Les chevaliers

Romulus pour exposer l’origine des chevaliers aurait choisi, dit-on, dans chacune de ses trois tribus, cent jeunes gens distingués par leur valeur, et en fit un corps de cavaliers d’élite qu’il appela celeres. Tarquin porta leur nombre à dix-huit cents. Servius en composa dix-huit centuries, qu’il plaça dans sa première classe. Cette institution, toute militaire, fut conservée sous la république. Les descendants des chevaliers n’étaient rien; on ne naissait pas chevalier, on le devenait. L’admission dans les rangs des chevaliers dépendait des censeurs, comme l’admission au sénat. Cette admission, comme celle des sénateurs, était soumise à des conditions, peu importait qu’on fût patricien ou plébéien, mais il fallait être, autant que possible, d’une famille distinguée par des services, et posséder une certaine fortune, dont la quotité aussi varia avec le temps.

Chaque chevalier recevait de l’Etat un cheval et un anneau d’or. Il portait sous la toge une tunique appelée angusticlave, et siégeait au théâtre sur l’un des quatorze premiers bancs, derrière les sénateurs. Tous les ans, aux ides de juillet, il y avait une revue solennelle des chevaliers. Ils s’assemblaient hors de la ville, près du temple de Mars, et se rendaient au Capitole, couronnés d’olivier, montés sur leurs chevaux, et vêtus de la trabée1. Tous les cinq ans, les censeurs, assis sur leurs chaises curules, les attendaient au Capitole, et les faisaient défiler devant eux, à pied, tenant leurs chevaux par la bride. Si un chevalier avait encouru quelque blâme, ils lui retiraient son cheval, par ces seuls mots: vende equum, et on le notait pour négligence (notabatur impolitioe). Dans le cas contraire, le censeur se contentait de dire : tradue equum, et le chevalier passait.

Quant à leurs fonctions, elles furent tout-à-fait différentes selon les temps. Ainsi, un bon citoyen devait se distinguer à la guerre, au barreau, dans la gestion des deniers publics, dans les fonctions judiciaires, et dans celles du sacerdoce. L’histoire du corps des chevaliers se divise en trois époques bien distinctes. Depuis l’origine de la république, ils formèrent la cavalerie des légions, et leurs fonctions furent toutes militaires; une grande fortune pouvait seule fournir les moyens de faire ce service, que les guerres lointaines de Rome rendaient fort dispendieux; mais il en résultait que la cavalerie, d’ailleurs fort peu nombreuse, se composait de l’élite des citoyens.

Puis, lorsque Gaius Gracchus eut obtenu que les fonctions judiciaires ne seraient plus remplies par des sénateurs, et qu’on n’appellerait, pour siéger dans les tribunaux, que des chevaliers, ce corps ne fut plus guère qu’une sorte de pépinière où l’on prenait des magistrats annuels pour rendre la justice. Tout ce qu’il y avait à Rome de jeunes gens distingués par la naissance et la fortune se livra à l’étude des lois, et le service militaire ne fut plus pour eux que l’accessoire. Toutefois, la république continua à fournir le cheval et l’anneau d’or, mais cette distinction perdait déjà de son prix et devenait d’une application moins fréquente.

Vint Sylla qui rendit les jugements aux sénateurs. Alors, dépossédé de ce privilège honorable, et désaccoutumé du service militaire, le corps des chevaliers, où se trouvaient de grandes fortunes presque oisives, se jeta presque tout entier dans les opérations financières. Il afferma et fit valoir les domaines de l’Etat, et les chevaliers devinrent les fermiers généraux de la république. Ce ne fut dès lors que pour la forme, et par respect pour les anciens usages, que quelques-uns d’entre eux continuèrent à recevoir le cheval de l’Etat.

Il est évident qu’on ne devait pas faire du corps des chevaliers un troisième ordre dans la république, un ordre intermédiaire entre le sénat et le peuple : ils n’exerçaient en rien le pouvoir exécutif.

1. Robe de pourpre. Ce fut Quintus Fabius Maximal qui, pendant sa censure, en 449, institua cette cérémonie.