Les récompenses militaires

Couronnes, titres, etc.

Les récompenses les plus ordinaires étaient des armes d’honneur, décernées par le général aux soldats qui avaient fait quelque action d’éclat; elles consistaient en une épée, un clypeus, un casque d’une forme particulière, un sagum de diverses couleurs, etc. Ces récompenses étaient remises solennellement, en présence de la légion sous les armes.

D’autres étaient décernées par le sénat, au nom de la République; elles consistaient en couronnes que l’on distinguait ainsi:

1° La couronne rostrale: on la donnait à celui qui avait remporté une victoire navale; cette couronne était d’or, hérissée tout autour de petits éperons de navire;
2° La couronne castrensis, récompense de celui qui avait sauvé le camp romain: elle était formée de rayons d’or imitant une palissade;
3° La couronne murale: on l’accordait à celui qui avait le premier escaladé les remparts ennemis; elle était d’argent et garnie de tourelles d’or;
4° La couronne obsidionale, distinction honorifique du Romain qui avait délivré des concitoyens assiégés; cette couronne était faite de simple gramen, et par conséquent beaucoup plus estimée que les précédentes;
5° La couronne civique, la plus belle de toutes, quoiqu’elle ne fût faite qu’en feuilles de chêne. Pour la mériter, il fallait avoir sauvé la vie à un citoyen; il fallait avoir tué l’ennemi qui allait le frapper; il fallait que le citoyen délivré en fit lui-même la déclaration publique, et de plus, pour preuve du danger qu’on avait bravé, il fallait que le lieu de l’action fût resté tout le jour au pouvoir de l’ennemi. Simple et magnifique récompense, qui prouvait le prix que Rome attachait à la vie de ses citoyens et le cas qu’elle faisait de la valeur! Aussi la couronne civique était regardée comme la plus éclatante des distinctions qui pût honorer un particulier. Celui qui l’avait reçue pouvait la porter toujours; il était, ainsi que son père, et son aïeul, s’il vivait encore, exempt des charges publiques; quand il entrait au théâtre ou au cirque, magistrats, sénat, chevaliers, peuple, tout le monde se levait, et il siégeait parmi les sénateurs.

Lorsqu’un général avait remporté une grande victoire, ses soldats le saluaient imperator sur le champ de bataille. Ce titre, qui dans la suite exprima le pouvoir souverain, n’était alors qu’une désignation honorifique; mais, pour qu’elle fût valable, il fallait que le sénat la confirmât. Dans ce cas, l’imperator pouvait orner ses faisceaux de lauriers; et, quand il rentrait à Rome, il conservait ce nom pendant un jour, celui de son ovation ou de son triomphe, si le sénat lui accordait ce dernier honneur, le plus brillant de tous.

Supplications et triomphe

Quand une victoire était remportée, le sénat, sur la demande du vainqueur, dût-il accorder ou refuser le triomphe, pouvait toujours accorder des supplications.

C’était une fête religieuse, une cérémonie d’actions de grâces; les temples restaient ouverts un, deux, trois ou même quatre jours. On établissait des lectisternes au Capitole: les statues des dieux étaient couronnées de fleurs, et le sénat allait en pompe sacrifier au temple de Jupiter.

Mais c’est dans le triomphe que se déployait toute la magnificence du peuple-roi. Ce que nous allons dire de cette cérémonie s’applique à l’ovation, sorte de triomphe inférieur; avec cette différence qu’au lieu d’immoler des taureaux, on immolait une brebis (ovis), que le triomphateur était couronné de myrte au lieu de l’être de lauriers, et entrait à Rome à cheval, au lieu d’y entrer sur un char.

Pour obtenir le triomphe il y avait des conditions rigoureuses à remplir.

La première était de le demander : c’était celle à laquelle on manquait le moins. Le général vainqueur devait envoyer au sénat la relation de son succès et sa demande, enveloppée de branches de laurier.

Le sénat s’assemblait hors la ville, dans le temple de Bellone ou celui d’Apollon, et examinait si les autres conditions avaient été remplies.

Il fallait que le vainqueur eût un titre régulier, émané de l’autorité des comices;
Que sa victoire fût décisive et terminât la guerre;
Qu’elle eût assuré ou reculé les limites de l’empire;
Qu’elle eût été remportée sur des ennemis du nom romain, car jamais ovation ni triomphe pour des succès dans une guerre civile;
Enfin, qu’il eût péri au moins cinq mille ennemis, que la déclaration en eût été faite par le général entre les mains de son questeur, et que ce dernier l’eût affirmé par serment dans un rapport au sénat.

Ces conditions remplies, le veto d’un tribun pouvait encore tout suspendre, et il ne restait que l’appel au peuple qui décidait souverainement.

Si le triomphe était accordé, le vainqueur venait camper aux portes de Rome avec son armée; les armes, le costume militaire, l’appareil des combats, toutes choses criminelles en temps ordinaire, devenaient licites pour un jour dans la grande cité; les haches brillaient aux faisceaux au milieu des lauriers, et le triomphateur, imperator pour vingt-quatre heures, plus que roi, plus que pontife, plus que dictateur, allait jouir pendant un jour du pouvoir souverain.

Toute affaire cessait, la villa se couvrait de tapis et de fleurs; les citoyens mettaient leurs habits de fêtes, les magistrats, les consulaires, le sénat, les chevaliers, les pontifes, les augures, les flamines, tous revêtaient leurs insignes, et on se rendait dans le plus grand ordre au-devant du triomphateur.

