Les temps héroïques (1600-1200 av. J.C.)

Les récits mythologiques (2200-1300 av. J.C.)

Les siècles, vus dans la rubrique précédente, vides de faits authentiques, avaient été remplis par la brillante imagination des Grecs d’une foule de personnages, hommes ou dieux, dont la vie merveilleuse fut l’objet de légendes qui restèrent populaires jusqu’au dernier jour de la Grèce, qui vivent à jamais dans des poèmes immortels. Il est donc nécessaire de connaître cette histoire légendaire faite par les prêtres, par les poètes, par le peuple lui-même et qui recouvre certainement un fonds historique, bien qu’on ne puisse le dégager.

Les poètes grecs s’occupaient peu des Pélasges perdus pour eux dans le lointain des siècles, mais ils en savaient déjà bien long sur les chefs de peuples qu’ils font venir de l’Orient, et avec lesquels commence la période appelée les temps héroïques. Si on étend cette période de 1600 à 1200 av. J. C., on y trouvera les exploits de ceux que les Grecs appelaient les héros, l’expédition des Argonautes, les deux guerres de Thèbes et celle de Troie.

Cécrops (1580 av. J.C. ?)

C’était, disait-on, un sage d’Egypte qui, chassé de Saïs sa patrie par la guerre civile, vers 1580 av. J.C., vint avec quelques-uns des siens aborder dans l’Attique. Les habitants, sauvages encore, vivaient au fond des bois; il les réunit en douze bourgades, leur enseigna à cultiver l’olivier et à extraire l’huile de ses fruits, à labourer la terre et à lui faire produire diverses espèces de grains. Pour mieux serrer les liens de la nouvelle société, il aurait institué les lois du mariage, les rites funéraires et le tribunal de l’Aréopage qui prévenait les violences par des sentences équitables. On le représentait moitié homme et moitié serpent, pour exprimer sa double patrie ou son rôle comme chef de deux peuples.

Cadmus

Europe, fille du roi phénicien Agénor, ayant un jour disparu, ce prince fit partir son fils Cadmus pour la retrouver. Il voyagea longtemps et visita maint pays. Arrivé en Grèce, il consulta l’oracle de Delphes. « Ne cherche plus ta soeur », répondit Apollon; « mais suis la première vache qui se trouvera sur ton chemin et fonde une ville au lieu où elle s’arrêtera ». Elle le conduisit en Béotie, auprès de la fontaine Arcios. Un dragon gardait ces eaux sacrées; Cadmus le tua et sema ses dents sur la terre. Il en sortit des hommes armés qui aussitôt s’attaquèrent; tous périrent; à l’exception de cinq, qui l’aidèrent à bâtir la Cadmée et qui devinrent les chefs des cinq plus nobles maisons thébaines.

Cadmus eut plusieurs enfants : Penthée qui fut mis en pièces par les Bacchantes; Actéon, le rival de Diane à la chasse; un jour il osa regarder la déesse se baignant dans une fontaine : Diane irritée le changea en cerf; et il fut dévoré par ses propres chiens; enfin Sémélé que Jupiter aima. Elle voulut voir le dieu dans l’éclat de sa majesté, au milieu des éclairs et des tonnerres, mais le feu céleste la consuma. L’enfant qu’elle portait dans son sein ne périt pas : Jupiter le prit et le plaça dans sa cuisse jusqu’au moment fixé pour sa naissance; c’était Bacchus. Lycos, Amphion à la lyre harmonieuse, Laios et OEdipe sont nommés parmi les successeurs de Cadmus.

Danaüs

Danaüs, frère d’un roi d’Egypte, vint, fuyant sa colère, s’établir un peu plus tard à Argos. Il était célèbre par ses cinquante filles, les Danaïdes, qui, mariées le même jour, tuèrent, sur son ordre, leurs époux, et furent condamnées, aux enfers, à remplir un tonneau sans fond. Une seule fut exceptée : elle avait sauvé son mari.

Pélops (1284 av. J.C. ?)

Pélops était aussi un fils de roi. Son père Tantale régnait dans la Phrygie. Recevant un jour les dieux à sa table, il veut éprouver leur puissance. Il immole son fils et leur en sert les membres. Jupiter voit le crime; il précipite le coupable aux enfers où Tantale, plongé dans un fleuve dont les ondes fuient ses lèvres brûlantes, ne parvient jamais à y satisfaire sa soif inextinguible, et souffre incessamment des déchirements d’une faim dévorante, sans que sa main puisse saisir les fruits suspendus au-dessus de sa tête.

