trait à Charonsas.

En 410 av. J.C., les Carthaginois reparurent en grand nombre en Sicile, d’ou ils auraient voulu chasser les Grecs! Afin de posséder seuls cette grande île. Annibal (Hannibal), petit-fils de cet Hamilcar qui avait été vaincu et tué par Gélon dans la gronde bataille d’Himère, s’empara d’abord d’Egeste, puis de Sélinonte qu’il rasa après en avoir égorgé la population.

A Himère, il parut un moment moins cruel. Il arracha 3000 des habitants aux mains de ses soldats, mais ce fut pour les conduire au lieu où son aïeul avait été tué, et les y faire égorger après d’affreuses tortures. Dans la ville, il ne laissa pas pierre sur pierre. On voit encore les ruines qu’il a faites.

Encouragé par ses succès, les Carthaginois s’avancèrent avec 120000 hommes contre Agrigente. C’était une des cités les plus riches. Il avait fallu rendre une ordonnance pour défendre aux Agrigentins d’avoir, en veillant aux portes et sur les murailles, plus d’un matelas, d’une couverture et de deux traversins. Aussi Agrigente, à l’approche des Carthaginois, avait fait provision de mercenaires, comptant qu’ils se battraient pour elle : ils la trahirent. La population n’eut que le temps de fuir durant la nuit. La ville fut détruite, et de tant d’opulence il ne resta que des ruines (406 av. J.C.).

Denys l’Ancien (405-368 av. J.C.)

Cet événement mit l’effroi dans Syracuse. Une assemblée fut convoquée; personne n’osait ouvrir un avis. C’est alors que parut Denys, fils d’un ânier, dit-on, et qui avait été greffier. Il avait attiré sur lui l’attention par de nombreux traits de courage, et son audace lui avait déjà donné un grand ascendant sur le peuple. ll se leva, accusa hautement les généraux de trahison, se fit nommer à leur place et, usant peu de temps après du stratagème dont Pisistrate s’était servi, se fit donner une garde de 600 hommes qu’il porta à 1000. Il les choisit parmi les plus pauvres et les plus résolus, les couvrit de vêtements magnifiques et les enivra d’espérances. Alors il s’établit dans l’île d’Ortygie où étaient tous les arsenaux et qui commandait le grand port. La foule aveugle s’était donné un tyran.

La peste ayant décimé l’armée des Carthaginois, ils préfèrent l’oreille à des propositions de paix. Un traité fut conclu, qui reconnaissait Denys comme maître de Syracuse (405 av. J.C.).

Pour n’avoir rien à craindre d’une révolte, il fortifia l’île d’Ortygie. Ce fut sa citadelle; il en fit sortir tous les anciens habitants dont ses mercenaires prirent la place. La précaution était bonne; car peu de temps après, le peuple, soulevé par ses exactions, l’eût chassé s’il n’avait cherché un refuge dans son fort. Craignant même d’y être forcé, il discutait déjà avec ses amis sa mort ou sa fuite. « Il faut vaincre ou mourir ici », dit un d’eux; « ta robe de roi doit être ton linceul ». Des mercenaires qu’il soudoya avec l’or des Syracusains le délivrèrent.

Il eut la sagesse de ne pas souiller son triomphe par des actes de vengeance. Mais, à quelques jours de là, comme les habitants étaient répandus dans la campagne pour la moisson, il fit visiter toutes les maisons et enlever toutes les armes. De minutieuses précautions mirent sa vie à l’abri des assassins, mais non à l’abri de la crainte, du soupçon, des terreurs.

Denys était un tyran, mais un tyran actif. Il entoura Syracuse de remparts formidables et essaya de chasser les Carthaginois de la Sicile. Une bataille navale gagnée par Himilcon amena ce général jusque dans le port de Syracuse. Il débarqua, dressa sa tente dans le temple de Jupiter Olympien, et fortifia son camp avec les pierres des tombeaux. Les Grecs attribuèrent à ces sacrilèges la peste qui bientôt dévora l’armée carthaginoise, et qui, en y jetant la terreur, y fit oublier la discipline et la vigilance. Denys en profita pour diriger une double attaque par terre et par mer, pendant une nuit sans lune. Une partie de la flotte ennemie fut incendiée, et le peu de soldats que les carthaginois purent armer furent battus, rejetés dans leur camp, et détruits jusqu’au dernier (394 av. J.C.).

Au lieu de pousser vivement sa victoire, Denys fit la paix avec les Carthaginois et tourna ses armes contre les Grecs italiotes. Rhegium, Crotone tombèrent en son pouvoir; sa flotte ravagea les côtes du Latium et de l’Etrurie. Du seul temple d’Agylla il emporta 1000 talents.

