Les Flaviens (70-96)

Galba (68)

La mort de Néron fut suivie de sanglantes rivalités : les légions des frontières et les gardes prétoriennes se disputaient entre elles à qui donnerait l’empire du monde. Cette anarchie dura dix ans et ne s’arrêta que sous la main puissante de Vespasien.

Galba ne rencontra d’abord aucune opposition : c’était un vieillard dont tous espéraient hériter. Mais sa rigidité mécontenta les courtisans, son avarice les prétoriens. Comme ceux-ci lui demandaient le donativum1 promis en son nom : « Je choisis mes soldats », répondit-il, « et je ne les achète pas. » Pour justifier ces paroles sévères, il aurait fallu savoir gouverner son palais comme l’armée et Galba se laissait conduire aveuglément par trois favoris, Vinius, Laco et Icélus, qui commettaient mille injustices.

1. Gratification que chaque empereur donnait aux troupes à son avènement.

Soulèvement des prétoriens (68-69)

L’empereur, voyant s’accroître la haine publique, chercha un appui en adoptant Pison. Ce choix ne fit que précipiter sa ruine.

Othon avait espéré que Galba le prendrait pour collègue. Déçu dans son attente, il souleva les prétoriens. Galba et son héritier furent égorgés (69).

Othon (69)

Rome craignait tout du nouveau prince : c’était un ancien ami de Néron. Contre l’attente générale, Othon se montra clément et habile. Il parvint à maîtriser la fureur des prétoriens, qui voulaient massacrer la moitié du sénat. Mais il avait déjà un rival, Vitellius, que les légions du Rhin venaient de proclamer empereur. En vain Othon chercha à prévenir la guerre civile par des négociations : il fallut en venir aux mains. Battu près de Bédriac, il refusa d’attendre l’arrivée des troupes de Moesie, et, pour mettre fin à ces luttes cruelles, se tua. C’était glorieusement expier les hontes de sa vie (69).

Vitellius (69-70)

Son successeur, cruel à la fois et débauché, sembla prendre l’empire pour un banquet. En huit mois de règne, Vitellius dépensa deux cents millions, et l’acte le plus solennel de son gouvernement fut l’invention d’un plat monstrueux qu’il appela le bouclier de Minerve. On se révolta de toutes parts contre cette indigne administration : les légions d’Orient, qui voulaient faire aussi leur empereur, proclamèrent Vespasien. Un tribun légionnaire, Antonius Primus, souleva en son nom l’armée du Danube et, après trois victoires, s’empara de Rome, où un incendie allumé durant la lutte, consuma le Capitole. Vitellius fut arraché du palais impérial et promené par la ville, les mains liées derrière le dos, la pointe d’une épée sous le menton pour qu’il fût forcé de voir ses statues brisées. Enfin on le tua, et l’on jeta au Tibre son cadavre (69).

Les princes Flaviens : Vespasien (70-79)

Dès que Vespasien (il s’appelait Flavius Vespasianus) fut arrivé à Rome et eut pris possession du pouvoir, on reconnut enfin en lui un homme et un empereur. Laborieux et sobre, il gouverna l’Etat comme sa maison, avec ordre et économie; il travaillait sans relâche, réforma les tribunaux et réorganisa l’administration, que deux années de guerres civiles avaient bouleversée.

Révolte du Batave Civilis (69-70)

Des mouvements séditieux avaient éclaté dans les Gaules et en Orient. Le Batave Civilis demandait aux Gaulois s’il n’y avait plus parmi eux de guerriers qui se rappelassent la vieille indépendance nationale, et si le joug romain était déjà tellement ancien et fort qu’on ne pût le briser. Sabinus, principal personnage chez les Lingons, répondit à son appel. Le lieutenant de Vespasien, Cérialis, eut beaucoup de peine à réprimer l’insurrection. Les Bataves ne posèrent les armes qu’à des conditions honorables.

Sabinus et Eponine (70)

Il reste de cette guerre un trait touchant. Sabinus, vaincu, se réfugia dans une de ses maisons et y mit le feu; on le crut mort. Il s’était caché dans un souterrain où il vécut neuf ans avec sa femme Eponine. Découvert, on le mena au supplice: Eponine voulut encore partager son sort.

La destruction de Jérusalem (70)

Au moment où Vespasien avait été proclamé, il était occupé à réduire les Juifs (65-70). Ce peuple, irrité par les exactions de ses derniers gouverneurs, avait recommencé la lutte des Maccabées contre la domination étrangère. Ils croyaient les temps venus pour le Messie que les livres saints leur promettaient, et, refusant de le reconnaître dans la victime à la croix du Golgotha, ils pensaient qu’il allait se manifester, glorieux et puissant, au milieu du bruit des armes. Mais l’empire romain était plus fort que la monarchie d’Antiochus, et l’insurrection avait été peu à peu renfermée par Vespasien et Titus dans la capitale de la Judée. Après un siège mémorable, Jérusalem tomba; le temple fut incendié, la charrue passa sur ses ruines et la dispersion du peuple hébreu commença (70).