Cependant Jupiter ranime Pélops. Mais une épaule avait été mangée par Cérès, qui, absorbée dans la douleur que lui causait la perte de sa fille Proserpine ravie aux enfers par Pluton, n’avait pas reconnu ce mets détestable. Jupiter donne au fils de Tantale une épaule d’ivoire dont le seul contact guérit tous les maux. Pélops vient en Grèce; en Elide, il veut obtenir Hippodamie, fille du roi OEnomaos. Treize prétendants ont déjà péri, car OEnomaos, averti par l’oracle que son gendre le tuera, défie à la course ceux qui prétendent à la main de sa fille; il est sûr de les vaincre avec ses chevaux rapides, et il les tue après les avoir vaincus. Pélops gagne le cocher d’OEnomaos qui ôte la clavette des roues, le char se renverse dans la lice; OEnomaos meurt; Pélops lui succède. Selon d’autres récits, Neptune lui avait donné un char d’or et des chevaux ailés.

Mais ce favori des dieux a une abominable postérité : Thyeste qui déshonore son frère, Atrée qui renouvelle avec le fils de Thyeste le festin de Tantale. Agamemnon et Ménélas sont ses petits-fils. Egisthe, fils de Thyeste, égorge Agamemnon; il tombe lui-même sous les coups d’Oreste qui frappe aussi sa mère Clytemnestre.

Prométhée

Les Hellènes nommaient comme père de leur lignée le Titan Prométhée, fils de Japet ou d’Uranus, et le plus sage des dieux. C’est lui qui crée le premier homme et qui, pour animer cet ouvrage de ses mains, dérobe aux cieux une étincelle du feu éthéré. L’homme doué alors d’intelligence, invente les arts, et une lignée dégradée devient la rivale des dieux. Jupiter s’en indigne; il foudroie Prométhée, il l’enchaine au sommet du Caucase, où un aigle lui déchire le foie incessamment; mais le Titan vaincu espère encore et prédit la victoire : « Jupiter tombera », dit-il, « du vieux trône des cieux, précipité par un géant indomptable qui trouvera un feu plus puissant que le feu de la foudre, des éclats plus retentissants que les éclats du tonnerre, et qui brisera dans la main de Neptune le trident qui soulève l’Océan et fait bondir la terre. »

Deucalion (1434 av. J.C. ?)

Un fils de Prométhée, Deucalion, sauve la lignée créée par son père. Il régnait dans la Thessalie, quand Jupiter, irrité des crimes des hommes, envoya un déluge qui fit périr toute la population. Il échappa seul au fléau, avec sa femme Pyrrha, dans un navire qu’il avait construit d’après les conseils de son père. Au bout de neuf jours, l’arche s’arrêta sur la cime du Parnasse. Lorsque les eaux se furent retirées, Deucalion et Pyrrha consultèrent l’oracle de Delphes qui leur commanda de jeter des pierres par-dessus leurs épaules. Les pierres jetées par Pyrrha se changèrent en femmes, celles qu’avaient lancées Deucalion devinrent des hommes, et la Grèce put se repeupler.

Deucalion eut pour fils Hellen, lequel engendra Doros, père des Eoliens et Xuthos qui engendra Ion et Achéos, les chefs des deux autres tribus helléniques.

Bellérophon

Bellérophon était le petit-fils de Sisyphe, le plus avisé des mortels. Proetos, roi de Tirynthe, croyant avoir une injure à venger, voulut le tuer, mais n’osa le frapper lui-même parce qu’il était son hôte. Il l’envoya auprès de son beau-père Iobate, roi de Lycie, avec un message secret où il recommandait à ce prince de se défaire de Bellérophon. Le roi reçut magnifiquement l’étranger. Pendant neuf jours il lui donna des festins, et, chaque matin, il immola aux dieux un taureau pour les remercier de sa bienvenue. Le dixième seulement il lui demanda son message; après en avoir pris connaissance, il lui ordonna d’aller tuer la Chimère, monstre qui avait la tête d’un lion, la queue d’un dragon, le corps d’une chèvre, et dont la gueule béante lançait des tourbillons de flamme. Le héros tua le monstre avec l’aide de Minerve, qui lui donna le cheval ailé Pégase; Iobate lui commanda ensuite de combattre les Solymes et les Amazones; il les vainquit encore. Désespérant de réussir par la force ouverte, le roi mit en embuscade les plus braves de son peuple. Alors Iobate reconnut le favori des dieux et lui donna sa fille en mariage. Mais un jour le héros voulut, monté sur Pégase, escalader l’Olympe, et se laissa choir. Son corps fut brisé, et son coursier divin alla former une constellation parmi les étoiles.

