Mort de Démosthène et de Phocion, les Gaulois en Grèce (322-278 av. J.C.)

Démembrement de l’empire d’Alexandre (301 av. J.C.)

L’empire d’Alexandre ne lui survécut pas. Ses lieutenants s’en disputèrent les provinces. Après vingt-deux années de guerres durant lesquelles toute la famille d’Alexandre fut exterminée, la bataille d’Ipsus (Ipsos) décida, en 301 av. J.C., que l’empire du conquérant formerait quatre royaumes dont un, celui de Thrace et d’Asie Mineure, ne survécut même pas à Lysimaque son fondateur (281 av. J.C.). Les trois autres furent ceux d’Egypte sous les Ptolémées, de Syrie sous les Séleucides et de Macédoine.

La Grèce essaye de secouer le joug macédonien; guerre Lamiaque (323-322 av. J.C.)

Pendant que les successeurs d’Alexandre se disputaient en Asie quelques lambeaux de pourpre, la Grèce avait essayé de recouvrer sa liberté.

Dès que le bruit de la mort du conquérant eut passé la mer, Athènes avait couru aux armes. Des succès récompensèrent d’abord cette héroïque imprudence; Antipater, gouverneur de Macédoine, fut vaincu à Lamin en Thessalie; mais le général qui avait gagné cette victoire, Léosthénès, ayant été tué dans une escarmouche, son successeur ne sut pas prévenir la jonction d’une armée de secours envoyée à Antipater, et les Grecs perdirent la bataille de Cranon (322 av. J.C.), en même temps que la flotte royale écrasait celle d’Athènes. Le découragement gagna tous les alliés. Athènes demanda à traiter.

Antipater exigea des Athéniens l’installation dans Munychie d’une garnison macédonienne, une indemnité de guerre et la tête de Démosthène.

Mort de Démosthène (322 av. J.C.)

Le grand orateur s’était réfugié dans un temple de l’île de Calaurie. Des soldats l’y découvrirent. Pour empêcher qu’ils ne violassent la sainteté du lieu, il leur promit de quitter son asile dès qu’il aurait écrit ses derniers ordres pour ses affaires domestiques. Prenant alors ses tablettes, il porta à sa bouche le poinçon dont il se servait pour écrire. C’était son habitude, quand il méditait et composait. Il y avait caché cette fois un poison énergique. Après l’avoir gardé quelque temps dans sa bouche, il se couvrit la tête de sa robe. Les soldats, qui étaient à la porte du temple, se riaient de lui et le traitaient de lâche. Mais lorsqu’il sentit que le poison produisait son effet, il se découvrit et se leva pour sortir: « O Neptune », dit-il, « je sors vivant de ton temple; mais Antipater et les Macédoniens ne l’auront pas moins souillé par ma mort. » Il finissait à peine ces mots qu’il chancela. Il demanda qu’on le soutint pour marcher; et comme il passait devant l’autel du dieu, il tomba et mourut. Athènes lui fit dresser une statue, et sur le socle on grava: « Démosthène, si ton pouvoir eût égalé ton éloquence, la Grèce ne porterait pas aujourd’hui des fers. »

Phocion (322-317 av. J.C.)

Cet autre grand citoyen d’Athènes eut bientôt le même sort. C’était un homme austère, qui pensait qu’on est d’autant plus libre qu’on a moins de besoins. Aussi n’accordait-il à son corps que le strict nécessaire. On le voyait, à l’armée, marcher toujours en tête de ses soldats, nu pieds, sans manteau, à moins qu’il ne fît un froid excessif. Pour un tel homme l’or était une inutilité. Il eut mille occasions de s’enrichir et il resta pauvre toute sa vie. Philippe et Alexandre essayèrent en secret de le gagner; il rejeta leurs présents. « Je tiens », disait-il, « à passer pour un homme de bien, mais il ne suffit pas de le paraître, il faut l’être en effet. » On le pressait de les accepter, sinon pour lui, au moins pour ses enfants. « Ils feront comme moi », répondit-il. « S’ils me ressemblent, ils n’en ont pas besoin; dans le cas contraire, je ne veux pas aider à leurs débordements ».

Comme général, il était fort habile, et Athènes lui donna quarante-cinq fois le commandement de ses troupes. Comme orateur, il avait une grande force, sa vertu. Quand Démosthène le voyait se lever pour lui répondre : « Voilà la hache pour mes discours, » disait-il.

Mais il faut aussi le reconnaître, Phocion, esprit chagrin et grondeur, était de ces hommes qui, tout en servant de leur mieux une cause, la perdent d’avance, en répétant sans cesse qu’elle ne peut être gagnée, ce qui paralyse tous les efforts et arrête le dévouement. Quand Démosthène animait Athènes entière de son enthousiasme pour la liberté, Phocion disait: « Combattre est inutile, nous serons certainement vaincus. » Et, se donnant un démenti à lui-même, il battait un jour ses amis les Macédoniens en Eubée, d’où il les chassait; une autre fois en Thrace, où il sauvait Byzance de leurs mains. Qu’ils aient tué Démosthène, il le fallait, pour leurs plans, étouffer à tout prix cette puissante voix; mais la mort de Phocion fut de leur part une ingratitude. En 317 av. J.C., le régent du royaume, Polysperchon, ennemi de Phocion, parce que Phocion était l’ami de Cassandre, son compétiteur, demanda aux Athéniens de le mettre en jugement. Il avait alors plus de 80 ans.