Revenant avec un bon vent de cette expédition sacrilège, il disait à ses courtisans : « Voyez comme les dieux protègent les impies! » A Syracuse, il avait déjà volé à Jupiter son manteau d’or massif qu’il remplaça par un manteau de laine, « l’autre étant trop froid en hiver et trop lourd en été », Esculape perdit aussi sa barbe d’or, « parce que’Apollon n’ayant pas de barbe, il n’était pas convenable que le fils en portât; » et Junon Lacinienne sa robe, d’un si merveilleux travail que les Carthaginois rachetèrent 120 talents.

Denys régna 38 ans. Sa domination fut stérile pour Syracuse autant qu’impitoyable. Et qu’a-t-elle été pour lui-même? Brave en face de l’ennemi, il fut dans son intérieur assiégé de continuelles terreurs. Il n’osait confier sa tête à un barbier, et se faisait bruler la barbe par ses filles avec des coquilles de noix ardentes. Il portait toujours une cuirasse sous ses vêtements et faisait visiter toutes les personnes admises en sa présence, même son frère, qu’il finit par proscrire, même son fils. Sa chambre était environnée d’un large fossé, sur lequel il y avait un pont-levis, et quand il haranguait le peuple, c’était du haut d’une tour. Il demandait un jour à Antiphon qu’elle était la meilleure espèce de bronze: « Celle dont on a fait les statues d’Harmodios et d’Aristogiton » répondit celui-ci. Ce mot lui coûta la vie; il alla rejoindre les 10000 victimes du tyran.

Il reste pourtant de Denys une vive image de ses terreurs, l’histoire, si elle est vraie, d’une épée suspendue par un fil au-dessus de la tête de ce Damoclès, imprudent courtisan, qui avait vanté le bonheur des rois, et obtenu une heure de royauté. Assis à une table splendide entourée d’esclaves qui accomplissaient tous ses désirs, il leva les yeux au milieu du festin et perdit, à la vue de ce fer menaçant, toute sa joie.

Denys le Jeune (368-343 av. J.C.)

Son fils, Denys le Jeune, lui succéda; mais n’ayant que des vices, sans une qualité, il perdit au bout de quelques années le pouvoir que son père lui avait légué. Un vertueux citoyen, Dion, qu’il avait exilé, revint du Péloponnèse pour délivrer sa patrie, et réussit à chasser le tyran (357 av. J.C.); mais il déplut au peuple par son austérité et il fut assassiné. Denys profita des troubles qui suivirent sa mort pour rentrer dans la ville (346 av. J.C.). L’exil ne lui avait rien appris; il montra tant de cruauté que les Syracusains se soulevèrent de nouveau et le forcèrent à se renfermer dans la citadelle.

Timoléon

Timoléon fut alors désigné par les Corinthiens pour rendre la paix à la ville qu’ils avaient fondée. C’était un homme vertueux, énergique, dévoué à la liberté, à laquelle il avait immolé son propre frère pour l’empêcher de saisir dans Corinthe la tyrannie. Il sut persuader à Denys de lui livrer la citadelle, et l’ancien tyran fut transporté avec ses trésors à Corinthe, où il vécut en simple particulier (343 av. J.C.). Le premier soin de Timoléon fut de renverser le tort que la tyrannie s’était construit. Sur son emplacement on éleva des portiques et des tribunaux. Mais, cette ville affranchie, il fallait la repeupler; car les révolutions avaient fait émigrer une partie des habitants. L’herbe croissait dans les rues désertes de Syracuse, et les animaux sauvages venaient jusqu’aux portes de la ville, dans les champs restés incultes. Timoléon écrivit par toute la Grèce pour engager des colons à venir se fixer dans Syracuse. 60000 répondirent à son appel. Il leur distribua des terres et leur donna des lois.

Après avoir rétabli l’ordre dans Syracuse, Timoléon tenta de le rétablir dans la Sicile. Il réduisit les tyrans des villes à vivre en simples particuliers, et il remporta une brillante victoire sur une armée de 70000 Carthaginois. Alors, regardant sa tâche comme terminée, il se démit de ses pouvoirs. Il passa les dernières années de sa vie dans la retraite, respecté de tous les habitants de l’île, qui venaient le consulter sur les traités, sur les partages de terres et les lois. Un jour deux orateurs osèrent l’accuser de malversations. Le peuple indigné se soulevait contre eux. Timoléon l’arrêta. « Je n’ai affronté », dit-il, « tant de dangers que pour mettre le moindre des citoyens en état de défendre les lois, et de dire librement sa pensée. »

Les Syracusains honorèrent jusqu’à son dernier jour leur libérateur, sollicitant ses conseils, et conduisant vers lui les étrangers qui passaient par leur ville, comme s’ils n’eussent plus rien à leur montrer, quand ils leur avaient fait voir une des gloires les plus rares dans la Grèce, et partout le héros de la probité et du désintéressement politiques.