Persée

Acrisios, roi des Argiens, et comme Proetos, descendant de Danaüs, avait une fille, Danaë, que Jupiter aima et qui eut elle-même un fils, Persée. Un oracle avait prédit à Acrisios qu’il serait privé de la couronne et de la vie par son petit-fils. Dès qu’il apprit sa naissance, il l’enferma avec sa mère dans un coffre qu’on jeta au milieu des flots. Les vagues le portèrent sur l’île de Sériphos. Le roi de ce pays délivra Persée de sa prison flottante. Celui-ci grandit en force et en courage; sa première entreprise fut dirigée contre les Gorgones, qui portaient des serpents entrelacés dans leur chevelure et changeaient en pierres tout ce que rencontrait leur regard. Mais Pluton donna au jeune héros un casque qui le rendit invisible, Minerve lui céda son bouclier, Mercure ses ailes et une épée de diamants. Persée surprit les Gorgones endormies et coupa la tête de Méduse. Du sang de la Gorgone naquit Pégase dont Persée s’empara. Atlas, roi de Mauritanie, lui refusant l’hospitalité, il lui présenta la tête de Méduse qui le changea en montagne. Sur la côte de Palestine, il délivra Andromède exposée à un monstre marin et l’épousa, mais Phinée, oncle de la princesse, vint troubler avec ses partisans le festin nuptial; la tête de la Gorgone le pétrifia. Le roi de Sériphos, qui voulait contraindre Danaë à le prendre pour époux, eut le même sort.

Après ce dernier exploit, le héros rendit aux dieux les armes qu’il en avait reçues et attacha sur l’égide de Minerve la tête de Méduse. De retour dans la Grèce, un jour qu’il s’exerçait aux jeux, il tua son aïeul d’un coup de disque lancé au hasard. Pour ne pas profiter de ce meurtre involontaire, il quitta Argos, fonda Mycènes dont il fit bâtir les murs par les Cyclopes. Après un long règne, il y mourut de la main du fils d’Acrisios qui vengea sur lui son père.

Hercule (1262-1210 av. J.C. ?)

Hercule, qu’on disait fils de Jupiter, avait eu pour mère une mortelle, Alcmène, reine de Tirynthe. Junon, irritée de sa naissance, envoya deux serpents pour le tuer dans son berceau : l’enfant les saisit et les étouffa de ses puissantes mains. La déesse, adoucie par les prières de Pallas, consentit à lui donner le sein pour le rendre immortel; mais il la mordit si fort que le lait jaillit jusqu’à la voûte céleste où il fonda la Voie lactée. L’enfance d’Hercule se passa au milieu des rudes exercices des pâtres du Cithéron. C’est là que lui apparurent, Vénus et Minerve, la Volupté et la Vertu. Chacune plaida sa cause et, tenta de l’entraîner. Hercule se décida pour Minerve et commença aussitôt ses glorieux travaux.

Il délivra les campagnes de Thespies d’un lion énorme qui les ravageait; il affranchit Thèbes du joug des Orchoméniens, et, fermant les issues du lac Copaïs, il changea la plaine d’Orchomène en un vaste marais. Jupiter s’aida de son bras contre les Titans qui voulaient escalader le ciel; il n’en laissa pas moins son fils soumis aux capricieuses volontés d’Eurysthée, roi d’Argos et de Mycènes, soit en accomplissement d’un serment imprudemment fait par le dieu, soit en expiation d’un meurtre commis par le héros. Hercule tua le lion de Némée, l’hydre de Lerne, dont les têtes repoussaient, si on ne les coupait que l’une après l’autre; le sanglier d’Erymanthe; les oiseaux gigantesques du lac Stymphale, et le taureau de la Crète. Il saisit à la course, après l’avoir poursuivie toute une année, la biche aux pieds, d’airain; nettoya les étables d’Augias en y détournant l’Alphée, fit manger par ses propres chevaux le roi Thrace Diomède, qui les nourrissait de chair humaine; ravit les pommes d’or du jardin des Hespérides, malgré le dragon qui les gardait; tua le triple Géryon, et enchaîna Cerbère pour délivrer Thésée retenu chez Pluton.

Ce furent là ses douze travaux; mais il en accomplit bien d’autres dans ses longs voyages à travers l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Il délivra Hésione du monstre qui était prêt à la dévorer, prit Troie, tua sur les bords du Tibre, le brigand Caucus, et, en Afrique, Antée qu’il étouffa en l’enlevant dans ses bras puissants, car il avait vu, chaque fois qu’il le terrassait, le géant retrouver de nouvelles forces en touchant la Terre, sa mère. Il extermina les Centaures, délivra Alceste des mains de la Mort, et Prométhée de l’aigle qui lui rongeait le foie; il aida Atlas à porter le ciel, et ouvrit le détroit que bornent les colonnes d’Hercule. Exilé pour un meurtre, il fut vendu trois talents en Lydie par Mercure, et fila aux pieds d’Omphale. De retour en Grèce, il secourut les Doriens contre les Lapithes, s’empara les Etats d’Amyntor, un chef des Dolopes, et, tua le roi d’OEchalie avec tous ses enfants, à l’exception de la jeune Iole.

