Les provinces

On appelait provinces les états conquis dont Rome se réservait le gouvernement, et dans lesquels on envoyait un magistrat, chargé du pouvoir exécutif.

L’Italie ne fut jamais province. La Gaule cisalpine ne le devint qu’après la défaite des Cimbres: elle avait joui jusque-là du droit italique.

La liste des provinces romaines, dans l’ordre chronologique, jusqu’à la fin de la république :

– la Sicile en 512 de Rome/241 av. J.C.; et devient la plus ancienne province romaine;
– la Sardaigne et la Corse en 526 de Rome/227 av. J.C.
– l’Espagne en 556 de Rome/197 av. J.C. L’Espagne (Hispanie) sera divisée en deux provinces :     l’Hispanie Ultérieure et l’Hispanie Citérieure.
– l’Illyrie en 586 de Rome/167 av. J.C.
– la Macédoine en 605 de Rome/148 av. J.C.
– l’Achaïe en 607 de Rome/146 av. J.C.
– l’Afrique proconsulaire, comprenant Carthage en 607 de Rome/146 av. J.C.
– l’Asie proconsulaire, c’est-à-dire le royaume de Pergame, héritage d’Attale, en 624 de Rome/129 av. J.C.
– la Cilicie, en 651 de Rome/ 102 av. J.C., à laquelle on joignit l’île de Chypre.
– la Gaule Narbonnaise, en 633 de Rome/120 av. J.C. selon l’histoire traditionnelle. En fait, cette région recevra son statut officiel que dans les années 70 av. J.C.
– la Lybie cyrénaïque, en 657 de Rome/96 av. J.C., on y joignit plus tard la Crète.
– la Gaule Cisalpine, en 672 de Rome/81 av. J.C.
– la Bythinie, à laquelle on ajouta une partie du royaume du Pont. Ces deux provinces après la destruction de Mithidate en 679 de Rome/74 av. J.C.
– la Syrie en 690 de Rome/63 av. J.C.
– Chypre en 695 de Rome/58 av. J.C.
– La Gaule transalpine en 702 de Rome/51 av. J.C.
– L’Egypte en 723 de Rome/30 av. J.C.

Dès qu’un pays était conquis, le sénat y envoyait des commissaires, tous tirés de son sein, et appelés, suivant leur nombre, quinquevirs, decemvirs, etc.; on les chargeait de régler, d’accord avec le général vainqueur, la constitution ultérieure de la province (formula provinciae). Le grand principe de Rome étant toujours de diviser pour régner, le premier soin des commissaires était d’établir entre les vaincus de nombreuses distinctions, selon leur conduite pendant la guerre précédente. Les villes qui avaient servi la cause de Rome étaient élevées au rang de villes municipales, et jouissaient du droit de cité, moins le droit de suffrage: d’autres obtenaient seulement le droit latin. Enfin, on établissait des colonies pour maintenir le pays dans l’obéissance, et y nationaliser les coutumes et les lois de Rome.

Le reste du pays était tributaire, soumis directement au gouverneur romain, et constituant la province proprement dite.

Administration des provinces

On laissait à la province la liberté des cultes. Les Romains furent toujours, en matière de religion, d’une tolérance sans bornes, dont le principe fut une immense crédulité, et le résultat un prodigieux scepticisme. A force d’accueillir tous les dieux, ils finirent par ne plus en avoir.

Bien que Rome imposât aux provinces ses lois générales, elle tenait compte cependant des lois particulières du pays, et le sénat avait toujours soin de rédiger une constitution mixte, qui variait selon les provinces, et donnait à la conquête une apparence de générosité. Mais, ce qu’elle accordait dans l’ordre législatif, elle savait fort bien le reprendre, par la manière dont elle combinait son pouvoir exécutif. En réalité, les instructions données au gouverneur par le sénat rendaient les lois inutiles, et, de plus, l’indépendance que le gouverneur se faisait à lui-même paralysait souvent la volonté du sénat: c’était despotisme sur despotisme.

Pour l’administration de la justice, chaque province était divisée en diocèses, ou districts; dans chacun de ces districts, il y avait une ville désignée par le nom de conventus, où le gouverneur devait aller une ou plusieurs fois dans l’année tenir les assises. Dans ces assises, les citoyens romains étaient jugés selon les lois de Rome, les autres selon la formule que le sénat avait fixée pour la province. Si le gouverneur ne pouvait pas présider lui-même, il envoyait son questeur.

L’impôt variait selon les provinces; mais, en général, il se composait de deux éléments, l’impôt direct et l’impôt indirect.

Il y avait deux sortes d’impôt direct, toutes deux tenant au sol.

