Pausanias, Thémistocle et Aristide (480-467 av. J.C.)

Orgueil et projets ambitieux de Pausanias (479-467 av. J.C.)

Trois hommes avaient joué le principal rôle dans cette grande lutte: deux Athéniens, Thémistocle et Aristide, un Spartiate, le roi Pausanias.

Celui-ci n’avait pu supporter sa fortune et sa gloire. Tout fier de s’être vu à la tête de 100000 Grecs, il ne comprenait pas que le vainqueur de Platées dût rester un simple roi de Sparte, surveillé et contenu par les éphores. Envoyé dans la Thrace pour en chasser les garnisons persiques, il se laissa éblouir par les récits de ses captifs sur la splendeur de la cour de Suses. lls lui contaient comment vivaient les grands, leur mollesse, leurs plaisirs, leur pouvoir surtout ce qui était au-dessous d’eux. Ce séduisant tableau, mis en regard des lois sévères de Sparte, acheva de troubler cette faible et vaniteuse intelligence. Parmi eux était un Erétrien qui, pour une trahison inutile, avait reçu de Darius quatre villes considérables de l’Eolide. Que ne donnerait donc pas le grand roi à qui lui livrerait la Grèce?

De ce jour Pausanias s’abandonna aux plus vastes espérances. A l’aide de ses prisonniers qu’il laissa échapper, il entra en secrètes relations avec Artabaze, satrape de Bithynie. Il demanda une fille de Xerxès en mariage, promettant d’apporter pour dot la soumission de Lacédémone, et comme s’il eût été déjà le gendre du grand roi, il quitta l’habit grec pour la robe persique, afficha un luxe asiatique dont l’or corrupteur des Perses faisait les frais, et s’entoura d’une garde de Mèdes et d’Egyptiens. Il oublia même qu’il commandait à des hommes libres, il traita les alliés avec la hauteur et l’insolence d’un satrape. Ceux-ci l’en firent souvenir. Les hommes d’Egine et du Péloponnèse retournèrent chez eux; les autres, refusant de lui obéir, se rangèrent sous le commandement d’Athènes.

Sparte se hâta de le rappeler. Comptant sur ses trésors, il osa revenir et fut jeté en prison; mais il obtint, faute de preuves, ou acheta sa liberté, et n’en continua que plus audacieusement ses menées. On le surprit essayant de soulever les Ilotes (Hilotes) pour renverser les éphores et se saisir d’un pouvoir absolu. La loi n’admettait pas contre un Spartiate le témoignage d’un esclave. On manquait, donc de preuves; il les fournit lui-même.

Sa mort (467 av. J.C.)

Un de ses messagers à Artabaze remarqua qu’aucun de ceux qui avaient fait avant lui ce voyage n’était revenu; il ouvrit la lettre et y lut la recommandation de tuer, comme tous les autres, le porteur du message. Celui-ci se garda bien de partir et remit la lettre aux éphores. Ils lui ordonnèrent de se réfugier dans un temple, comme s’il redoutait la colère de Pausanias, qui, bientôt averti, accourut et le pressa d’accomplir sa mission. Des éphores, cachés dans le temple, avaient tout entendu; la trahison était manifeste; on se décida à le saisir. Aux signes d’un d’entre eux, il comprit le sort qui le menaçait et se réfugia dans le temple de Minerve Chalciocos. Comme on n’osait le tirer de force de cet asile sacré, on en mura la porte pour l’y laisser mourir de faim. Sa mère apporta la première pierre. Au moment où il allait rendre le dernier soupir, on le traîna hors du temple, afin que son cadavre ne souillât pas le lieu saint (467 av. J.C.).

Thémistocle relève les murs d’Athènes (479 av. J.C.)

