L’anarchie Militaire (193-285)

Pertinax (193)

Les meurtriers de Commode mirent à sa place, le 1er janvier 193, le préfet de la ville, Pertinax. C’était un vieillard sévère, qui voulut remettre l’ordre dans l’Etat et dans les finances, ébranlés par les folies du dernier prince. Mais cet ordre et cette économie ne faisaient pas le compte des soldats; ils vinrent l’égorger dans son palais au bout de trois mois (23 mars).

Didius Julianus-L’Empire vendu aux enchères (193)

Alors commencèrent des scènes sans nom et heureusement sans exemple. La soldatesque mit littéralement l’empire aux enchères; deux enchérisseurs se présentèrent, qui luttèrent entre eux des promesses, et la monarchie d’Auguste fut adjugée au vieux consulaire Didius Julianus, au prix de 6250 drachmes pour chaque soldat. La vente terminée, les prétoriens conduisirent, en ordre de bataille, Didius au palais. Les légions des frontières voulurent, elles aussi, donner l’empire pour ne pas laisser aux seuls prétoriens les profits d’une élection. Les légions de Bretagne proclamèrent leur chef Albinus; celles de Syrie, Pescennius Niger; celles de l’Illyrie, Septime Sévère. Celui-ci se trouvant le plus rapproché de Rome en prit la route. Didius fut tué, et Sévère reconnu empereur.

Septime Sévère (193-211)

Sévère avait deux compétiteurs redoutables. Il amusa l’un par des promesses tandis qu’il abattait l’autre. Niger, vaincu en Orient, fut tué à Antioche (195). Pour Albinus, il perdit une grande bataille et la vie près de Lyon (197). Cette ville fut pillée et livrée aux flammes. Sévère croyait que le sénat de Rome était favorable à Albinus, il lui envoya la tête de ce rival avec une lettre menaçante; et, de retour à Rome, y exerça les plus affreuses cruautés. Quarante et une familles sénatoriales s’éteignirent sous la hache du bourreau.

Sévère fit deux guerres : l’une contre les Parthes, auxquels il prit Séleucie et Ctésiphon, sans pouvoir les garder; l’autre contre les Calédoniens, dont il crut arrêter les ravages en construisant un mur d’une mer à l’autre pour les empêcher de sortir de leurs montagnes.

Il avait coutume de dire à ses fils: « Contentez les soldats, et ne vous inquiétez pas du reste. Avec eux vous repousserez les barbares et vous contiendrez le peuple. » Ce n’est pas qu’il négligeât la discipline. Loin de là, elle ne fut jamais si sévèrement maintenue; mais il leur accordait en même temps des privilèges, une augmentation de solde et des distinctions, pour faire d’eux l’unique appui de son gouvernement.

Pendant l’expédition, il avait été constamment malade; son fils Bassien, appelé Caracalla, du nom d’un vêtement gaulois qu’il aimait à porter, ne put cependant attendre sa fin prochaine et tenta de l’assassiner. Dès lors le mal de l’empereur augmenta. Il disait : « J’ai été tout, et tout n’est rien. » Son dernier mot d’ordre avait été laboramus ! (travaillons)! Il avait ordonné la cinquième persécution contre les chrétiens. Les Gaules, où la religion faisait alors de rapides progrès, en souffrirent cruellement.

Caracalla (211-217)

Sévère laissait deux fils, Caracalla et Géta. Les deux frères, qui avaient déjà troublé le palais de leurs querelles, voulurent partager l’empire; Julia Domna, leur mère, s’y opposa. Ils en vinrent bientôt à menacer réciproquement leur vie; Caracalla réussit le premier : il poignarda son frère dans les bras de leur mère. Le célèbre jurisconsulte Papinien refusa de faire une publique apologie du fratricide. Il fut mis à mort, et avec lui périrent 20000 personnes amies de Géta ou ses partisans. Caracalla ne sévit pas seulement à Rome, il porta dans toutes les provinces sa cruauté. A Alexandrie, pour se venger de quelques épigrammes, il ordonna un massacre de tout le peuple désarmé. Il fut tué à Charres par un centurion qui avait une injure à venger (217).

Macrin (217-218)

L’armée élut le préfet des gardes, Macrin. Des mesures sévères qu’il prit pour le rétablissement de la discipline lui aliénèrent les soldats. Ils proclamèrent un jeune prêtre du soleil à Emèse, qui était de la famille de Septime Sévère. Macrin, vaincu, fut tué à Chalcédoine (juin 218)

Elagabal (218-222)

Bassianus, plus connu sous le nom du dieu syrien dont il était le prêtre, Elagabal, apporta sur le trône impérial les passions les plus honteuses de l’Orient, il donna les premières charges de l’Etat à des danseurs et à des barbiers, et, comme le grand roi, voulut être adoré. Son palais était sablé de poudre d’or et d’argent; ses vêtements, toujours chargés de pierreries, ne servaient pas deux fois, et il remplissait ses viviers d’eau de rose pour s’y baigner; il donnait des batailles sur des lacs de vin. Les soldats eux-mêmes eurent bientôt horreur de ce prince monstrueusement efféminé; ils le tuèrent et saluèrent empereur son cousin Alexandre Sévère, âgé seulement de 14 ans, qui resta sous la direction de son aïeule Moesa et de sa mère Mammée. Elagabal n’était guère plus âgé quand on lui avait déclaré que le monde entier était soumis à ses volontés.