Le premier était un droit général et proportionnel, mais fixe, et indépendant du plus ou moins des produits de la terre.
« Vectigal certum », dit Cicéron, « quod stipendiarium dicitur ».

Le second se composait de trois espèces de revenus:
1° la dîme, payée par les propriétaires, à qui le conquérant avait laissé la possession de leurs biens;
2° la redevance annuelle pour les terres que Rome avait concédées moyennant cette redevance après se les être appropriées; ces terres s’appelaient ager vectigalis: à ce genre d’impôt se rattachait celui qu’on nommait scriptura (enregistrement): c’était une taxe sur les bestiaux qu’on menait paître dans les pacages appartenant au peuple
romain;
3° le revenu des terres de l’Etat, celles que Rome avait gardées, et qu’elle affermait pour son compte (ager publiais) : c’est là que s’exerçait l’industrie des chevaliers.

L’impôt indirect consistait:
1° dans les droits qui pesaient sur les marchandises à l’entrée et à la sortie (portorium), dans les droits de péage sur les ponts, sur les chaussées, sur les rivières, etc. : tout le monde était soumis à ces droits, même le gouverneur; mais il est probable qu’il existait pour ce dernier des moyens de s’en affranchir;
2° dans les fournitures sans nombre auxquelles la province était soumise pour l’entretien de la maison du gouverneur, celui de sa suite, ses frais de transport, ceux de l’administration, etc.;
3° dans les charges extraordinaires imposées par le gouverneur pour l’équipement des vaisseaux, l’armement des troupes auxiliaires, les cantonnements, les vivres, etc.; charges sans limites, toujours arbitrairement fixées, parce qu’elles répondaient à des besoins sur lesquels il n’était ni permis ni possible de porter les investigations; charges ruineuses,
parce que l’avidité des gouverneurs, sous le prétexte d’urgence, avait toujours soin de les évaluer en argent et de les traduire en effroyables contributions.

Mais il fallait aux dieux du Capitole des statues d’or, à la ville éternelle des palais de marbre, au peuple-roi du pain et des jeux.

Les gouverneurs des provinces

Dans l’origine, les provinces furent gouvernées pas des préteurs; mais les conquêtes romaines finirent par s’étendre
tellement que le renouvellement annuel n’était plus en harmonie avec les distances. Un préteur nommé aurait eu à peine le temps d’aller et de revenir; d’ailleurs, le sénat n’était pas fâché d’attirer à soi tout le gouvernement extérieur; il fit donc ce qu’avait fait le peuple à l’égard du dictateur, après la bataille de Trasimène. Ne pouvant nommer ni consuls ni préteurs, il inventa les proconsuls et les propréteurs; et bien que ceux-ci, conformément au principe constitutionnel, ne dussent rester en charge qu’un an, comme cette année ne commençait que de la prise de possession, il y avait latitude pour l’exercice de l’autorité sénatoriale.

Son pouvoir (imperium consulaire) était alors prolongé, en général pour une durée de un an et toujours sur un territoire précis, le plus souvent une province.

Tous les proconsuls n’étaient pas forcément d’anciens consuls. Les proconsuls étaient choisis parmi d’anciens magistrats ayant déjà détenu l’imperium, anciens préteurs ou anciens consuls.

Expliquons-nous d’abord sur ce titre de proconsul, parce qu’il fut employé dans trois significations différentes:

– Lorsqu’un consul commandait une expédition, si les opérations commencées par lui n’étaient pas achevées au moment de l’expiration de son pouvoir, on lui prolongeait le commandement en lui conférant le titre de proconsul. Ces cas furent très-rares, parce que le consul exerçant alors intriguait de toutes ses forces pour aller prendre,
selon son droit, le commandement de l’armée, et soustraire au prédécesseur la gloire du succès.

– Dans le cas de plusieurs guerres à la fois, les deux consuls étant occupés aux armées, on nommait un proconsul pour une troisième expédition; ainsi, en 542 de Rome/211 av. J.C., Scipion fut nommé proconsul en Espagne. Il fallait que les curies autorisassent ce nouveau général à faire des levées.

– Enfin, le sénat, comme nous l’avons dit, appela proconsuls les personnages consulaires qu’il envoya dans les provinces pour les gouverner.

C’est de ces derniers magistrats que nous allons nous occuper; tout ce que nous dirons d’eux peut s’appliquer aux propréteurs: ces derniers, comme nous l’avons dit des préteurs, devaient exercer d’abord un an à Rome.

Les proconsuls, une fois désignés, la province qui leur était attribuée, était tirée au sort.

Puis, les curies s’assemblaient et les autorisaient à faire des levées: le sénat en fixait la quotité.

