Les assemblées du peuple

Le peuple romain s’assemblait pour faire les lois, pour élire ses magistrats et pour juger les criminels. Ces assemblées s’appelaient les Comices. Il y avait trois sortes de comices; ainsi, on convoquait le peuple par curies, par centuries ou par tribus.

Les assemblées par curies

Ce mode de convocation était le plus ancien : on l’attribuait à Romulus. Les trente curies qu’il avait formées, correspondant aux divisions locales de sa ville, avaient été maintenues, malgré les agrandissements ultérieurs de Rome. La curie était le quartier qu’on habitait, qu’on fût pauvre ou riche. Cette réunion n’étant l’expression d’aucun intérêt public, d’aucune pensée politique, et ne répondant absolument qu’à de chétifs besoins locaux, ne pouvait longtemps servir de base à un système du gouvernement. D’ailleurs ce système eût exposé l’Etat aux perturbations les plus graves, puisqu’il eût suffi de quelques constructions nouvelles ou de quelques déménagements pour déplacer la majorité. Les assemblées par curies ne furent donc maintenues, à dater de Servius Tullius, que pour des cas rares et tout-à-fait en rapport avec les intérêts qu’elles représentaient. Ainsi chaque curie en particulier nommait son Curion, prêtre chargé de présider aux fêtes du quartier. Toutes les curies se réunissaient pour élire le Grand Curion. Les curies étaient convoquées aussi pour statuer sur les adoptions. Elles l’étaient enfin, en matière politique, pour élire, mais seulement dans les temps ordinaires, quatre tribuns militaires sur six, pour le commandement de chaque légion. La loi Atilia, en 443 (310 av. J.C.), avait conféré ce droit aux curies, qui du reste en usèrent rarement; car le sénat, en fait de guerres, déclarait ordinaires fort peu de circonstances. C’était aussi dans les assemblées par curies qu’on autorisait les proconsuls à faire des levées à Rome, quand ils allaient prendre possession du gouvernement de leurs provinces. Les assemblées par curies se tenaient au Forum, et pour que l’on comprît bien qu’elles n’exerçaient aucun droit politique, et qu’elles n’agitaient que des questions d’intérêt local, elles étaient présidées par les pontifes.

Les assemblées par centuries

Ici est l’organisation aristocratique de l’Etat romain. On attribue cette combinaison à Servius Tullius. A chaque lustre, tous les cinq ans, une revue générale du peuple romain établissait le cens, c’est-à-dire l’évaluation, en argent, de la fortune de chacun. Sur ce cens, chacun était placé dans une classe, dont le rang correspondait à la fortune des citoyens; il y avait six classes, divisées en 193 centuries (une centurie constituait une unité de vote). La première classe, celle des plus riches, la moins nombreuse, était cependant de beaucoup la plus fractionnée. Elle se divisait en 98 centuries. On conçoit que chaque centurie comprenait fort peu de personnes.

La seconde renfermait 22 centuries; la troisième, 20; la quatrième, 22; la cinquième, 30; la sixième, qu’on appelait celle des prolétaires, classe de ceux qui ne possédaient rien, était considérable et ne renfermait qu’une seule centurie.

Or, dans les comices par centuries, chaque citoyen donnait son vote individuel, mais seulement dans sa centurie. La majorité de ces votes formait le vote collectif de la centurie.

Lorsqu’on recueillait les 193 votes, comme on commençait toujours par les centuries de la première classe, il est évident que, si les 98 votes qu’elles fournissaient étaient d’accord, la majorité se trouvait formée, il était inutile d’aller plus loin. La classe des plus riches décidait de tout. Il n’y avait donc d’autre moyen de faire descendre plus bas la réalité du droit de suffrage, que d’introduire des divisions parmi les centuries influentes; mais en dernier résultat, il était difficile d’aller bien loin dans les classes suivantes, et impossible de parvenir à la dernière. Les assemblées par centuries se tenaient au Champ de Mars. Convoquées 18 jours d’avance, elles étaient toujours présidées par les grands magistrats.

Leurs attributions étaient immenses; c’était l’exercice complet du droit de souveraineté. Elles faisaient les lois. Elles nommaient à toutes les grandes magistratures. Elles déclaraient la guerre. Elles jugeaient les criminels d’Etat.

Le magistrat qui devait présider les comices par centuries se rendait d’abord au Champ de Mars, accompagné d’un augure: là, sous une tente dressée à cet effet, on décidait si les auspices étaient favorables. Si l’aspect du ciel, la disposition des poulets sacrés à boire ou à manger permettaient au peuple-roi de faire acte de souveraineté, alors l’étendard de l’empire se déployait sur le Capitole, et les centuries se mettaient en marche. Le président siégeait sur un tribunal, dans sa chaise curule. S’il s’agissait d’élection, il faisait lire les noms des candidats; de loi, le projet formulé par son auteur ou par le sénat; de jugement, l’acte d’accusation. Puis un tirage au sort décidait l’ordre dans lequel les centuries, dans chaque classe, donneraient leur suffrage. Ce tirage opéré, le héraut faisait l’appel, et chaque centurie défilait successivement sur un passage étroit formé de planches et un peu élevé au dessus du sol. Ce passage s’appelait pont, et conduisait à une enceinte entourée de planches et voisine du tribunal consulaire. Cette enceinte s’appelait ovile. A l’entrée du pont, des huissiers, nommés diribitores, distribuaient des bulletins (tabulae) à chaque citoyen. En cas d’élection, chaque bulletin portait le nom d’un candidat : pour une loi, une déclaration de guerre, une condamnation capitale, chaque citoyen recevait deux bulletins : sur l’un était les deux lettres U.R. (uti rogas); c’était l’acceptation : sur l’autre, la lettre A (antiquo, du verbe antiquare); c’était le rejet.

