Les tribunaux criminels

Il est certain que, dans l’origine, les pouvoirs avaient des limites fort vagues, et que les criminels étaient jugés tantôt par les rois, tantôt par le peuple. Sous la république même, nous voyons Brutus condamner seul ses enfants.

Le peuple ne tarda pas à revendiquer ce droit et à l’exercer, surtout pour les crimes d’Etat. Pour les crimes particuliers, il nommait des commissaires.

Mais les crimes publics croissant avec la puissance de Rome, et les crimes particuliers avec sa population, on établit des commissions d’enquête permanentes (quaesiiones perpetuae), et dès lors l’administration de la justice fut régularisée. Ce fut vers l’an 609 av. J.C.

Alors aussi on décida que les quatre préteurs, désignés pour aller gouverner les provinces, resteraient d’abord un an à Rome, pour présider ces quatre tribunaux.

Le premier de ces tribunaux recherchait le crime de lèse-majesté (de majestate); le second, celui de brigue (de ambitu); le troisième, celui de péculat (de peculatu); le quatrième, celui de concussion (rerum repetundarum).

Le crime de lèse-majesté comprenait tout ce qui pouvait porter atteinte, non-seulement à la sûreté de l’Etat et à la liberté publique, mais aussi tout ce qui tendait à compromettre la dignité du peuple romain.

Celui de brigue, beaucoup plus vague encore dans sa définition, s’appliquait à toute tentative illicite, à tout moyen honteux employé pour se procurer des suffrages. Mais qu’est-ce qui était illicite et honteux? C’est sur quoi l’orgueil des Romains, d’une part, et de l’autre, leur insatiable avidité ne purent jamais s’entendre. Les lois contre la brigue furent innombrables, ce qui prouve leur impuissance. Le trafic fut toujours libre entre l’éligible et l’électeur, et le peuple de Rome, véritable lazzarone pour l’arrogance et la misère, fut toujours à vendre.

Venalis populus, venalis curia patrum (Pétrone)

Le péculat était le vol des deniers publics. La concussion comprenait toutes les dilapidations opérées dans les provinces sur les sujets de Rome.

Nous avons vu que Sylla fit créer deux nouveaux préteurs: c’était pour présider deux tribunaux qu’il ajoutait aux quatre précédents.

Ces derniers jugeaient :
-1er les parricides, c’est-à-dire, l’homicide en général; car le mot parricide, chez les Romains, s’appliquait à toute espèce d’assassinat;
-2ième les empoisonneurs, les faussaires, et la corruption en matière judiciaire.

Enfin, les lois Juliennes ajoutèrent encore deux tribunaux pour juger la violence publique (de vi publica), c’est-à-dire, les attentats contre les magistrats; la violence privée (de vi priva(â)), c’est-à-dire, la violence contre les citoyens ordinaires; et les plagiaires, c’est-à-dire, ceux qui auraient retenu, caché, lié, vendu ou acheté, avec connaissance de cause, un citoyen romain, un affranchi, ou même l’esclave d’autrui.

Quant aux crimes domestiques, l’Etat ne s’en occupait pas, à cause du large pouvoir laissé à l’autorité paternelle. Le père, l’époux prononçait dans sa propre cause, devant le tribunal de famille, et sans appel.

Ainsi, dans les derniers temps de la république, il y avait huit tribunaux criminels. Malgré la limitation de leurs attributions, il paraît qu’on pouvait, soit arbitrairement, soit sur la demande des accusés, renvoyer une cause d’un tribunal à un autre; mais, dans ce cas, qui, d’ailleurs, était rare, la cause devait être jugée selon les lois du tribunal auquel appartenait la matière.

Chacun de ces tribunaux était régi par des lois spéciales, qu’il est impossible d’exposer d’une manière précise, parce qu’elles varièrent trop souvent; non-seulement tous n’avaient pas le même nombre de juges, mais dans chacun ce nombre changea selon les temps et les circonstances; en général, il s’élevait à cinquante environ. Ce grand nombre ne doit pas surprendre, si l’on songe à ce que nous avons dit, que c’étaient des jurés plutôt que des magistrats.

Le sort les désignait au commencement de l’année pour la répartition entre les divers tribunaux, et de même au commencement de chaque cause. Lorsque la liste des juges de la cause était dressée, le préteur qui présidait au tribunal l’envoyait au préteur de la ville, pour vérification tant du droit de présence que des motifs d’absence.

Lorsque le nombre des causes était trop grand, ou l’affaire trop compliquée, on adjoignait au préteur un juge spécial appelé juge d’instruction (judex quaestionis). Ce fonctionnaire faisait les informations, entendait les témoins, examinait les pièces produites; il déchargeait aussi le préteur du soin de tirer les juges au sort; quelquefois même, si la multitude des affaires exigeait le dédoublement du tribunal, il présidait une des chambres. Cette espèce de magistrature était néanmoins révocable et subordonnée au préteur.

En résumé le préteur, à Rome, ne jugeait pas lui-même les procès; après avoir fait une instruction sommaire de la cause, dans laquelle il décidait la question du droit (jus dicere), il renvoyait les parties devant un juge (judicium, judicem dare) ou (judex quaestionis). Celui-ci devait trancher la question de fait suivant la formule rédigée par le préteur.