A la vue d’Iole, Déjanire, femme d’Hercule, comprit qu’elle allait perdre son affection; pour la retenir, elle envoya à son époux, suivant le perfide conseil de Nessus, une tunique teinte du sang du centaure et empreinte du venin de l’hydre de Lerne. Dès que le héros s’en fut revêtu, un feu secret et terrible dévora tout son corps. Il veut l’arracher, sa chair tombe en lambeaux; vaincu par le mal, il se fait dresser un bûcher au sommet de l’OEta et y monte, après avoir confié ses flèches à Philoctète. C’était la dernière épreuve. Les dieux reçoivent dans l’Olympe le héros purifié par la douleur, et lui donnent la jeune Hébé pour sa compagne immortelle.

Thésée

Thésée, le compagnon d’Hercule, est fils d’Egée ou de Neptune. Il naquit à Trézène. Egée avait placé son épée et sa chaussure sous une énorme pierre. A seize ans, Thésée se trouva assez fort pour l’enlever; mais il ne voulut se montrer à Athènes qu’après s’être rendu digne du trône par ses exploits. Des brigands infestaient l’Argolide, l’isthme de Corinthe et l’Attique : Sinnis, qui attachait les étrangers tombés entre ses mains à deux pins courbés en sens contraire, puis laissait les arbres se redresser et déchirer ses victimes; Sciron, qui les précipitait du haut des rochers dans la mer; Cercyon, qui les forçait de lutter avec lui, et ensuite les égorgeait; Procuste, qui les attachait sur un lit de fer, coupant les extrémités à ceux qui en dépassaient la mesure, allongeant avec des courroies ceux dont les membres étaient trop courts. Thésée les tua, arriva enfin à Athènes, et se fit reconnaître de son père, malgré Médée, la puissante magicienne qui, répudiée par Jason, s’était réfugiée dans la ville de Minerve sur un char qu’emportaient des serpents ailés.

Dans l’Attique même, le héros trouva à montrer sa force et son courage; il vainquit les Pallantides, qui voulaient dépouiller son père, et prit vivant le taureau qui désolait les plaines de Marathon. Athènes payait à la Crète un tribut de sept jeunes filles et de sept jeunes garçons que le Minotaure dévorait. Thésée s’offrit à être du nombre des victimes. La fille du roi du pays, Ariane, lui donna un fil à l’aide duquel il pénétra, sans se perdre, dans le labyrinthe de Dédale. Il tua le monstre, et revint avec Ariane, qu’il abandonna dans l’île de Naxos. Il avait oublié d’ôter les voiles noires que son navire portait au départ; Egée, à la vue de ce signe de deuil, crut son fils mort, et se précipita dans la mer qui lui dut son nom. Thésée hérita de son pouvoir, et donna de sages lois à l’Attique.

Mais le goût des aventures le rejeta bientôt dans la vie errante; il prit part à la chasse du sanglier de Calydon et à la conquête de la Toison d’or; il combattit les Amazones, sur les bords du Thermodon, ravit Hélène, et voulut aider son ami Pirithoüs à arracher Proserpine des enfers. Mais Pirithoüs fut mis en pièces par Cerbère, et Thésée, retenu dans le Tartare, ne fut délivré que par Hercule. Rentré dans Athènes, après deux ans d’absence, il reçut les plaintes de Phèdre contre Hippolyte et prononça sur son fils innocent des malédictions que Neptune entendit: un monstre marin, sorti des flots, effraya les coursiers du jeune prince; qui; renversé de son char et embarrassé dans les rênes, expira, déchiré par les rocs où ses chevaux furieux le traînaient. Dès lors tout se tourne contre Thésée. Malgré ses services, le héros perd l’amour du peuple. Les Athéniens le chassent, une tempête le repousse de la Crète sur l’île de Scyros, et le roi de cette île le fait périr par trahison. Cimon rapporta plus tard ses cendres; les Athéniens l’honorèrent comme un demi-dieu.

Autres personnages célèbres des temps héroïques

Si l’on voulait connaître tous les personnages de cette époque célébrés par les poètes, il faudrait nommer encore le Crétois Minos, puissant roi, qui mérita par sa justice d’être aux enfers le juge de tous les hommes; Tyndare et sa femme Léda, fut aimée de Jupiter et donna le jour à Castor et à Pollux; Hélène et Clyterrmestre, beautés fatales et filles aussi de Léda; Sisyphe, roi de Corinthe, qui enchaîne la Mort et trompa Pluton quand le dieu lui eut imprudemment permis de sortir des enfers et de revenir pour quelques jours sur la terre; Mélampos, qui comprenait le chant des oiseaux; Méléagre, qui tua le sanglier de Calydon; le centaure Chiron, le précepteur d’Achille, qui connaissait tous les simples des montagnes, et savait lire dans les étoiles la destinée des hommes: Alceste, qui se dévoua à la mort pour son époux, et Atalante, la hardie chasseresse qui devançait à la course les plus rapides des Grecs et les tuait après les avoir vaincus. Elle fut cependant vaincue elle-même par Hippomène, qui, pour ralentir la course de la vierge indomptable, jeta successivement devant elle trois pommes d’or du jardin des Hespérides que Vénus lui avait données.