Jugement de Phocion (317 av. J.C.)

A l’aspect de Phocion, comparaissant en accusé, les bons citoyens, se couvrant le visage, versèrent des larmes amères; un seul eut le courage de se lever et de dire que, puisque le roi de Macédoine avait renvoyé au peuple un jugement de cette importance, il était juste d’exclure de l’assemblée les étrangers et les esclaves. Mais la population rejeta hautement cette proposition et s’écria qu’il fallait lapider cet ennemi du peuple. Personne n’osa plus parler en faveur de Phocion, et lui-même ne parvint qu’avec beaucoup de peine à se faire écouter. « Athéniens, » dit-il, « est-ce justement ou injustement que vous voulez nous faire mourir! -C’est justement », répondirent quelques-uns – « Eh comment pourrez-vous en être sûrs, si vous ne voulez pas même nous entendre? » Mais ne les voyant pas plus disposés à l’écouter, il s’avança au milieu du peuple : « Je confesse », dit-il, « que je vous ai fait des injustices dans le cours de mon administration; et, pour les expier, je me condamne moi-même à la mort. Mais ceux qui sont avec moi, pourquoi les feriez-vous mourir, puisqu’ils ne vous ont fait aucun tort ? – Parce qu’ils sont tes amis », répondit la population. A cette parole, Phocion se retira et depuis ce moment ne dit plus rien. Lorsqu’on demanda les suffrages, ils furent tous pour la mort.

La mort de Phocion (317 av. J.C.)

L’assemblée congédiée, on conduisit les condamnés à la prison. Attendris par leurs parents et leurs amis qui étaient venus les embrasser pour la dernière fois, ils marchaient déplorant leur infortune et fondant en larmes : Phocion seul conservait le même visage que lorsque, sortant de l’assemblée pour aller commander les troupes, il était reconduit avec honneur par les Athéniens. Ceux qui le voyaient passer ne pouvaient s’empêcher d’admirer sa grandeur d’âme et son impassibilité. Plusieurs de ses ennemis le suivaient en l’accablant d’injures; un d’eux vint même lui cracher au visage. Phocion, se tournant vers les magistrats, leur dit d’un air tranquille: « Personne ne réprimera-t-il l’indécence de cet homme? »

Quand ils furent dans la prison, un des condamnés, à la vue de la ciguë qu’on broyait, éclata en plaintes amères, disant que c’était bien à tort qu’on le faisait mourir avec Phocion: « Eh quoi ! » repartit l’homme de bien, « n’est-ce pas une assez grande consolation pour toi que de mourir avec Phocion? » Quelqu’un de ses amis lui demanda s’il n’avait rien à faire dire a son fils Phocos : « Sans doute; j’ai à lui recommander de ne conserver aucun ressentiment de l’injustice des Athéniens ». Nicoclès, le plus fidèle de ses amis, le pria de lui laisser boire la ciguë le premier. « Votre demande est bien dure et bien triste », répondit Phocion; « mais, puisque je ne vous ai rien refusé pendant ma vie, je vous accorde à ma mort cette dernière satisfaction ». Quand tous eurent bu la ciguë, elle manqua pour Phocion, et l’exécuteur déclara qu’il n’en broierait pas d’autre à moins qu’on ne lui donnât douze drachmes, qui étaient le prix de chaque dose. Comme cette difficulté emportait du temps et causait quelque retard, Phocion appela un de ses amis: « Puisqu’on ne peut pas mourir gratis à Athènes », lui dit-il, « je vous prie de donner à cet homme l’argent qu’il demande ».

C’était le 19 du mois de munychion (avril ou mai). Ce jour-là les chevaliers faisaient une procession à cheval en l’honneur de Jupiter. Lorsqu’ils passèrent devant la prison, les uns ôtèrent leurs couronnes; les autres, jetant les yeux sur la porte, ne purent retenir leurs larmes; les plus endurcis regardaient comme une impiété qu’on n’eût pas renvoyé cette exécution au lendemain, afin que, dans une fête si solennelle, la ville ne fût pas souillée par une mort violente.

Ses funérailles (317 av. J.C.)

Les ennemis de Phocion avaient fait décréter que son corps serait porté hors du territoire de l’Attique et que nul Athénien ne pourrait donner du feu pour faire ses funérailles. Aucun de ses amis n’osa toucher à son corps; un certain Conopion, accoutumé à vivre du produit de ces sortes de fonctions, transporta le corps au-delà d’Eleusis, et le brula avec du feu pris sur les terres de Mégare. Une femme du pays, qui se trouva par hasard à ces funérailles avec ses esclaves, lui éleva, dans le lieu même, un cénotaphe, y fit les libations d’usage, et, mettant dans sa robe les ossements qu’elle avait recueillis, elle les porta la nuit dans sa maison, et les enterra sous son foyer, en disant : « O mon foyer, je dépose dans ton sein ces précieux restes d’un homme vertueux. Conserve-les avec soin pour les rendre au tombeau de ses ancêtres, quand les Athéniens seront revenus à la raison. » Ce temps vint : les os de Phocion furent rapportés à Athènes, on lui éleva une statue de bronze; le peuple condamna à mort son accusateur; deux autres tombèrent sous les coups de son fils.