Indépendamment du questeur que l’Etat lui donnait, le proconsul avait ses lieutenants (legati); il les choisissait lui-même; le nombre en était réglé selon l’importance de la province : César en Gaule en eut dix.

Dans l’armée qu’il levait, il nommait à tous les grades, comme dans son administration, à tous les emplois; il devait emmener
avec lui des greffiers, des secrétaires, des interprètes, des aruspices, des hérauts, des huissiers, des licteurs : le proconsul avait douze de ces derniers, le propréteur six.

Avant le départ, le sénat réglait la dépense du gouverneur, sa suite, son voyage; on lui fournissait tout,
équipages, moyens de transport, vaisselle, etc. Le proconsul ne devait rien débourser, et les sommes que l’on consacrait
à ces fournitures étaient énormes, ordinairement tout cela s’exécutait par entreprises. Et notez qu’au cortège dont nous avons parlé, il faut ajouter une cohorte prétorienne, composée de jeunes gens de noble famille, et défrayée par l’Etat.

Ces préliminaires achevés, le proconsul se rendait en grande pompe au Capitole, où l’on faisait un sacrifice;
là, il quittait la toge, prenait, ainsi que toute sa suite, le sagum, mettait la hache dans ses faisceaux, et devait sur-le-champ sortir de Rome, où il ne pouvait rentrer sans perdre son gouvernement. Pompée, nommé proconsul en Espagne, resta deux ans dans les faubourgs.

Puis, le proconsul partait, et devait suivre l’itinéraire tracé par le sénat. Son passage était fort
onéreux aux villes, qui ordinairement en faisaient tous les frais, malgré les largesses du gouvernement.

A son arrivée dans sa province, après une entrevue obligée avec son prédécesseur, qui devait l’attendre, il prenait possession par la publication d’un édit, dans lequel il posait les bases de son mode d’administration, établissait les règles qu’il se proposait de suivre pour l’action de la justice, les comptes des villes, la circulation des denrées, la perception des impôts, etc. Cet édit était envoyé au sénat, qui le ratifiait; mais la distance rendait le plus souvent cette ratification inutile.

Il était d’usage que le proconsul consacrât l’été aux expéditions militaires, et l’hiver à la tenue des assises dans les conventus.

Dans aucun cas, il ne pouvait pas sortir de la province.

Le terme de son gouvernement arrivé, il ne pouvait y séjourner au-delà de trente jours: ce temps lui était
accordé pour qu’il pût rendre le compte de son administration : il fallait que ce compte fût dressé en trois expéditions, dont deux demeuraient dans les principales villes du pays; l’autre était déposée au trésor, à Rome.

Le questeur dressait ses comptes à part, et ils devaient s’accorder avec ceux du gouverneur: c’était trente jours après l’arrivée à Rome que ces deux comptes devaient passer sous les yeux du sénat.

Si les friponneries sont possibles chez nous, malgré le perfectionnement et les exigences minutieuses de la comptabilité moderne, qu’on juge du cas qu’il fallait faire de l’exactitude de ces comptes-rendus. D’ailleurs, n’eussent-ils présenté aucune irrégularité, les gouverneurs n’avaient-ils pas cent moyens de piller et de s’enrichir, en dehors de toute condition et de tout examen? Tantôt c’étaient des quartiers d’hiver simulés, dont on permettait aux villes de s’affranchir moyennant de grosses sommes d’argent; tantôt des subventions supposées volontaires, pour fournir aux jeux romains les animaux les plus rares, les objets les plus curieux; tantôt des objets d’art d’un prix inestimable, qu’on se faisait offrir en reconnaissance d’un service imaginaire ou pour la dispense d’un droit fictif: puis ces redevances de blé, de fourrages, de produits de toute nature que la province était tenue de fournir au gouverneur, et qu’on avait soin de se faire remettre en numéraire, ne donnaient-elles pas lieu aux exactions les plus
arbitraires1 ?

Faut-il s’étonner, « près de cela, de voir tant de contrées, autrefois si opulentes, réduites à
la misère, et d’entendre Cicéron s’écrier : Ubi pecunias exlerarum nationum esse arbitramini, guibus nunc omnes egent,
quum Athenas, Pergamum, Cyzicum, Miletum, Cldum, Samum, totam denique Asiam, Achaiam, Groeciam, Siciliam, jam in paucis villis inclusas
esse videatis ! (In Verrem, de suppliciis, chap. 48.)
.

1. Une de ces exactions consistait à désigner, pour les fournitures, les parties de la province les plus éloignées. La difficulté des transports
forçait alors les malheureux habitants à traiter pour des sommes considérables.