OEdipe

Un roi thébain, Laios, effrayé par des oracles sinistres, avait fait exposer son fils OEdipe sur le mont Cithéron. Des pâtres recueillent l’enfant et le portent à Corinthe, où le roi Polybe, dont l’hymen a été stérile, l’adopte et l’élève, comme s’il était né dans sa maison. Arrivé à l’âge d’homme, OEdipe apprend qu’il doit être fatal à tous les siens. Il veut fuir sa destinée; il s’éloigne en toute hâte de Corinthe et de ceux dont il se croit le fils. Dans les montagnes de la Béotie, il rencontre un vieillard qui, d’une voix impérieuse, veut l’écarter de sa route. Une querelle s’engage, et le vieillard tombe, mortellement blessé.

OEdipe arrive à Thèbes. Un monstre, tête et poitrine de jeune fille, corps de lion, ailes d’aigle, avec ses puissantes serres, le Sphinx, est aux portes de la ville, proposant aux passants d’indéchiffrables énigmes, et mettant en pièces ceux qui ne peuvent les deviner. Créon a promis la main de sa soeur Jocaste, veuve de Laios, et le trône de Thèbes à celui qui débarrasserait la cité de ce terrible voisinage. OEdipe tente l’aventure. « Quel est », lui dit le sphinx, « l’animal qui, le matin, marche avec quatre pieds, au milieu du jour, avec deux, le soir, avec trois! – L’homme » répond OEdipe, « qui, enfant, se traîne sur les mains et les pieds, qui, au milieu de la vie, marche droit et, dans sa vieillesse, appuie d’un bâton ses pas chancelants. » Le monstre, vaincu, se précipite du haut des rochers et meurt. OEdipe épouse Jocaste; il devient roi de Thèbes et est ainsi le meurtrier de son père, l’époux de sa mère, le frère de ses enfants.

Les Grecs, ne pouvant s’expliquer qu’on vit parfois, sur la terre, le vice ou le crime triomphant, avaient imaginé, pour s’en rendre compte, de placer au-dessus de tous les dieux le Destin, qu’ils appelaient aussi la Fatalité, et dont les décrets, même injustes, s’accomplissaient toujours. OEdipe avait été l’instrument innocent de cette divinité aveugle et implacable, il allait en être la victime.

Une peste, en effet, survient, qui décime la ville de Thèbes. OEdipe cherche, en consultant les dieux, à savoir quel est le moyen d’apaiser leur colère et de sauver son peuple. Il apprend avec épouvante que les Thébains sont ainsi punis à cause de ses crimes qu’il connaît alors pour la première fois. Jocaste ne veut pas survivre à l’horrible révélation; elle s’étrangle, et celui qui est à la fois son fils et son époux se condamne lui-même à perdre la lumière. Il s’arrache les yeux, puis abandonne ce palais souillé.

Accompagné de sa fille Antigone qui guidait pieusement ses pas, il erra longtemps en maint pays, objet d’effroi pour tous ceux qui le rencontraient et partout repoussé dès qu’il était reconnu. Il arriva enfin, après de longues misères, à Colone, près d’Athènes, « la seule ville », dit le poète, « qui soit secourable à l’étranger. »

L’oracle lui avait annoncé qu’il ne trouverait de repos qu’auprès des Euménides, les déesses des vengeances divines. A Colone était un bois qui leur avait été consacré. OEdipe pénétra, malgré les larmes de sa fille, dans l’enceinte redoutable; aussitôt la foudre éclata et il disparut.

Guerre des sept Chefs

Cependant ses deux fils Etéocle et Polynice se disputaient son trône; le dernier, chassé par son frère, se retira auprès d’Adraste, roi d’Argos, qui lui donna une de ses filles en mariage et le ramena sous les murs de Thèbes, avec une armée commandée par cinq autres chefs illustres (1214 av. J.C.?). Ménécée, fils de Créon, sauva la ville en se livrant volontairement à la mort, pour offrir à Mars le sang royal que le devin Tirésias demandait en son nom. Tous les chefs périrent à l’exception d’Adraste; il échappa aux Thébains victorieux, grâce à son coursier Arion, que Neptune avait fait sortir de la terre d’un coup de son trident. Capanée, un d’entre eux, avait osé braver Jupiter, et le dieu l’avait frappé de la foudre; sa femme Evadné, pour ne pas lui survivre, se jeta sur le bûcher où l’on brûlait le corps de son époux.

