Les métiers et les professions

Professions libérales

D’après ce que nous avons dit en général sur l’état des sciences, des arts et des lettres dans la République, il est évident qu’il y avait à Rome peu de professions libérales. Celle d’avocat, sans doute, fut toujours en grand honneur, et compta d’éclatantes supériorités; mais ce serait ne rien comprendre à la constitution romaine que d’en faire un état à part, auquel, comme chez nous, on pût consacrer sa vie. Les travaux du Forum étaient le début obligé de tous ceux qui voulaient se faire un nom et parvenir aux dignités, et la gloire de l’éloquence fut toujours la première de toutes les gloires dans un pays où la parole gouvernait. L’illustration à la guerre était le domaine commun : celle du barreau, plus utile au peuple qu’elle protégeait, mieux sentie, par conséquent, resta le privilége des grands hommes. Le peuple estimait plus dans Jules César l’orateur brillant que le conquérant de la Gaule, et le moindre plaidoyer de Cicéron lui fit plus de clients que sa longue vie politique ne lui fit d’admirateurs.

Nous ne dirons rien des médecins, des professeurs, des peintres, des sculpteurs; presque tous étaient des étrangers: les architectes seuls avaient une grande importance, vu les perpétuelles constructions que commandait le génie monumental de ce peuple. Nous ne voyons pas cependant que des patriciens aient jamais cherché à s’occuper de cet art, même en simples amateurs.

Agriculture

L’agriculture, au contraire, fut en grand honneur dans les cinq premiers siècles. On se rappelle la distinction des tribus urbaines et des tribus rurales, et la considération dont jouissaient ces dernières. Les vieux Romains ne quittaient la culture de leurs champs que pour le service militaire, et, la guerre finie, ils revenaient à la charrue. On sait l’histoire de Régulus, elle n’avait rien d’extraordinaire. Mais lorsqu’il fallut aller faire la guerre en Grèce, en Espagne, en Afrique, en Asie, alors la culture languit et fut abandonnée aux esclaves. De ce moment, tout fut perdu: et puis, quand la Sicile et la Sardaigne furent chargées de nourrir le peuple-roi, l’Italie ne fut plus couverte que de jardins. A quoi bon, en effet, l’agriculture, livrée à des mains serviles, ignorantes, insouciantes, hostiles même, quand le monde soumis s’empressait de remplir les greniers de la République?

Industrie

On peut envisager l’industrie à Rome sous cinq points de vue principaux : la gestion des deniers publics, l’usure, le négoce, le petit commerce et la fabrique.

La première de ces professions était honorable, sans doute, parce qu’elle enrichissait énormément ceux qui s’y livraient: on les appelait publicains; ils étaient tous chevaliers; ils prenaient à ferme les terres de l’Etat, le revenu des impôts, et se chargeaient, sous forme d’entreprise, de toutes les fournitures des armées et des administrations provinciales.

Les banquiers venaient ensuite, c’est-à-dire ceux qui faisaient trafic d’argent, car leurs attributions s’étendaient fort loin; on les appelait argentarii, et ils avaient leurs comptoirs au Forum. En principe, ils faisaient plutôt le change, sorte d’industrie nécessaire dans une ville où l’on arrivait de toutes les parties du monde. Le grand nombre d’étrangers et de citoyens que ce commerce attirait près d’eux, les avait fait charger aussi des ventes à l’enchère, où ils faisaient l’office de commissaires-priseurs, même de notaires, à cause des actes qu’ils dressaient de ces ventes; aussi avaient-ils à leur service une sorte d’huissiers, nommés coactores. Le père d’Horace avait été coactor.

Mais leur plus grand trafic consistait dans l’usure; ils prêtaient à des intérêts d’autant plus arbitraires, que les lois sur cette matière étaient d’une ridicule sévérité. On sait les effroyables désordres que souleva toujours la question des dettes : tous les patriciens faisaient l’usure, et l’intérêt de l’argent avait été porté jusqu’à un pour cent par mois, ou douze pour cent par an. C’est à l’histoire qu’il faut demander les conséquences de ces abus, que la contrainte par corps avait rendus intolérables. En 397 de Rome (357 av. J.C.), le tribun Duilius fit réduire l’intérêt à un pour cent par an, en 407 de Rome (347 av. J.C.) on l’abaissa à un demi pour cent; enfin, en 412 (342 av. J.C.), tout intérêt fut déclaré illicite, mesure absurde que le peuple accueillit avec transport, sans songer aux conséquences. Il en résulta, ou que les riches ne prêtèrent plus, ou qu’ils firent avec leurs débiteurs des traités secrets, qui stipulaient des intérêts sans limites. Dans ce dernier cas, le terme arrivé, si les juges prononçaient d’après la loi, ils couraient les plus grands dangers, car on vit un préteur assassiné, en 665 (89 av. J.C.), pour avoir prononcé dans ce sens; s’ils se décidaient d’après le contrat, ce que d’ailleurs ils faisaient presque toujours, le peuple furieux se soulevait et invoquait les lois; sans compter que, pour échapper à cette alternative, le créancier allait chercher un prête-nom parmi les Italiens que la loi n’atteignait pas, et l’infraction devenait insaisissable; Il eut été beaucoup plus sage de considérer l’argent comme une marchandise, et d’en fixer l’intérêt au taux que pouvait rapporter toute autre valeur.