Alexandre Sévère (222-235)

Le nouveau maître du monde fut le meilleur prince de ce siècle déplorable, où l’on ne voit que révoltes des soldats, crimes des empereurs, invasions des barbares et décadence de la civilisation. Il fit graver au frontispice de son palais ces mots, fondement de la morale sociale : « Fais à autrui ce que lu voudrais qu’on te fît à toi-même. » Mais ses vertus ne pouvaient suffire à la rude tâche de maintenir les soldats dans la discipline. Un jour, ils égorgèrent, sous ses yeux, leur préfet Ulpien, le plus célèbre des jurisconsultes romains.

En 226, le royaume des Parthes fut renversé par le Perse Artaxerxès, qui se disait descendant des anciens rois persiques. Il réclama toutes les provinces qu’avait autrefois possédées Darius. Alexandre répondit en attaquant les Perses. La nouvelle d’une invasion des Germains en Gaule le rappela sur les bords du Rhin. Il y fut tué dans une émeute suscitée par le Thrace Maximin. Il n’avait que 26 ans.

Maximin (235) Maxime et Balbin (237)

Maximin, Goth d’origine, et qui dans sa jeunesse avait gardé les troupeaux, était une espèce de géant haut de 7 pieds (2.15 m), fort à proportion, qui mangeait, par jour, 40 livres de viande, et buvait une amphore de vin (26 litres). Un jour il avait terrassé, sous les yeux de Septime Sévère, 16 légionnaires l’un après l’autre. Ce barbare, qui n’osa pas venir une seule fois à Rome, traita l’empire en pays conquis, pillant les temples et les villes, battant monnaie avec les statues de leurs dieux, et confisquant les revenus municipaux. Aussi on se lassa vite de lui. Le proconsul d’Afrique, Gordien Ier, riche sénateur, âgé de 80 ans, et son fils Gordien II, qu’on disait descendants des Gracques, furent, malgré leurs prières, proclamés empereurs dans cette province. Le sénat les reconnut et déclara Maximin ennemi public. Les deux Gordien ayant péri, le sénat, qui ne pouvait plus reculer, choisit deux empereurs dans son sein, un ancien soldat, Maxime Pupien, et le jurisconsulte Claudius Balbin. Le peuple exigea qu’un fils du jeune Gordien fût déclaré César. Mais les soldats ne voulaient aucun d’eux; ils se ruèrent sur le peuple et mirent le feu à la ville : une grande partie de Rome fut détruite. Cependant Maximin, qui assiégeait Aquilée, fut égorgé dans son camp avec son fils (238). Trois mois après, les élus du sénat eurent le même sort à Rome. Les prétoriens les tuèrent dans leur palais et déclarèrent le jeune Gordien âgé de treize ans seul chef de l’empire.

Gordien III (238-241), Première apparition des Francs (241)

Sous ce prince, les Francs furent vaincus, près de Mayence, par le tribun Aurélien (241). Des soldats chantaient après ce succès: « Nous avons tué mille et mille Francs, nous tuerons mille et mille Perses. Ainsi le nom de nos pères se trouve pour la première fois dans une chanson de soldats, qui exprime à la fois leur valeur et la frayeur des Romains. » (Chateaubriand.) L’Arabe Philippe tua l’empereur et prit sa place.

Philippe l’Arabe (244-249)

Au bout de cinq ans, les soldats trouvèrent que le règne de Philippe avait assez duré, et de toutes parts des révoltes éclatèrent. Dans le même temps, les barbares franchirent le Danube, et le sénateur Décius, qu’il envoya pour chasser les Goths de la Pannonie, fut proclamé par ses troupes. Philippe lui livra bataille près de Vérone et y fut tué; on égorgea son fils à Rome. La tranquillité dont jouit l’Eglise, sous son règne, a fait croire à tort qu’il était chrétien.