Celui-ci haranguait alors le peuple et l’armée, distribuait des largesses à ses soldats et aux officiers, et après un sacrifice préliminaire, montait sur son char en prononçant cette prière : « Dieux, dont la volonté et le pouvoir ont fait naitre et grandir la puissance romaine, continuez à la favoriser, à la protéger, à la maintenir. » (Dii, nutu et imperio quorum nata et aucta est res romana, eamdem placati propitiatique servate.)

Alors le cortège entrait.

Les musiciens ouvraient la marche, précédant les sacrificateurs, qui conduisaient avec des guirlandes de fleurs les taureaux blancs aux cornes dorées et ornées de bandelettes.

Puis venait la longue file des dépouilles enlevées à l’ennemi, traînées sur des chariots ou portées par les vélites de l’armée. C’étaient des vases d’or et d’argent, des statues, des tableaux; des candélabres, des casques, des boucliers, des cuirasses, disposés en trophées, des lances unies en faisceaux; des drapeaux et des enseignes qu’on avait le soin de tenir inclinées; de larges plateaux couverts de pièces d’or et d’argent; des écriteaux portant le nom des peuples vaincus, des pays subjugués; puis les images en relief des villes prises, celles des nations vaincues, représentées par des statuettes symboliques. Si la victoire avait été remportée dans une contrée jusqu’alors inconnue, on faisait paraître ensuite les produits de cette contrée, ses fruits, ses arbustes, ses animaux, des images peintes de ses fleuves et de ses montagnes, en un mot, tout ce qui pouvait frapper l’imagination de la multitude et éveiller les nobles idées de la puissance de Rome.

Jusque-là, tout était grand; mais la barbarie trouvait sa place dans ces pompes. Après cet appareil, marchaient les captifs, généraux ou soldats, rois ou peuple, vêtus d’habits lugubres, la tête rasée, les mains liées derrière le dos, déplorables victimes vouées au supplice; car à peine avaient-ils traversé le Forum qu’on les emmenait pour les immoler; et ce qui ajoutait à l’atrocité du spectacle, c’est qu’un baladin, richement habillé, marchait derrière eux et insultait à leur défaite; une musique bruyante accompagnait ses railleries.

Après ces malheureux paraissaient les tribuns des légions couronnés de lauriers, les chevaliers revêtus de la trabée, le corps entier du sénat en robes blanches, les magistrats couverts de leur prétexte, les licteurs avec leurs faisceaux ornés de laurier, les aigles des légions précédant, entourant le char de triomphe.

Ce char, appelé thensa, était rond, tout doré, orné de pierreries, décoré des images des grands dieux. Quatre chevaux blancs le traînaient, attelés de front. Le triomphateur, assis sur un siège élevé, dominait le cortège, et attirait tous les regards. Une couronne de laurier entrelacée d’or ornait sa tête; ses joues et son front, par un usage bizarre, étaient peints de vermillon; sa robe était de pourpre, toute brodée d’or; il tenait d’une main une branche de laurier, de l’autre un petit sceptre d’ivoire surmonté d’un aigle d’or. S’il avait des enfants en bas âge, ils se tenaient sur le char à ses côtés; adultes, ils l’escortaient à cheval.

Comme les Romains craignaient l’ivresse de ces honneurs extraordinaires, ils avaient placé près du triomphateur quelques souvenirs de la brièveté de sa gloire: une clochette et un fouet, signes de supplice, pendaient au char; à la suite, marchait un homme qui répétait de temps en temps: « Regarde derrière-toi, souviens-toi que tu es homme! » (Respice post te, memento te hominen!). Enfin, dans l’armée qui suivait et qui chantait les louanges du vainqueur, en poussant les cris : « io, io triumphe ! » Libre était à chacun de proclamer ses vices et de le critiquer par des chansons.

La marche était fermée par les légions victorieuses.

Ce cortège suivait la voie Sacrée, et se rendait au Capitole : l’encens fumait dans tous les temples ouverts sur son passage. Arrivé au temple de Jupiter, le triomphateur prononçait ces actions de grâces:

« Jupiter très-bon et très-grand, Junon reine, et vous, autres dieux, gardiens et habitants de cette colline, je vous remercie avec empressement, avec joie, de ce que, pour ce jour, pour cette heure, mes mains, par votre volonté, ont sauvé et glorifié la République romaine; continuez à la favoriser, à la protéger, à l’aimer, je vous le demande, je vous en supplie. » (Grattas tibi, Jupiter optime maxime, tibique Juno regina, et coeteris hujus custodibus habitatoribusque arcis diis, lubens loetusque ago, re romana in hanc diem et fioram, per manus, quod voluistis, meas servata, bene gestdque; eamdem, ut facitis, fovele, protegite propitiati, supplex oro.)

Alors on immolait les victimes: la couronne triomphale et les plus précieuses dépouilles étaient déposées dans le temple de Jupiter, et l’on célébrait au Capitole un somptueux festin auquel tous les magistrats prenaient place. Tous les mets que mangeait le héros de la fête devaient être teints en rouge; et un esclave, assis près de lui, devait lui dire de temps en temps : « J’obéis plus à ton esclave qu’à toi. » (Magis tuo servo pareo, quam tibi.)

Si toute cette gloire ne durait qu’un jour, si le lendemain l’imperator, destitué de son titre et de ses honneurs, promenait dans les rues de Rome sa toge de laine, confondu avec ses derniers soldats, redevenu citoyen, l’illustration produite par ce jour restait immortelle. Le triomphateur conservait la prétexte, la chaise curule, le droit de porter une couronne de laurier dans les fêtes publiques; son image pouvait orner l’atrium de ses descendants, mêlée à celles de toute sa famille, appelée à la même distinction; et son nom, inscrit sur les tables du Capitole, passait à la postérité la plus reculée, avec celui de la ville éternelle.