Après les banquiers venaient les négociants. Cicéron appelle de ce nom ceux qui trafiquent en grand avec les provinces pour l’achat et le transport des denrées. C’était encore là une source féconde de richesses, et bien que l’aristocratie romaine ne s’occupât pas de ce genre de commerce, un grand nombre de patriciens, même des plus distingués, plaçait des fonds dans ces entreprises.

Les marchands (mercatores) occupaient un rang inférieur, et l’on comprenait sous ce nom tous ceux qui achetaient pour revendre en détail: rarement des citoyens romains exerçaient cette profession, abandonnée en général à des affranchis ou à des libertini. Nous voyons cependant des exceptions dans l’histoire. Le consul Varron était fils d’un boucher, et le père d’AEmilius Scaurus avait été charbonnier. Les marchands se divisaient d’ailleurs en autant de confréries qu’il y avait de genre de commerce, comme bouchers, boulangers, parfumeurs, etc.1; tous réunis formaient une sorte de congrégation, sous la protection de Mercure, et qu’on appelait Mercuriales.

Quant à l’industrie manufacturière, c’était la dernière de toutes: la confection des habits, des chaussures, le travail du fer, du bois, de la pierre, étaient abandonnés aux esclaves. Il y avait cependant des ateliers publics où l’on fabriquait les armes, des chantiers où l’on construisait les navires; mais des magistrats, sous les noms de duumvirs, triumvirs, decemvirs, selon leur nombre, surveillaient et dirigeaient ces établissements; aucun citoyen n’y prenait part aux travaux mécaniques.

Sans doute, les dernières classes du peuple auraient pu trouver dans ces travaux, comme les artisans et les ouvriers chez nous, une subsistance honorable pour eux et leurs familles; mais l’opinion rejetait cette pensée comme avilissante pour la dignité du citoyen. Il valait mieux aller traîner au Forum, au Champ-de-Mars et au Cirque, sa toge sale, quand on en avait une, et dire: Je suis le roi du monde! En recevant, sous le nom d’annona, l’aumône annuelle du sénat, que d’assurer son existence par un travail utile à l’Etat, travail qui, après tout, n’est que l’exercice d’une faculté.

En revanche, si cette population de citoyens méprisait le travail, l’aristocratie méprisait cette population, et les tribus urbaines étaient tombées dans le plus profond discrédit. Mais il fallait nourrir tout ce monde, et quand on pense qu’en rabattant presque moitié des exagérations romaines, on trouve encore que la population de Rome dépassait un million d’habitants, sans compter les esclaves et les étrangers, on peut constater de la prodigieuse dépense que l’Etat devait faire pour l’alimentation de sa capitale; aussi deux flottes, consacrées à ce seul usage, traversaient continuellement la Méditerranée.

1. Dans cette dernière confrérie, il faut placer les barbiers dont les boutiques étaient le rendez-vous des oisifs et le foyer des nouvelles.

Monnaies, poids et mesures

Chez un peuple aussi peu commerçant, les moyens d’échange furent longtemps à se perfectionner, et longtemps restèrent grossiers comme les valeurs qu’ils représentaient. Les premières monnaies romaines étaient lourdes, sans forme arrêtée, et bien peu commodes pour le transport; elles étaient de cuivre, et ce ne fut qu’en 485 de Rome (269 av. J.C.) qu’on imagina de faire des pièces d’argent.

L’as des premiers temps (lorsque la monnaie toutefois fut soumise à des règles, c’est-à-dire sous Servius) était rond et pesait douze onces. Comme il n’avait guère d’emploi que pour les ventes de bestiaux, il portait ordinairement l’empreinte d’une tête de bétail (pecu), d’où est venu le mot pecunia; son poids et son volume le rendant incommode, on le subdivisa ainsi qu’il suit:

Semi-assis, demi as marqué d’un S.
Triens, tiers d’as pesant quatre onces, et marqué de quatre gros points en relief.
Quadrans, quart d’as pesant trois onces, et marqué de trois points.
Sextans, sixième d’as, moitié du triens, pesant deux onces, et marqué de deux points.

Mais les changements survenus dans la fortune de l’Etat amenèrent, dans la valeur des monnaies, des réformes considérables; de douze onces, l’as descendit à n’en valoir plus que deux: puis, dans la seconde guerre punique, une seule, puis enfin il ne fut plus que d’une demi-once.