Dans les derniers temps de sa vie, Timoléon devint aveugle; les Syracusains continuèrent à le consulter dans toutes les affaires importantes. Alors des députés lui amenaient un char qui le conduisait jusqu’au milieu de la place publique; la délibération s’ouvrait; Timoléon donnait son avis que la foule attentive recevait avec respect et suivait toujours. Il mourut ainsi plein de gloire et d’années (337 av. J.C.), laissant sa patrie d’adoption heureuse, grande et libre, et une mémoire sans tâche malgré la farouche vertu qu’un jour il avait montrée.

Ses funérailles se firent au milieu d’un immense concours et avec tout l’appareil des plus grandes solennités. Quand le corps eut été placé sur le bucher, un héraut s’avança et dit : « Le peuple de Syracuse a consacré 200 mines d’argent (une mine était la soixantième partie du talent) pour honorer par une pompe funèbre Timoléon le Corinthien; il a décrété qu’au jour anniversaire de sa mort, on célébrerait à perpétuité des jeux de musique, des combats gymniques et des courses de chevaux, parce qu’il a renversé les tyrans, vaincu les barbares, repeuplé de grandes cités et rendu aux Grecs de Sicile leurs lois et leurs institutions. »

Agathocle

Après Timoléon, l’histoire de Syracuse s’obscurcit. On entrevoit seulement que cette ville retomba dans la confusion et l’anarchie. Un tyran en sortit encore, Agathocle, qui dans sa jeunesse avait exercé la profession de potier. Il se signala, comme Denys l’Ancien, par son courage; comme lui gagna les soldats, et par eux saisit le pouvoir. Pour être maître de la ville, il lui fallait une armée; pour avoir une armée, il lui fallait la guerre. Il la fit aux Carthaginois. Vaincu dans une grande bataille, il fut assiégé dans Syracuse. Il conçut alors le projet le plus hardi : rendre à Carthage siège pour siège, et porter sous ses murs le théâtre de la guerre.

Sans confier à personne son dessein, il équipe une flotte montée par 14000 hommes, sort du port, trompe la flotte ennemie à la faveur d’une éclipse, et aborde en Afrique. Alors, saisissant une torche, il déclare à ses soldats qu’il a fait voeux à Cérès et à Proserpine, pendant la traversée, de leur sacrifier ses vaisseaux, et il y met le feu; ses officiers l’imitent; ses soldats, ransportés d’enthousiasme, jurent de ne quitter l’Afrique que maîtres de Carthage.

Ils y marchent aussitôt. Deux cents villes, dit-on, sont prises ou passent dans son alliance. Les Numides lui fournissent des troupes. Ophellas, gouverneur de Cyrène; lui amène 20000 hommes, et les Carthaginois effrayés abandonnent Syracuse. Mais, pour n’avoir pas à partager avec Ophellas, Agathocle le fait assassiner dans une sédition. Ce meurtre détache de lui une partie de ses nouvelles troupes; de mauvaises nouvelles qui arrivent de Sicile l’obligent à passer dans l’île. En son absence, ses lieutenants sont battus en Afrique. Il accourt; ses soldats rebelles l’emprisonnent. Redevenu libre, il s’échappe sur une trirème qui le ramène à Syracuse (307 av. J.C.), tandis que ses fils sont égorgés par les soldats et que Carthage remercie ses dieux sanguinaires, en leur immolant les plus beaux des prisonniers syracusains.

Agathocle, après ce désastre, devint atroce. Pour venger ses fils, il inonda Syracuse de sang : tous les parents des soldats de l’armée furent mis à mort. Il périt lui-même empoisonné par un de ses fils, et fut, dit-on, placé sur le bûcher avant d’avoir rendu le dernier soupir (289 av. J.C.).

Pyrrhus

C’est peu d’années après que les Syracusains appelèrent Pyrrhus, roi d’Epire. Il refoula les Carthaginois à l’Ouest; mais un échec qu’il essuya devant Lilybée, l’empêche d’achever la délivrance de l’île, et il se retira, comme il était venu, en aventurier, pillant les temples sur sa route.

On connaît le mot qu’il dit en quittant la Sicile : « Quel beau champ de bataille nous laissons aux Romains et aux Carthaginois ! »

Syracuse soumise aux Romains

Pour tenir tête à Carthage, maîtresse incontestée de l’Afrique, il n’était plus question de Syracuse, elle n’était pas de force. Elle le sentit si bien qu’elle renonça elle-même à son ancienne politique, et que, sous Hiéron qui la gouverna sagement de 275 à 215 av. J.C., elle se résigna d’abord au rôle d’alliée de Carthage contre Rome, d’où venait désormais le plus grand danger. Vaincu avec Carthage, Hiéron obtint des Romains cinquante ans de paix, et la domination paisible de plusieurs villes de la Sicile : période qui nous mène jusqu’en 212 av. J.C., où Syracuse, après avoir bravé toutes les forces d’Athènes, et tant de fois celles de Carthage, succomba sous l’épée de Rome. Du moins à la dernière page de son histoire parut un grand nom : celui d’Archimède, puissant géomètre, qui la défendit deux ans contre Marcellus.