On a vu les services rendus par Thémistocle à sa patrie et à la Grèce entière. Il en rendit encore après la défaite des Barbares. La Grèce était délivrée, mais Athènes était en cendres. Il ne restait plus de la cité de Minerve que l’inexpugnable rempart. Sparte, mue par un sentiment mauvais d’égoïsme, demanda qu’on ne fortifiât aucune ville hors du Péloponnèse, dans la crainte, disait-elle, que si les Barbares revenaient, ces villes ne leur servissent de forteresses où ils s’établiraient solidement et à demeure. Mais ne pas fortifier Athènes, c’était la laisser à la discrétion des Spartiates, et c’était ce que voulait Lacédémone, ce que ne pouvaient vouloir les Athéniens. Ils se mirent donc à relever leurs murailles. Tout le peuple y travailla avec la plus grande activité. Pour matériaux on prit tout, les pierres des tombeaux, les colonnes des temples, Les statues des héros et des dieux. Le mur en allait plus vite et semblait devoir en être plus fort.

Les Spartiates se plaignîrent. Comme le mur n’était pas encore assez haut pour braver une attaque, Thémistocle se fit envoyer solennellement à Sparte pour y porter la réponse d’Athènes; il ne voyagea qu’à petites journées, et, une fois arrivé, ne chercha à voir ni le sénat, ni les éphores. Ceux-ci s’en étonnaient : « J’attends », répondit-il, pour demander audience, « l’arrivée de mes collègues que sans doute quelque affaire urgente a arrêtés. » Cependant à Athènes, hommes, femmes, enfants, vieillards travaillaient. Le bruit en vint de toutes parts à Lacédémone. Thémistocle, interrogé, nia encore et conseilla aux éphores de charger quelques-uns de leurs concitoyens d’aller s’assurer par leurs propres yeux de la vérité. C’étaient des otages pour sa propre sûreté qu’il envoyait à Athènes. Il fit dire sous main qu’on les gardât jusqu’à son retour; et lorsqu’enfin il sut que la muraille était assez avancée pour mettre la cité renaissante à l’abri d’insulte, il vint dire fièrement au sénat de Lacédémone: « Les Athéniens n’avaient pas attendu vos conseils pour abandonner leur ville et monter sur leurs vaisseaux, ils n’en ont pas eu besoin davantage pour rebâtir leurs murs. Qu’on leur envoie des députés pour traiter de choses raisonnables, et ils prouveront qu’ils sont en état de comprendre ce que demande l’intérêt général de la Grèce. » Les Spartiates savaient dissimuler. lls feignirent de prendre cette nouvelle sans colère, et regrettèrent qu’on eût si mal compris leurs intentions.

Il construit le Pirée et augmente la flotte (479 av. J.C.)

Athènes avait besoin d’un port, car la rade de Phalère était trop petite et peu sûre. La nature avait creusé dans le voisinage un bassin beaucoup plus vaste, le Pirée. Thémistocle fit décider que là seraient le port, l’arsenal, les chantiers; et pour mettre ces richesses à l’abri, il ceignit le Pirée d’un mur haut de 19 mètres, long de 11 kilomètres, et assez large pour que deux chariots y pussent passer de front. Puis il conçut le projet, que Cimon et Périclès exécutèrent, de relier le Pirée à la ville par deux murailles, pour assurer les communications. Afin de maintenir la suprématie maritime d’Athènes, il lui fit chaque année construire vingt nouvelles trirèmes; et, pour accroître le nombre de ses habitants, il engagea ses concitoyens à offrir des avantages aux étrangers, surtout aux ouvriers qui viendraient s’établir dans la ville. Ce dernier conseil, libéralement suivi, eut les plus heureuses conséquences. De toutes parts on accourut vers la cité hospitalière, et Athènes trouva dans sa population croissante les moyens d’envoyer au dehors les nombreuses colonies qui contribuèrent tant à sa puissance.

Son exil, mort chez les Perse (471-459 av. J.C.)