Bien entendu ses subdivisions déchurent en proportion, et ne furent plus que de fort petites fractions de l’once.

Les pièces d’argent qu’on appelait deniers (denarii), parce qu’elles valaient dix as, suivirent la même décroissance, puisqu’elles conservaient avec l’as leur valeur relative.

Les deniers portaient, d’un côté, l’empreinte d’un char, ce qui les faisait nommer quadrigati ou bigati; de l’autre celle de Rome personnifiée, ou de quelque divinité.

Ils se divisaient en quinaires et sesterces.

Le quinaire, demi-denier, valait cinq as; il portait l’empreinte d’une victoire, d’où on l’appelait victoriatus.

Le sesterce (sestertius), moitié du quinaire, et quart du denier, valait deux as et demi; c’était la plus petite monnaie d’argent, il était marqué H. S.

Ce qui embrouille les calculs sur les monnaies romaines, c’est que la valeur relative du denier à l’as changea aussi, et qu’il arriva une époque où le denier valut seize as, par conséquent le quinaire huit, et le sesterce quatre. En elle-même, la monnaie fut toujours facile à distinguer, car le denier qui valait dix as était marqué d’un X, l’autre du chiffre XVI; le quinaire du premier portait V, celui du second VIII; mais on a pu être embarrassé lorsqu’on a voulu traduire ces valeurs en monnaies modernes.

On s’est arrêté, en général, à la dernière supputation du denier valant seize as.

Il importe beaucoup de distinguer le sestertius et le sestertium; ce dernier valait mille fois l’autre.

Les Romains n’ayant pas de caractère numérique pour exprimer les nombres au dessus de cent mille, et se servant à cet effet des mots bis, ter, decies, etc., toutes les fois que dans l’énoncé d’une somme d’argent on trouve un de ces mots, il faut sous-entendre cent mille après; ainsi, decies H. S. signifie decies centenamitlia H. S.; dix fois cent mille sesterces, un million de sesterces; ainsi, millies H. S. signifie mille fois cent mille sesterces.

Les mesures de capacité, dans leur rapport avec le litre, sont exposées dans le tableau suivant; l’amphore (amphora), qui en est la base, contenait 25,890 litres.

 

Monnaies, poids et mesures dans la Rome antique

Nous n’entrerons pas dans le même détail pour le rapport des mesures de longueur et de superficie, nous indiquerons seulement la base de ces détails, que le plus simple calcul peut fournir alors; mais on jugera, d’après cette indication, que ce serait se jeter dans des fractions fort compliquées.

Ainsi, le pied romain, inférieur au nôtre, peut être représenté par le nombre 0 pieds 10 pouces 10 lignes 6; et, dans son rapport avec le mètre, par la fraction suivante:

0,m 2946116

Pour les superficies, la mesure qui se rapproche le plus de l’are, est l’uncia, qui vaut:

2,ares 08296

Le jugerum, arpent romain, qui représentait l’espace qu’une paire de boeufs (jugum) pouvait labourer en un jour, peut être exprimé ainsi:

24,ares 99552

Nous ne pouvons donc que nous arrêter à des évaluations approximatives, et nous donnerons le rapport des mesures romaines entre elles.

Le pied (pes)
La coudée (cubitus), un pied et demi.
La palme (palma), quart du pied.
Le pouce (pollex), douzième du pied.
Le doigt (digitus), seizième du pied, quart de la palme.

On voit que ces mesures étaient fournies par la nature, comme elles le furent chez tous les peuples.

Les Romains mesuraient les distances par pas, milles, stades.

Le pas (passus), dont la moitié était gradus, valait cinq pieds. On voit que passus est le pas géométrique, et gradus le pas de marche ordinaire. Le pas, traduit en mètre, vaut donc 1,m 4730580.

Le mille, ou la valeur de mille pas, équivaut donc en 1473 mètres, plus une fraction. Notre lieue de 4000 mètres est donc de 419 mètres moins longue que trois milles romains.

Le stade était une mesure de 125 pas, ou d’un quart de mille. Il fallait donc huit stades pour faire un mille.

Voici les mesures de superficie:

Scrupulum, cent pieds carrés (pieds romains).
Sextulus, quatre scrupula.
Uncia, six sextuli.
Actus quadratus, six unciae.
Jugerum, deux actus quadrati.
Hoeredium, deux jugera.
Centuria, cent hoeredia.
Cette dernière mesure, qu’on représenterait en ares par le nombre 499,ares 91040, équivaudrait donc à fort peu de chose près à cinq hectares.

Nous ajouterons ici le tableau des poids romains et leur rapport avec les mesures actuelles, quoi qu’on trouve rarement l’occasion de faire l’application de cette connaissance dans la lecture des auteurs anciens.

 

Monnaies, poids et mesures dans la Rome antique