Habile administration de Vespasien (70-79)

Tandis que les généraux de Vespasien faisaient triompher ses armes, lui-même, à Rome, rétablissait la discipline parmi les légions, et dégradait les sénateurs et les chevaliers indignes. Il améliora les finances, réédifia le Capitole, et construisit l’immense Colisée dont nous admirons encore les ruines.

Esprit sérieux, homme d’affaires et d’ordre, Vespasien se riait des flatteries comme de l’apothéose. Les Romains avaient la lâcheté d’adorer comme des dieux leurs empereurs morts. « Je sens que je deviens dieu, » dit-il quand il vit approcher sa dernière heure. Mais il voulut se lever, en ajoutant: « Un empereur doit mourir debout. » Ces paroles le peignent tout entier (23 juin 79).

Titus (79-81)

Titus s’était distingué dans les guerres de Germanie et de Bretagne, surtout dans l’expédition de Judée, qu’il avait achevée. Mais on parlait aussi de ses débauches et de ses violences; il démentit ces craintes. Sa douceur, ses manières affables lui valurent le surnom de « délices du genre humain. » Il disait, le soir, qu’il avait perdu sa journée, quand par hasard il n’avait pas fait quelque bien. Deux sénateurs avaient conspiré contre lui, et attendaient le dernier supplice: usant d’une belle prérogative impériale, Titus les fit asseoir à sa table pour dérober leurs têtes au bourreau.

D’affreuses calamités désolèrent ce règne: la peste, la famine, des inondations du Tibre, un incendie qui dévora une partie de Rome; enfin, une éruption du Vésuve qui ensevelit sous la lave plusieurs villes de la Campanie, notamment Herculanum et Pompéi, et coûta la vie à Pline l’ancien. Mais un malheur plus grand encore fut la mort prématurée de Titus, suivi de l’avènement de son frère Domitien (81).

Domitien (81-96)

Domitien montra de l’intelligence et de l’équité dans ses premiers actes. Mais il était soupçonneux; il devint promptement cruel. Les délateurs reparurent et avec eux les bourreaux. Son cousin Sabinus fut mis à mort parce que le crieur qui devait le nommer consul l’avait par mégarde appelé empereur. Un historien périt pour un passage de ses écrits qui avait déplu au tyran. Afin de s’attacher les soldats et le peuple il leur prodigua l’or et les jeux. Et pour faire face à ces dépenses, confisqua souvent sans motifs le bien des riches. A ce penchant vers la cruauté se joignait une vanité sans bornes : il voulait qu’on l’appelât dieu et seigneur.

Il se plaisait à humilier le sénat. Un jour il convoqua cet illustre corps pour délibérer sur la sauce qui convenait le mieux à un turbot. Une autre fois, les sénateurs trouvent en entrant au palais toutes les salles tendues de noir, les esclaves vêtus ainsi qu’on disait que l’étaient les ombres des enfers, la table dressée comme pour les repas funèbres, et près de chaque siège une colonne funéraire. Pour des hommes qui connaissaient les sanglantes fantaisies du prince, c’était une annonce de mort. Domitien prend la parole : il n’a à la bouche que des mots lugubres; il parle de morts, de supplices. L’angoisse redouble, et pourtant il faut manger et rire. Après s’être longtemps amusé de leur frayeur, Domitien les renvoya chez eux.

Il ambitionna la gloire militaire et ravagea sans motif le pays des Quades, pour revenir à Rome en triomphe. Mais les prisonniers qu’il conduisait derrière son char n’avaient de Germain que le nom. C’étaient des gens achetés ou loués pour la cérémonie. Les Daces qu’il attaqua le forcèrent à leur payer un tribut.

Conquête de la Bretagne par Agricola (78-85)

Les victoires de son général Agricola, beau-père de l’historien Tacite, furent plus sérieuses. Cet habile capitaine acheva la conquête de la Bretagne, commencée sous l’empereur Claude, et fit le tour de l’Ile avec sa flotte, sans toutefois dompter les montagnards de la Calédonie (Ecosse). Il rentra dans Rome sans bruit et sans triomphe, obligé qu’il était de se faire pardonner sa gloire à force d’humilité.

Domitien est assassiné (96)

Après quinze ans d’une terreur constante, éprouvée par le tyran comme par ses sujets, il fut, malgré toutes ses précautions, assassiné par sa femme Domitilla et plusieurs personnes qu’il destinait à la mort (96). Il avait ordonné la seconde persécution contre les chrétiens.