Décius (Dèce) (249-251)

Plus la dissolution de l’empire semblait imminente, sous le coup de tant de désordres et de révolutions, plus les tribus germaniques devenaient menaçantes. Les Goths, jadis relégués aux bords de la Vistule, et plus loin encore dans la Scandinavie, sous leur chef ou Dieu Odin, campaient maintenant sur les frontières de l’empire. Ils envahirent d’abord la Dacie, puis la Moesie, et en 250 leur roi Cniva pénétra avec 70000 guerriers jusqu’à Philippopolis en Thrace. Décius marcha contre eux, et après quelques succès périt dans une grande bataille livrée en Moesie (oct. 251). Il avait ordonné une cruelle persécution contre le christianisme, qui grandissait malgré les supplices.

Gallus (251), AEmilianus (253), Valérien (253)

Gallus (Trébonien Galle) acheta la paix des Goths. Payer aux barbares un tribut annuel, c’était les rappeler. AEmilius, qui les battit, prit la pourpre. Gallus marchait contre lui, quand il fut tué par ses soldats (253); AEimilianus (Marcus Aemilius Aemilianus, gouverneur de Mésie) ne lui survécut que quatre mois et eut le même sort. Valérien qui arrivait pour venger Gallus, avec les légions du Rhin, fut salué empereur et nomma César son fils Gallien.

L’empire était dans un affreux désordre. Les Alamans avaient franchi le Rhin, les Goths le Danube, les Perses l’Euphrate, la famine et la peste désolaient sans relâche les provinces, et les persécutions contre les chrétiens montraient dans toutes les villes l’appareil des tortures et des supplices. Valérien, qui voulut arrêter les Perses, fut pris par eux. C’était la première fois que la pourpre impériale recevait cet outrage (260). Cette captivité dura pour lui jusqu’à la mort, avec d’indignes outrages. Sapor rentra dans Antioche. Balista, préfet du prétoire, le força enfin de repasser l’Euphrate, aidé d’un chef arabe, Odenath, qui contint les Perses derrière ce fleuve, mais obligea Gallien de le reconnaître comme Auguste (264). Palmyre, la capitale d’Odenath, située dans une oasis à trois journées de l’Euphrate, était devenue riche et puissante à la faveur d’un immense commerce. Des ruines imposantes témoignent encore de sa grandeur passée.

Gallien (260-263)

Depuis la captivité de son père, Gallien gouverna seul pendant huit années, qui ne furent qu’une lutte sans relâche contre les usurpateurs, les barbares et les calamités de toutes sortes qui vinrent fondre sur l’empire. C’est l’époque qu’on appelle celle des 30 tyrans. Il n’y en eut, en réalité que 19 ou 20, se combattant et se précipitant les uns les autres. La Gaule fut alors 13 ans indépendante sous des empereurs qu’elle choisissait.

Les Goths profitèrent de ces affreux désordres. Ils ravagèrent la Thrace et la Grèce. Un d’eux voulait brûler à Athènes les bibliothèques, un autre l’arrêta, « Laissons », dit-il, « à nos ennemis, ces livres qui leur ôtent l’amour des armes. » Gallien ne mit un terme à leurs dévastations qu’en leur donnant de grosses sommes. En 268 il fut assassiné sous les murs de Milan, où il assiégeait un compétiteur, Auréolus.

Restauration de l’empire par les princes illyriens (268-285)

Gallien expirant choisit pour son successeur un Dalmate, qui était alors le général le plus renommé de l’empire, et qui commença une série d’empereurs sortis des régions illyriennes : Aurélien, Probus, Dioclétien, Constantin, qui refoulèrent l’invasion et firent vivre la domination romaine un siècle de plus.

Claude II (268); Aurélien (27O)

Claude remporta une grande victoire sur les Goths, mais périt de la peste. Aurélien, brave soldat, qui avait conquis ses grades par son courage, continua ce premier effort heureux contre l’invasion. Il vainquit une immense armée barbare en Pannonie, chassa les Alamans de l’Italie, qu’ils avaient envahie, et fit reculer les Goths au-delà du Danube.

L’empire était reconquis sur les barbares; mais l’épouse d’Odenath, Zénobie, régnait, depuis la mort de son époux, dans la moitié des provinces romaines de l’Orient, et Tétricus était maître de la Gaule. Aurélien poursuivit Zénobie jusque dans Palmyre, et força la Gaule de rentrer sous son obéissance.

Le triomphe qu’Aurélien célébra en commémoration de ses victoires fut le plus magnifique que Rome eût vu depuis longtemps. Tétricus et Zénobie y parurent avec leurs enfants et nombre de prisonniers appartenant aux nations les plus éloignées. Le triomphateur était lui-même monté sur un char traîné par quatre cerfs, attelage qui avait été pris à un roi goth. Tétricus fut nommé gouverneur de Lucanie; son fils devint sénateur, et Zénobie se retira dans une belle villa du territoire de Tibur, entre celles d’Horace et d’Adrien. Leurs enfants se marièrent dans les plus grandes maisons, et Eutrope vit, sous le règne de Valens, leurs descendants.