Dégradation d’Athènes (322-301 av. J.C.)

Depuis la bataille de Cranon, en 322 av. J.C., jusqu’à la bataille d’Ipsus (Ipsos), en 301 av. J.C., la Grèce fut une proie disputée par tous les prétendants; c’est pendant cette époque que se place l’administration de Démétrius de Phalère à Athènes, puis celle de Démétrius Poliorcète, fils d’Antigone, auquel les Athéniens prodiguèrent de si indignes flatteries. Ce peuple, toujours ingénieux, mais maintenant dégradé par la servitude, mettait alors son esprit à ses plaisirs ou à des bassesses, comme il l’avait mis autrefois à de grandes choses. Non seulement il saluait roi Antigone et son fils, mais il les adorait comme dieux sauveurs, il leur dressait des autels, il leur vouait des jeux, des sacrifices!

Les Gaulois en face d’Alexandre (335 av. J.C.)

Six cents ans environ avant notre ère, des hordes gauloises avaient franchi le Rhin, et, descendant la grande vallée du Danube, étaient venues s’établir sur les deux rives du fleuve, au Nord de la Macédoine. Ils y restèrent trois siècles, sans que l’histoire sache rien d’eux. Alexandre, dans une de ses expéditions, les rencontra. « Que craignez-vous ? » leur demanda le jeune conquérant qui attendait un hommage à sa valeur. – « Que le ciel ne tombe », dirent-ils. – « Les Celtes sont fiers, » répliqua Alexandre; il leur donna le titre d’alliés et d’amis.

Les Gaulois envahissent la Macédoine (280-279 av. J.C.)

Un demi-siècle plus tard on les retrouve, cette fois en armes et menaçants. Alexandre était mort et l’anarchie désolait son empire. De nouveaux émigrants étant venus de Gaule se mêler aux anciens, tous ensemble se décidèrent à envahir la Thrace et la Macédoine. La phalange macédonienne qui voulut les arrêter fut rompue, le roi pris vivant et égorgé, et le pays livré à une effroyable dévastation. « Du haut des murs de leurs villes », dit Justin, « ils levaient les mains au ciel, invoquant les noms de Philippe et d’Alexandre, dieux protecteurs de la patrie. » Des dieux de pierre et d’airain ne pouvaient les entendre. D’ailleurs, les peuples qui ne savent pas se protéger eux-mêmes ne sont pas secourus du ciel. Après la Macédoine, ce fut le tour de la Thessalie, et après la Thessalie, de la Grèce.

Les Gaulois veulent forcer le passage des Thermopyles (279 av. J.C.)

Ils étaient, si la peur et la vanité n’ont pas grossi leur nombre, 150000 fantassins et 20000 cavaliers. Les Grecs résolurent de les arrêter aux Thermopyles. Personne du Péloponnèse ne vint cette fois défendre et honorer par un nouveau sacrifice la tombe de Léonidas; mais toute la Grèce du Nord se coalisa. Les Etoliens donnèrent jusqu’à 10000 hommes. Athènes ne fournit que 1000 hoplites et 600 cavaliers, mais elle envoya toutes ses galères s’embosser dans le golfe Maliaque, d’où ceux qui les montaient purent, durant l’action, tirer sur les barbares. Le commandement de l’armée de terre fut même remis à l’Athénien Callipos: dernier et juste hommage à la ville qui n’avait pas encore une seule fois manqué à la Grèce, aux jours de péril.

Les Gaulois sont repoussés de Delphes (278 av. J.C.)

Energiquement repoussés du passage des Thermopyles, les Gaulois découvrirent le sentier qui avait ouvert la Grèce à Xerxès, et qui, chose étrange, ne fut pas gardé cette fois avec plus de soin. Ils se dirigèrent aussitôt sur Delphes pour en piller les trésors. On raconte que le dieu consulté avait répondu qu’il saurait bien se défendre; qu’un tremblement de terre entr’ouvrit le sol sous les pieds des barbares et fit rouler sur leurs têtes les rochers des montagnes; enfin qu’une tempête bouleversa les airs, et que la foudre consuma les Gaulois qui n’avaient pas péri sous les montagnes renversées. Cette légende renouvelée de l’invasion des Perses, où l’on disait que pareille chose avait eu lieu, n’est qu’un embellissement poétique de la résistance organisée alors par les habitants d’une contrée si facile à défendre. Repoussés de ce pays hérissé de montagnes, les Gaulois firent une retraite que les attaques des habitants rendirent désastreuse. La faim, le froid leur causèrent d’horribles souffrances. Leur chef, dangereusement blessé, se tua de sa propre main, pour échapper à la colère de ses soldats, ou à la honte de sa défaite (278 av. J.C.).