Guerre des Epigones (1197 av. J.C.?)

Etéocle et Polynice s’étaient tués en combat singulier; la couronne resta à leur oncle Créon, qui défendit de donner la sépulture aux morts. La pieuse Antigone osa enfreindre cet ordre barbare, le tyran la fit mourir; mais Thésée, gardien et vengeur des lois morales, lui déclara la guerre et le tua. Plus tard, les fils des sept chefs, les Epigones, marchèrent contre Thèbes (1197 av. J.C.?) et la prirent après de sanglants combats. Laodamas, fils d’Etéocle, fut tué ou s’enfuit en Thessalie avec une partie des Thébains, et Thersandre, fils de Polynice, régna sur Thèbes désolée.

Le devin Tirésias, qui avait prédit ces épouvantables catastrophes, meurt quand elles sont accomplies. Il avait vécu sept âges d’homme.

Expédition des Argonautes (1226 av. J.C.?)

La renommée avait répandu au loin le bruit que Eétès, roi de Colchide, avait d’immenses richesses, ce que l’on exprimait en disant qu’il possédait une toison d’or consacrée à Mars et gardée par un dragon : c’était la dépouille d’un bélier que Jupiter avait donné à Phryxos et à Hellé pour fuir la colère de leur père Athamas. En passant, montée sur ce bélier merveilleux, le détroit qui sépare l’Europe de l’Asie, Hellé se laissa choir dans la mer qui garda son nom (Hellespont). Phryxos parvint en Colchide, immola le bélier à Jupiter et en donna la toison au roi du pays. Elle devint comme le palladium de la Colchide, le gage de sa richesse et de sa grandeur.

Jason, fils du roi d’Iolchos, Eson, que son frère Pélias avait privé du trône, se proposa de reconquérir la précieuse toison. Il construisit le navire Argo, dont le mât, fait d’un chêne de la forêt de Dodone, rendait lui-même des oracles. Cinquante guerriers le montèrent; les plus illustres furent Hercule, qui abandonna l’expédition après avoir, sur les côtes de la Mysie, délivré Hésione du monstre marin qui allait la dévorer; Thésée, Pirithoüs, les deux frères Castor et Pollux, Méléagre, Pélée, le poète Orphée qui, par ses chants aimés des dieux, bannissait la discorde, et le médecin Esculape, fils d’Apollon, à qui nul mal ne pouvait résister.

Après maintes aventures, Jason arrive en Colchide, et gagne l’affection de la fille du roi, Médée, puissante magicienne. Elle lui révèle tous les périls qui l’attendent, mais lui enseigne les moyens d’en triompher. Aidé de son art redoutable, il saisit et dompte sans peine deux taureaux aux pieds et aux cornes d’airain, qui vomissent des flammes; il les attelle à une charrue de diamant, et laboure quatre arpents de terre consacrés à Mars. Des dents d’un dragon qu’il sème naissent des hommes armés qui l’attaquent; mais il jette une pierre au milieu d’eux et ils tournent leurs armes contre eux-mêmes. Jason s’approche alors du monstre qui gardait la Toison d’or; il l’endort à l’aide d’un breuvage magique, le tue et ravit le trésor.

Médée le suit sur son navire; mais, pour échapper à l’ardente poursuite d’Eétès, les Argonautes prennent une route nouvelle, ils remontent par le Phase jusqu’au fleuve Océan, qui enveloppe, comme un anneau immense, le disque de la terre, côtoient les rivages de l’0rient, et par le Nil rentrent dans la Méditerranée.

D’autres récits conduisaient les hardis navigateurs au Nord et à l’Ouest, dans la région fortunée où les Macrobiens vivaient douze mille siècles sans infirmités, dans celles des Cimmériens, qu’enveloppaient des ténèbres éternelles, enfin dans la mer de Glace et dans l’Océan occidental jusqu’aux colonnes d’Hercule. Les géographes qui s’efforcèrent plus tard de rapprocher la légende de l’histoire leur faisaient seulement remonter le Danube, d’où, en traînant leur navire, ils passaient dans l’Adriatique, puis dans le fleuve Eridan (le Pô), dans le Rhône et la mer de Toscane. Circé, l’enchanteresse si fatale dans la suite aux compagnons d’Ulysse, secourt au contraire ceux de Jason; les Néréides soulèvent de leurs mains le vaisseau pour lui faire traverser le dangereux détroit de Charybde et de Scylla. Les sirènes les appellent de leurs voix harmonieuses. Mais Orphée détruit l’enchantement fatal par les accords de sa lyre. Une tempête les jette sur les côtes de l’Afrique, ils visitent le jardin des Hespérides dont Hercule vient d’enlever les pommes d’or, traversent encore la mer de Crète et rentrent enfin dans la Grèce que Médée épouvante de ses fureurs.