Pour occuper l’esprit remuant des légions, Aurélien préparait une expédition contre les Perses, lorsque son secrétaire, accusé de concussions et craignant le châtiment le fit assassiner (275). Il mourut regretté des troupes, haï du sénat, jugé par tous trop sévère, mais avec le renom d’un prince habile, qui eût peut-être sauvé l’Etat.

Tacite (275)

Comme il n’y avait pas à l’armée de chef populaire parmi les troupes, les soldats renvoyèrent l’élection au sénat, qui proclama un de ses membres, Tacite, vieillard de 75 ans. Il prétendait descendre de l’historien de ce nom. Au bout de quelques mois il mourut ou fut tué (276). Son frère Florianus, qui prit la pourpre, eut le même sort, quand ceux qui l’avaient soutenu apprirent l’avènement de Probus.

Probus (276)

Cette fois, les soldats avaient choisi eux-mêmes et bien choisi. Probus courut en Gaule, que les Alamans avaient envahie, leur reprit soixante villes, et passa le Rhin à leur suite. Des colonies militaires, des camps, couvrirent la rive droite du fleuve pour en défendre les approches, et les fortifications qui allaient du Danube au Rhin furent relevées. Les Germains intimidés lui demandèrent la paix; ils livrèrent 16000 de leurs jeunes guerriers, qu’il enrôla dans ses troupes, mais en les dispersant dans les diverses légions.

L’ordre rétabli au nord des Alpes, il battit dans l’Illyrie les Sarmates; dans la Thrace, les Gètes; dans l’Asie Mineure, les brigands de l’Isaurie et de la Pamphylie; en Egypte, les Blemmyes. Le roi de Perse, Narsès, effrayé de ces succès, demanda la paix. Les envoyés furent conduits vers un vieillard assis à terre, couvert d’une simple casaque de laine, et mangeant quelques pois cuits avec un peu de salaison. Sans se lever, ce vieillard leur dit qu’il était l’empereur, et que si leur maître lui refusait justice, il rendrait la Perse aussi nue que l’était sa tête, et en même temps il leur montrait son front tout chauve. « Avez-vous faim? » ajouta-t-il, « prenez dans le plat, sinon retirez-vous. »

A son retour par la Thrace, Probus établit sur les terres de l’empire 100000 Bastarnes, comme il avait établi déjà des Germains dans la Bretagne et des Francs sur les bords du Pont-Euxin. C’était un système dangereux, car cette invasion de l’empire par les barbares, que l’empereur lui-même dirigeait, loin d’empêcher l’autre, qui se fit violemment un siècle plus tard, la facilita.

Les nouveaux colons n’acceptaient pas non plus toujours leur exil. Les Francs, relégués sur les bords du Pont-Euxin, se saisirent de quelques barques, franchirent le Bosphore, et allèrent, ravageant sur leur route les côtes de l’Asie Mineure et de la Grèce, pillant Athènes, Syracuse, Carthage, regagner, par le détroit d’Hercule et en tournant l’Espagne et la Gaule, les bouches du Rhin, où ils racontèrent à leurs compatriotes étonnés qu’ils avaient impunément traversé tout le grand empire. La sévérité de Probus, les rudes travaux qu’il imposait à ses soldats, auxquels il faisait planter des vignes, dessécher des marais, etc., et le mot qui courait de lui, qu’il espérait bien que l’empire pourrait se passer d’armée, amenèrent une sédition dans laquelle il périt. Le lendemain, les soldats le pleurèrent et lui érigèrent un tombeau avec une inscription pompeuse, mais véridique (282). Il avait à peu près mis fin à la première grande tentative des barbares pour s’établir dans l’empire.

Carus (282) – Carin et Numérien (283)

Les légions élurent le préfet des gardes Carus, qui prit Séleucie et Ctésiphon, tant de fois occupés par les Romains et jamais gardés. Il périt frappé par la foudre, ou succomba à une maladie (283). Ses fils, Carin et Numérien, furent reconnus empereurs; le second ramenait les légions de la Perse lorsqu’il fut tué par Aper (284). L’armée proclama cinq jours après le Dalmate Dioclétien, qui égorgea Aper de sa main, sous les yeux de toute l’armée. Carin essaya de renverser celui qui se disait le vengeur de son frère, mais fut tué dans une bataille, en Moesie (285).

Quarante et un empereurs, en ne parlant pas de ceux qu’on appela les trente tyrans et qui presque tous furent tués, avaient déjà revêtu la pourpre; sur ce nombre, vingt-cinq avaient été assassinés, quatre ou cinq autres avaient péri de mort violente ou par le poison. Le reste, onze ou douze seulement, avaient atteint naturellement le terme de leur carrière ! Quelle preuve frappante de la mauvaise organisation du pouvoir suprême dans l’empire romain!