Thémistocle avait bien mérité de sa patrie; mais il eut le tort de rappeler trop souvent ses services. Le temple qu’il éleva à la déesse du Bon-Conseil et où il mit sa statue semblait vouloir éterniser le reproche. Ses rapines lui suscitaient aussi des ennemis: il était entré aux affaires avec trois talents, et il en possédait bien au-delà de cent. Il souffrit la peine qu’il avait infligée à Aristide: l’ostracisme le bannit pour 10 ans (471 av. J.C.).

Accusé plus tard de complicité avec Pausanias, il s’enfuit d’Argos à Corcyre et de là en Epire, auprès d’Admète, roi des Molosses. Il avait jadis offensé ce prince, et il redoutait sa colère. Admète était absent. A son retour il trouva Thémistocle assis à son foyer. L’exilé tenait dans ses bras un des enfants du roi qui suppliait pour lui. Admète oublia sa haine et refusa de livrer le fugitif. Il lui donna les moyens de passer en Asie (469 av. J.C.). Thémistocle se rendit hardiment à la cour de Suses, où Xerxès venait de mourir. Quand l’Athénien parut devant son successeur : « Je suis Thémistocle », dit-il, « celui des Grecs qui t’a fait le plus de mal, mais aussi celui qui vient aujourd’hui te faire le plus de bien. » Il invoqua les prétendus services qu’il avait rendus à Xerxès et demanda une année pour apprendre la langue des Perses, afin de pouvoir dévoiler ses plans sans recourir à un interprète. Artaxerxès, admirant son audace, l’accueillit avec faveur et lui donna trois villes de l’Asie Mineure : une pour le pain, l’autre pour la viande, la troisième pour le vin. Divers récits coururent sur sa mort. On dit que, sommé de tenir parole, il prit du poison pour ne pas combattre la patrie qu’il avait sauvée (459 av. J.C.).

Justice d’Aristide (479-477 av. J.C.)

Nous connaissons déjà Aristide, l’homme que le peuple assemblé au théâtre salua du nom de Juste. A Marathon, il avait assuré la victoire en cédant à Miltiade son jour de commandement; à Salamine il était venu, quoique exilé, partager les périls et la gloire de ses concitoyens. A Platées, les Athéniens s’irritaient des continuels changements que faisait Pausanias dans sa ligne de bataille; ce fut Aristide qui les calma : « Toute place est bonne », dit-il, « pour remplir fidèlement son devoir et mourir à son poste. » Thémistocle proposait une résolution importante qui exigeait le secret. Tout d’une voix l’assemblée chargea Aristide d’en prendre connaissance et de décider pour elle-même. Il déclara que le projet était très utile; mais très injuste, et le peuple, sans plus en savoir, le rejeta: il s’agissait, dit-on, de brûler tous les vaisseaux des alliés alors réunis au port de Pagase, ce qui eût fait d’Athènes la seule puissance maritime, mais ce qui eût soulevé centre elle des haines implacables et légitimes.

Aristide fonde une grande confédération (477 av. J.C.)

Cette réputation de justice servit la grandeur d’Athènes. Quand les alliés irrités de la hauteur de Pausanias se détachèrent de Sparte, Aristide commandait les forces d’Athènes.

Comme il souhaitait vivement que les Grecs se tinssent réunis contre le grand roi, il persuada à tous ceux des îles et de la côte d’Asie de former avec Athènes une confédération qui aurait pour but de repousser les attaques des Barbares (la Ligue de Délos). Il régla, du consentement de tous, le contingent de chacun en hommes, en vaisseaux, en argent, et avec une telle équité qu’aucune réclamation ne s’éleva. Il fut plus tard chargé d’administrer le trésor commun déposé à Delphes; et telle fut toujours sa probité que, lorsqu’il mourut, plein de jours et d’honneurs, il ne laissa pas, après avoir administré longtemps les finances les plus riches qu’il y eût alors au monde, de quoi subvenir aux frais de ses funérailles. ll fallut que le trésor public dotât ses filles.