Durant le voyage, près d’être atteinte par son frère, elle l’avait livré aux coups de Jason, puis mettant son corps en pièces, elle avait semé les chairs livides et les ossements brisés le long de la route que suivait son père pour arrêter sa poursuite. A Iolchos, elle rajeunit par son art le vieil Eson et fait déchirer Pélias par ses filles en leur promettant que ses membres, mêlés dans une chaudière bouillante à des herbes magiques, retrouveront une vie nouvelle.

Cependant Jason la délaisse; alors elle égorge ses propres enfants, donne à sa rivale une tunique empoisonnée, et, s’élevant dans les airs, sur un char traîné par des dragons ailés, se réfugie dans l’Attique où elle devient l’épouse d’Egée.

La Guerre de Troie (1193-1184 av. J.C.?)

L’événement des temps primitifs de la Grèce qui laissa les plus longs souvenirs dans la mémoire des hommes, et qui exerça sur l’art et la poésie la plus durable influence, fut la guerre de Troie. Cet événement est certainement historique; quelques-unes des circonstances qu’on y rattache ont même un degré de certitude plus grand qu’aucun des faits de l’expédition des Argonautes, par exemple; mais la poésie a recouvert tous ces incidents de détails merveilleux que le génie d’Homère a pour jamais consacrés dans son Iliade.

De l’ensemble des traditions, il résulte qu’un puissant royaume s’élevait en face de la Grèce, sur les côtes opposées de la mer Egée. Une partie de l’Asie Mineure appartenait à ses princes, et les peuples indépendants de cette péninsule étaient ses alliés. Priam y régnait alors, et Troie ou Ilion, sa capitale, bâtie au pied du mont Ida, était célèbre par la force de ses murailles, par les richesses de ses habitants. Des outrages mutuels avaient excité la haine des deux peuples. Une dernière insulte les arma l’un contre l’autre. Pâris, fils de Priam, ravit Hélène, femme de Ménélas. Ce prince entraîna aisément la Grèce entière dans sa querelle. De la Crète à la Macédoine, tous les chefs s’armèrent; et 1186 vaisseaux, partis du port d’Aulis, portèrent en Asie plus de 100000 guerriers. Priam put à peine leur opposer une armée moitié moins forte, bien qu’il lui fût venu des secours de la Thrace, de la Macédoine et jusque de l’Ethiopie.

Les Grecs avaient pour chef l’Atride Agamemnon, roi de Mycènes, de Corinthe et de Sicyone. Après lui venaient son frère Ménélas, roi de Sparte, et l’époux outragé d’Hélène; Achille et son ami Patrocle, à la tête des Myrmidons; Diomède, les deux Ajax, l’un roi des Locriens, l’autre roi de Salamine, et après, Achille, le plus beau et le plus brave des Grecs; le sage Nestor; Ulysse, le rusé roi d’lthaque; Philoctète, qui possédait les flèches d’Hercule; l’Etolien Thersite, aussi lâche qu’insolent railleur. Parmi les Troyens, le vaillant Hector éclipsait tous les chefs; Enée ne venait qu’après lui.

Le premier des Grecs qui mettrait le pied sur le sol troyen devait périr; les dieux l’avaient ainsi décidé. Protésilas, pour faire cesser l’indécision des chefs, se jeta le premier au rivage. Le destin s’accomplit. Il tomba sous les coups d’Hector. Cependant les Grecs débarqués gagnèrent une bataille qui leur permit de se construire un camp retranché qu’une partie de leurs troupes garda, tandis que le reste alla piller les villes du voisinage ou cultiver la Chersonèse pour fournir des vivres à l’armée.

Cette division des forces grecques et les querelles qui plus d’une fois éclatèrent, surtout celle d’Achille et d’Agamemnon, permirent aux Troyens de faire une longue résistance. Leurs ennemis restèrent dix années en face des murs de l’imprenable cité. Mais la mort de Patrocle, l’ami d’Achille, qui tomba sous les coups d’Hector, fit oublier au héros son long ressentiment. Pour venger son ami, il reparut dans les combats, revêtu des armes divines que Thétis, sa mère, avait obtenues de Vulcain. Une foule de Troyens, Hector lui-même, périrent frappés de sa lance. Avec Hector, Troie avait perdu son plus ferme boulevard; mais, secourue par Penthésilée, reine des Amazones, et par l’Ethiopien Memnon, elle résista encore. Achille, à son tour, tomba, percé au talon d’une flèche partie de l’arc de Pâris, mais qu’Apollon avait dirigée. Ajax et Ulysse se disputèrent ses armes; l’assemblée des Grecs les adjugea au second; Ajax, furieux et désespéré, se jeta sur son épée.

