La troisième guerre macédonienne (172-168 av. J.C.)

Secrets préparatifs du roi Philippe (197-183 av. J.C.)

Le roi de Macédoine ne pouvait se résigner à sa défaite et il se préparait en secret à une guerre nouvelle. Le sénat romain devina ses projets, et, pour en diminuer le danger, songea à se défaire de deux hommes dont il redoutait le génie : Philopoemen en Grèce, Annibal en Asie. Le vainqueur de Cynoscéphales accepta la honteuse mission de délivrer le peuple-roi de ces deux vieillards.

Mort de Philopoemen et d’Annibal (183 av. J.C.)

Flamininus passa d’abord par Messène, ville de la ligue Achéenne qu’il poussa à se séparer de la confédération, dont Philopoemen était alors le général. A peine, en effet, Flamininus eut-il quitté Messène qu’une sédition y éclata contre les Achéens. Malgré ses soixante-dix ans et une maladie récente, Philopoemen fit dix-sept lieues en un jour, pour étouffer l’insurrection; mais dans une rencontre avec les Messéniens, il tomba de cheval, fut pris et condamné par eux à boire de la ciguë (183 av. J.C.). Lycortas, son ami, le vengea sur ceux qui l’avaient fait périr, et la Grèce entière lui fit de magnifiques funérailles. Le grand historien Polybe porta dans cette pompe lugubre l’urne qui renfermait les cendres du héros.

Annibal périt la même année. Il s’était retiré auprès du roi de Bithynie, Prusias, et avait fait préparer à sa maison sept issues secrètes; quand il voulut fuir, au bruit de l’arrivée de Flamininus, elles étaient toutes gardées. « Délivrons », dit-il, « les Romains de leurs terreurs, » et il prit un poison violent qu’il portait toujours sur lui.

Persée (179 av. J.C.)

Cependant Philippe restait menaçant : il se faisait lire chaque jour son traité avec Rome pour nourrir son ressentiment; il s’alliait aux Bastarnes, peuplades des bords du Danube qu’il voulait précipiter sur l’Italie; il comptait soulever la Grèce et appeler tous les rois à la liberté. La mort ne renversa pas ses desseins, car son fils Persée hérita de sa haine, comme de son royaume (179 av. J.C.). Durant six années, il travailla à augmenter ses forces, réunit une armée de 40000 bons soldats, s’allia aux rois de Thrace et d’Illyrie. Les princes de l’Asie, même les Rhodiens faisaient des voeux pour lui; le sénat de Carthage reçut, la nuit, ses ambassadeurs; enfin, 30000 Bastarnes qu’il avait soldés approchaient, et le bruit de leur marche jetait déjà la terreur en Italie.

La troisième guerre macédonienne (172-168 av. J.C.)

Le roi de Pergame, Eumène, ennemi des Macédoniens, se hâta de courir à Rome dénoncer ces préparatifs. A son retour, des gens apostés se jetèrent sur lui, près du temple de Delphes, et le laissèrent pour mort sur la place. Le sénat demanda des explications; Persée répondit avec colère et la guerre fut déclarée (172 av. J.C.).

La bataille de Pydna (22 juin 168 av. J.C.)

Les commencements n’en furent pas heureux pour Rome: Persée battit deux fois les Romains, et leur ferma pendant quatre ans l’entrée de la Macédoine. Il fallut envoyer contre lui Paul Emile. Ce vieux et rude capitaine remit en honneur dans l’armée la discipline, la vigilance et les exercices militaires. Il ôta aux sentinelles leur bouclier pour les rendre plus attentives. On laissait les gardes avancées tout le jour sous les armes, il les fit relever le matin et à midi pour que l’ennemi trouvât toujours aux avant-postes des troupes fraîches et reposées.

Persée avait reculé jusque sous les murs de Pydna. Une plaine s’étendait en avant de la ville, c’était un champ de bataille excellent pour la phalange, il résolut d’y combattre. Dans la nuit qui précéda l’action, une éclipse de lune alarma les Macédoniens; par l’ordre de Paul Emile, le tribun Sulpicius Gallus avait d’avance prédit et expliqué aux légionnaires ce phénomène. Quelques jours auparavant l’armée souffrait de la soif; le consul, guidé par la direction des montagnes, avait fait creuser dans le sable, et on avait trouvé de l’eau en abondance. Les soldats croyaient leur chef inspiré des dieux, et demandaient à grands cris le combat. Mais enfermé entre la mer, une armée de 45000 hommes et des montagnes impraticables pour lui s’il était vaincu, Paul Emile ne voulait rien donner au hasard; ce ne fut que quand il eut fait de son camp une forteresse, qu’il se décida à risquer une affaire décisive.