En entrant dans l’ovile, on mettait son suffrage dans une espèce de caisse (cista) indiquée à chacun par des préposés nommés rogatores. D’autres officiers, custodes, faisaient le relevé des votes, qu’ils marquaient à mesure sur une tablette par des points1. La majorité formait le vote de la centurie : un rogator portait immédiatement ce vote au président. S’il y avait égalité de suffrages pour et contre, le vote était annulé, excepté dans les jugements, où il comptait en faveur de l’accusé. La décision qui résultait du vote général des centuries était immédiatement prononcée.

Il était facile, au moyen de quelque mauvais présage, d’interrompre les comices, ou même d’annuler leurs décisions, lorsque ces décisions contrariaient le pouvoir.

Les assemblées par tribus

Sous Servius, la nation était divisée, numériquement parlant, en tribus. Il y en avait quatre dans la ville, et d’après un calcul qu’il est facile de faire, en comparant Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, seize dans la campagne.

Les quatre tribus urbaines prenaient leur nom de la localité qu’elles occupaient. Elles s’appelaient Palatina, Suburrana, Esquilina et Collina (ou Quirinalis). Celles de la campagne étaient désignées, soit par le nom d’un lieu, soit par le nom d’une grande famille, propriétaire du sol.

En 259 u.c. (495 av. J.C.), il y eut 21 tribus par la création de la tribu Claudia (tribu rurale); l’an 512 u.c (242 av. J.C.), le nombre de tribus rurales était de 31. Ce qui fit définitivement 35 en tout, le nombre des tribus urbaines n’ayant pas varié2. Remarquons que les tribus urbaines étaient formées en général des dernières classes du peuple, de celles qui composaient la dernière centurie, et, tout au plus, de quelques-unes de celles de la cinquième classe. Tous ceux qui possédaient quelque bien, et, à plus forte raison, tous les patriciens, tous les citoyens des classes supérieures, se faisaient inscrire dans les tribus rurales. Là résidait la propriété, là était le travail : car chez les romains, tout ce qui tenait à la culture des terres, à l’exploitation du sol, obtenait considération. Les métiers, au contraire, qu’on exerce dans l’intérieur des villes, abandonnés en général aux affranchis et même aux esclaves, étaient dédaignés presque à l’égal de l’oisive population qu’il fallait amuser et nourrir.

Quand les tribuns du peuple furent créés, lors de la retraite sur le Mont-Sacré en l’an 260 u.c. (494 av. J.C.), les comices par centuries étaient seuls en usage. Le premier essai d’une réunion par tribus eut lieu pour le jugement de Coriolan, l’an 263 u.c. (491 av. J.C.). La loi Publilia, l’an 283 u.c. (471 av. J.C.), donna un grand pouvoir à ces comices, en leur attribuant la nomination des tribuns. Enfin, l’an 468 u.c. (286 av. J.C.), la loi Hortensia, en rendant obligatoires pour tous, et consacrant, comme lois de l’Etat, les plébiscites rendus dans les comices, acheva de développer dans la constitution l’élément démocratique, qui, du reste, ne franchit jamais ces bornes; et les atteignit bien tard.

Il y avait deux sortes d’assemblées par tribus. L’une se tenait dans le Champ de Mars : elle était convoquée et présidée par les grands magistrats. On y élisait les édiles curules, les questeurs, les magistrats des provinces, les prêtres, le grand-pontife. Pour ces deux dernières élections, la présence de seize tribus suffisait : on les tirait au sort. L’autre se tenait au forum : elle était convoquée et présidée par les tribuns du peuple. On y élisait ces mêmes tribuns et les édiles plébéiens. Enfin, et c’était là le sujet des querelles, on y faisait les plébiscites ou décrets du peuple. Ces décrets prononçaient souvent sur des affaires très importantes, telles que les traités de paix, les déclarations de guerre, la concession du droit de cité. Les tribuns n’ayant pas le droit de convoquer les augures, ces dernières assemblées n’étaient pas précédées de cérémonies religieuses, comme toutes les autres, et les patriciens n’y assistaient pas d’abord, regardant comme au-dessous d’eux de répondre à l’appel d’un tribun; mais, depuis la loi Hortensia, ils s’aperçurent que ce serait duperie de renoncer à leur part d’influence personnelle, et ils vinrent donner leur suffrage au Forum comme le peuple.

1. De là l’expression omne tulit punctum, a enlevé tous les suffrages.

  • 2. Voici les noms des 35 tribus :
    Tribus urbaines : 1, Palatina; 2, Suburrana; 3, Collina; 4, Esquillina.
    Tribus rurales : 5, Romilia; 6, Crustumina; 7, Lemonia; 8, Pupinia; 9, Velentina; 10, Galeria; 11, Pollia; 12, Voltinia; 13, Claudia; 14, Aemilia; 15, Cornelia; 16, Fabia; 17, Horatia; 18, Menenia; 19, Papiria; 20, Sergia; 21, Veturia; 22, Stellalina; 23, Tromentina; 24, Sabalina; 25, Aniensis; 26, Pomptina; 27, Popilia; 28, Marcia; 29, Scaptia; 30, Ufentina; 31, Falerina; 32, Arniensis; 33, Terentina; 34, Velipa; 35, Quiri