Les trente tyrans-Socrate (403-399 av. J.C.)

Gouvernement des trente tyrans (404 av. J.C.)

Athènes était abattue. Pour la tenir à terre, Lysandre lui imposa le gouvernement de trente personnes dont la tyrannie a laissé un lugubre souvenir. Soutenus par un corps de troupes lacédémoniennes qu’ils établirent dans la citadelle, les tyrans se livrèrent à tous les excès; et pour trouver la solde de ces mercenaires, ils dépouillèrent les temples et battirent monnaie avec des condamnations injustes. Un frère, un fils de Nicias périrent; leurs biens furent confisqués. Tous les amis de la liberté, tous ceux dont les dépouilles offraient une riche proie, furent frappés par la tyrannie. Un jour le chef spartiate lève le bâton sur un Athénien; celui-ci le prévient et le jette à terre; il fut mis à mort. Théramène, un d’entre eux, inclinait, par prudence, à un peu de modération; on lui fit boire la ciguë.

Thrasybule (403 av. J.C.)

Cependant nombre d’Athéniens avaient fui. Thrasybule les réunit, surprit une des forteresses de l’Attique, et, voyant sa petite troupe grossir, s’empara audacieusement de Munychie, un des trois ports d’Athènes. Les Trente vinrent aussitôt l’y attaquer. Un devin qui l’accompagnait lui conseilla de ne pas commencer l’action avant qu’un des siens fût tombé. Pour accomplir lui-même l’oracle, le devin, comme autrefois Codrus, marcha en avant et se fit tuer. L’armée des tyrans fut battue. Thrasybule, pour terminer au plus tôt la guerre, leur permit de se retirer à Eleusis, et proclama une amnistie qui fut religieusement observée. L’ancienne constitution fut rétablie.

Hippocrate, Aristophane et Thucydide (404-399 av. J.C.)

Ces temps déplorables virent pourtant quelques hommes dont les noms ont pris place parmi les plus grands que l’histoire prononce. Hippocrate de Cos (460-380 av. J.C.) mérita, pour l’étendue de son intelligence et la méthode sévère de ses recherches, le surnom de père de la médecine. Nous avons de lui plusieurs ouvrages qui sont encore très estimés, ses Aphorismes surtout, et son traité des Airs, des Eaux et des Lieux. Aristophane, dans ses comédies, flagella tous les travers de son temps; Thucydide en raconta sévèrement, dans son histoire inachevée de la guerre du Péloponnèse, les fautes, les crimes et les misères1.

1. La première comédie d’Aristophane fut représentée en 527 av. J.C., la dernière en 390 av. J.C. Thucydide (474-395 av. J.C.) servit comme général d’Athènes dans la guerre du Péloponnèse, et fut banni pour une faute militaire qu’il commit. Cet exil, qui dura vingt ans, nous a valu un chef-d’oeuvre.

Socrate (469-399 av. J.C.)

Mais l’homme qui les dépasse tous par les conséquences qu’eurent sa vie et ses doctrines, fut Socrate. Il était né en 469 av. J.C. Son père était sculpteur, et lui-même exerça d’abord cette profession; il abandonna son art, quoiqu’il fût pauvre, pour chercher, non pas la richesse, mais ce qu’il estimait meilleur que l’or, la sagesse et la science. Il remplit tous ses devoirs de citoyen, il combattit courageusement à Potidée, à Amphipolis et à Délion. Il sauva une fois Alcibiade, une autre fois Xénophon. Quand les trente tyrans fermèrent les écoles et lui interdirent de continuer sa prédication sous peine de mort. « Pensent-ils donc », dit le sage, « que je me croie immortel? »

Sa maxime favorite était celle-ci : « Connais-toi toi-même. » Il s’était donné la mission de combattre partout l’erreur. Sans attaquer directement la religion de son pays et les dieux de l’Olympe, son enseignement tendait à reconnaître un être suprême, ordonnateur et conservateur de l’univers. Les vanités qu’il froissait, les préjugés qu’il blessait, égarèrent sur son compte l’opinion publique. Il fut accusé de corrompre la jeunesse et de vouloir détruire la religion de l’Etat. Cité en justice, 281 voix contre 278 le déclarèrent coupable. Quand il lui fut permis de parler sur l’application de la peine : « Athéniens », dit-il, « pour m’être consacré tout entier au service de ma patrie, en travaillant sans relâche à rendre mes concitoyens vertueux; pour avoir négligé dans cette vue affaires domestiques, emplois, dignités, je me condamne à être nourri le reste de mes jours dans le Prytanée aux dépens de la république. » 50 juges, que tant de fierté blessa, se réunirent aux 281 et votèrent la mort.

Il demeura 30 jours en prison en attendant le retour de la théorie1 envoyé à Délos; car, pendant la durée de ce pèlerinage, les lois défendaient de faire mourir personne. Il passa son temps à s’entretenir avec ses amis des plus hautes pensées philosophiques, de l’immortalité de l’âme, de la vie future, meilleure que celle-ci. La veille du jour où le vaisseau sacré revint à Athènes, Criton, un de ses disciples, lui offrit les moyens de s’enfuir en Thessalie; il les refusa, en attestant les lois de la patrie et l’obligation morale imposée à tout citoyen, légalement condamné, de se soumettre au châtiment prononcé par les juges. Enfin le dernier jour arriva; Socrate le consacra tout entier à l’entretien sublime que Platon nous a conservé, dans le traité intitulé le Phédon. Comme le soleil se couchait, on lui apporta la ciguë; il la but, ferme et serein, au milieu de ses amis éplorés; le geôlier lui-même versait des larmes (399 av. J.C.). Platon fut le plus illustre de ses disciples.

1. Nom donné aux députations religieuses envoyées par une cité à un temple ou à un oracle.