Les Macédoniens attaquèrent avec fureur. La plaine étincelait de l’éclat des armes, et le consul lui-même ne put voir sans une surprise mêlée d’effroi les rangs serrés et impénétrables de la phalange, ce rempart hérissé de piques. D’abord la phalange renversa tout ce qui lui était opposé, mais le succès l’entraînant loin du terrain que Persée lui avait choisi, les inégalités du sol, le mouvement de la marche y ouvrirent des vides où Paul Emile lança ses soldats. Dès lors ce fut comme à Cynoscéphales; la phalange ébranlée, désunie, perdit sa force; au lieu d’une lutte générale, il y eut mille combats partiels. La phalange entière, c’est-à-dire 30000 hommes, resta sur le champ de bataille; 11000 furent faits prisonniers. Les Romains n’avouèrent qu’une perte de 100 hommes (22 juin 168 av. J.C.).

Persée avait cherché un asile dans le temple de Samothrace. A la nouvelle que ses enfants avaient été livrés par un traître, il vint lui-même se remettre entre les mains de l’ennemi. Son allié, Gentius, roi d’Illyrie, avait déjà été contraint de se rendre.

La Macédoine conserva son indépendance; mais on la divisa en quatre districts dont les habitants ne pouvaient ni contracter mariage, ni même acheter ou vendre hors de leur territoire. L’Illyrie eut le même sort. Quant à l’Epire, on détruisit ses soixante-dix villes, et l’on vendit comme esclaves 150000 de ses habitants.

Le triomphe de Paul Emile (168 av. J.C.)

Cette solennité, à laquelle assista le peuple entier vêtu de toges blanches, dura trois jours. Le premier jour, passèrent, sur 250 chariots, les statues et les tableaux enlevés des villes et des palais de la Macédoine; le second, une longue file de voitures chargées d’armes, dont le fer ou l’airain récemment poli jetaient un vif éclat. Elles semblaient entassées plutôt que rangées avec art, et présentaient en avant les pointes menaçantes des glaives, et sur les côtés le fer aigu des lances macédoniennes. Quand elles s’entrechoquaient dans leur marche, elles rendaient un son martial et terrible. Venaient ensuite 3000 hommes portant 750 vases, dont chacun contenait quinze mille francs en argent monnayé; d’autres portaient des cratères et des coupes d’argent remarquables par leur grandeur et leurs ciselures.

Le troisième jour, dès le matin, les trompettes, au lieu d’airs joyeux, sonnèrent la charge : le triomphe commençait: 120 boeufs, les cornes dorées, couverts de bandelettes et de guirlandes, ouvraient la marche, conduits par de jeunes gens ceints d’écharpes brodées, et que des enfants accompagnaient avec des coupes d’argent et d’or. Puis des soldats portaient l’or monnayé dans 77 vases; 400 couronnes d’or données par les villes de Grèce et d’Asie, et les coupes d’or qui ornaient la table des rois de Macédoine.

Ensuite venait le char de Persée, chargé de ses armes et de son diadème. La foule des captifs suivait, et parmi eux le fils du roi de Thrace et les enfants du roi de Macédoine, auxquels leurs gouverneurs apprenaient à tendre vers la foule des mains suppliantes. Derrière eux marchait Persée, vêtu de deuil et l’air égaré comme si l’excès de ses maux lui avait fait perdre tout sentiment. Il avait demandé à Paul Emile de le soustraire à cette ignominie. « C’est une chose qui a toujours été et qui est encore en son pouvoir, » avait durement répondu le Romain, qui l’engageait par-là à échapper à la honte par une mort volontaire. Enfin paraissait le triomphateur suivi de ses cohortes pressées; mais de ses deux fils qui devaient être sur le char à ses côtés, l’un venait de mourir; l’autre expira trois jours après. Dans sa douleur, Paul Emile se félicitait encore de ce que la fortune l’avait choisi pour expier la prospérité publique. « Mon triomphe », disait-il, « placé entre les deux convois funèbres de mes enfants, aura suffi aux jeux cruels du sort. A soixante ans je retrouve mon foyer solitaire, après y avoir vu une nombreuse postérité; mais le bonheur de l’Etat me console. » Il vécut quelques années encore, fut censeur en l’an 160 av. J.C., et mourut dans cette charge.

Le sort de Persée (168-166 av. J.C.)

Persée l’avait précédé au tombeau. Jeté dans un cachot de la ville d’Albe, il comprit ce qu’était la clémence de Rome; et, dans l’année qui suivit le triomphe, il se laissa mourir de faim, ou il périt sous les lentes tortures de ses geôliers. Son fils aîné, Philippe, mourut avant lui; l’autre, pour gagner sa vie, apprit le métier de tourneur; plus tard l’héritier d’Alexandre parvint à la charge de greffier dans la ville d’Albe !

Terreur des rois après la chute de Persée (168 av. J.C.)