Cependant Troie ne pouvait être prise que si une statue, le Palladium, jadis donnée par Jupiter lui-même à Dardanos, lui était enlevée, et que si Philoctète, le possesseur des flèches d’Hercule, était amené au camp des Grecs. Le héros, blessé au pied par une de ces flèches dont la pointe avait été trempée dans le sang de l’hydre de Lerne, avait été abandonné par les Grecs dans l’île de Lemnos à cause de l’insupportable odeur qui s’exhalait de sa blessure. Pyrrhus, fils d’Achille, vainquit sa résistance, Machaon le guérit, et Pâris tomba sous une de ces flèches qui jamais n’avaient manqué leur but.

Mais le Palladium était enfermé dans la citadelle même de la ville, et les Troyens, pour qu’on ne pût le ravir, avaient fait faire plusieurs images semblables. Ulysse, déguisé en mendiant, pénétra dans la cité, et, malgré tous les obstacles, rapporta au camp des Grecs la statue fatale. Troie pourtant ne succomba qu’à la ruse. Les chefs, cachés dans les larges flancs d’un cheval de bois, perfide offrande qu’ils avaient laissée en faisant embarquer leurs Soldats, furent avec lui introduits dans la place par les Troyens eux-mêmes, malgré les sinistres prévisions de Laocoon. Les dieux, résolu à perdre Troie, avaient puni la patriotique prudence du vieillard, en envoyant contre lui deux serpents qui l’étouffèrent, avec ses deux fils, de leurs replis tortueux, au pied même des autels où il sacrifiait. La nuit suivante, les cent chefs enfermés dans les flancs du colosse en sortirent pour ouvrir les portes à leurs compagnons revenus en toute hâte. Troie fut détruite, Priam égorgé, Hécube et ses filles emmenées en captivité; une d’elles, Polyxène, immolée sur le tombeau d’Achille; Andromaque, la veuve d’Hector, donnée à Pyrrhus, et Cassandre, autre fille de Priam, à Agamennon. Enée, fils d’Anchise, et Anténor échappèrent seuls au carnage ou à la captivité (1184 av. J.C.)1.

Mais de terribles expiations attendaient les vainqueurs. Ulysse erra dix ans sur les flots avant de revoir son île d’Ithaque. Ménélas fut pendant huit années battu par les tempêtes. Agamemnon périt assassiné par Egisthe et par sa femme Clytemnestre. Diomède, menacé à Argos d’un son pareil, s’enfuit en Italie.

Poursuivi par la vengeance de Minerve, Ajax, fils d’Oïlée, eut son vaisseau brisé. Il s’était réfugié sur un rocher et s’écriait : « J’échapperai malgré les dieux. » Neptune tendit le roc d’un coup de son trident et précipita le blasphémateur dans l’abîme. Teucer, repoussé par la malédiction paternelle, pour n’avoir pas vengé la mort d’Ajax, son frère, alla fonder dans Chypre une nouvelle Salamine.

La tradition conduisait encore Philoctète, ldoménée et Epéos sur les côtes de l’Italie, qui offrit aussi un asile au Troyen Anténor et au fils d’Anchise, Enée, que les Romains regardèrent ensuite comme le père de leur lignée. Les poètes avaient chanté les malheurs des héros, et leurs récits formaient tout un ensemble ou cycle épique dont il ne reste plus que l’Odyssée.

1. Cette date est seulement la moins improbable de toutes celles qu’on donne pour cette guerre.

Homère

Homère n’a pas fait le récit de tous ces événements. L’Iliade, qui montre les dieux de l’Olympe mêlés aux combats des hommes, chante seulement la colère d’Achille, la mort de Patrocle et celle d’Hector, son vainqueur. L’Odyssée raconte avec un charme infini les longues aventures d’Ulysse à la recherche de son île Ithaque, la constance de Pénélope et la mort des prétendants. Homère vivait probablement au Xième siècle avant notre ère. Sept villes, surtout Smyrne et Chios, se disputaient l’honneur de lui avoir donné le jour. On le représente comme aveugle, errant à travers les cités, et chantant sur les places des fragments de ses poèmes. Les rapsodes1 les recueillirent de sa bouche et, comme lui, parcoururent tous les pays où la langue grecque était parlée, en chantant les exploits des héros devant Troie ou les malheurs du fils de Laërte. Ces fragments, ainsi transmis de génération en génération, furent enfin réunis par Pisistrate.

1. Ce mot signifie en grec ceux qui cousent, parce que les rapsodes réunissaient divers fragments dans un même chant ou récit.