Le peuple romain n’avait, cette fois encore, rien pris pour lui, si ce n’est les 45 millions versés par Paul Emile dans le trésor, et les tributs imposés à la Macédoine, qui permirent au sénat de ne plus demander l’impôt aux citoyens. Mais il n’avait pas besoin de réunir de nouveaux territoires à son empire pour étendre sa domination. L’effroi était partout. Prusias, roi de Bithynie, se présenta au sénat la tête rasée, avec le bonnet d’affranchi. Eumène, roi de Pergame, Massinissa, roi de Numidie, voulaient apporter eux-mêmes leurs lâches hommages; on leur défendit l’entrée de l’Italie. Le roi de Syrie, Antiochus Epiphane, avait conquis une partie de l’Egypte, et assiégeait Alexandrie. Un député romain, Popilius, lui ordonna de rentrer dans ses Etats. Antiochus demandant quelques jours pour délibérer, Popilius traça autour de lui un cercle sur le sable: « Avant de sortir de ce cercle, vous répondrez au sénat. » Et le roi avait rappelé ses armées, abandonné sa conquête.

Exécutions en Grèce (168 av. J.C.)

En Grèce, tous ceux qu’on soupçonnait d’avoir, au fond du coeur, fait des voeux pour Persée, furent enlevés, conduits en Italie et emprisonnés. Tout le sénat étolien, 550 membres, fut massacré. Ce qu’il y avait encore d’hommes considérés en Epire, dans l’Acarnanie, l’Etolie et la Béotie, suivirent Paul-Emile à Rome. Mille Achéens, dénoncés au sénat comme partisans secrets de la Macédoine, y furent déportés.

La Macédoine, province romaine (148 av. J.C.)

Dix-sept ans après, un aventurier, Andriscos, se donnant pour fils de Persée, souleva la Macédoine avec une armée de Thraces (149 av. J.C.) et fit alliance avec les Carthaginois, qui commençaient alors leur troisième guerre punique. Il remporta d’abord quelques avantages; mais fut battu et pris par Métellus, qui l’envoya à Rome. Un second imposteur tenta vainement de renouveler la guerre quelques années plus tard. Le sénat se décida cette fois à réduire la Macédoine en province (148 av. J.C.).

La Grèce, province romaine (147-146 av. J.C.)

La ligue Achéenne avait été formée ou du moins renouvelée, au milieu du III siècle avant notre ère. Aratus, l’avait étendue à la plus grande partie du Péloponnèse. Mais elle était trop faible pour lutter sérieusement contre Rome. Quand la Macédoine fut tombée, rien ne pouvait rester debout en Grèce. En l’année 147 av. J.C., le sénat romain résolut de la détruire.

Les Achéens, qui depuis quarante ans tremblaient devant Rome, retrouvèrent quelque courage dans l’excès de l’humiliation. Ils prirent les armes et coururent au-devant des légions. Le consul Métellus les tailla en pièces; mais, en armant jusqu’aux esclaves, leur chef Diéos réunit encore 14000 hommes, et, posté à Leucopétra, à l’entrée de l’isthme de Corinthe, il attendit le nouveau consul Mummius. Sur les hauteurs voisines, les Achéens avaient placé leurs femmes et leurs enfants pour les voir vaincre ou mourir. Ils moururent; Corinthe fut prise, pillée, livrée aux flammes; la ligue fut dissoute; la Grèce enfin, sous le nom d’Achaïe, forma une nouvelle province romaine. On raconte que Mummius comprenait si peu ce qu’est un chef-d’oeuvre de l’art, qu’il avait imposé aux négociants chargés de transporter en Italie les statues et les tableaux de Corinthe, l’obligation de les recommencer, s’ils les détérioraient ou les perdaient en route.

Le royaume de Pergame, province romaine (129 av. J.C.)

Le dernier roi de Pergame, Attale III, avait montré une cruauté insensée. Il se faisait tour à tour sculpteur, fondeur, médecin, et tuait tous ceux qui n’applaudissaient pas à ses folies. Il essayait sur ses parents, ses amis et ses gardes, les plantes vénéneuses qu’il cultivait lui-même. Quand il mourut (133 av. J.C.), le sénat prétendit que, par son testament, il avait institué le peuple romain son héritier. Dans ce legs, le sénat comprenait le royaume et voulut s’en saisir. Mais un membre de la famille royale, Aristonic, souleva les habitants, battit et fit prisonnier le consul Licinius Crassus, qui pour ne pas survivre à cette honte, insulta un soldat barbare et se fit tuer. Perpenna, qui le remplaça, le vengea sans peine. Il s’empara d’Aristonic qui fut envoyé à Rome et étranglé dans sa prison. Le royaume de Pergame devint une des provinces de la république, sous le nom d’Asie (129 av. J.C.).