Pélopidas (382-363 av. J.C.)

Surprise de la Cadmée par les Lacédémoniens (382 av. J.C.)

Le traité d’Antalcidas, tout favorable à Sparte, lui avait laissé sa puissance. Elle s’estima assez forte pour n’avoir pas besoin d’être juste. Un de ses généraux, Phébidas, traversant la Béotie avec un corps d’armée qu’il menait dans le Nord, s’arrêta près de Thèbes. C’était le jour de la fête de Cérès. Suivant l’usage, toutes les femmes de la ville étaient montées à la citadelle, la Cadmée, pour y accomplir les sacrifices, ce qui empêchait les magistrats de s’y tenir. En outre, comme on se trouvait en été et sur le midi, les rues étaient désertes. Pélopidas, averti de ces circonstances par un traître, Léontiadès, pénétra avec sa troupe dans la ville et se saisit de la Cadmée. La terreur se répandit parmi tous les habitants et non sans raison, car un des plus illustres d’entre eux, un vaillant homme et un bon citoyen, Isménias, fut condamné à mort et exécuté. Quatre cents de ses partisans se réfugièrent à Athènes.

Nouvelle injustice de Sparte (382 av. J.C.)

Cet événement causa partout une indignation à laquelle les Spartiates parurent s’associer. lls condamnèrent Phébidas à une amende de 10000 drachmes, et le privèrent de son commandement, mais ils gardèrent la citadelle. Agésilas avait défendu le coupable, en mettant de côté la question de justice, et en posant ce principe : qu’on ne saurait condamner un citoyen pour une action utile à sa patrie. Aristide et les Athéniens avaient été mieux inspirés en face de Thémistocle, proposant une chose utile et injuste.

Tyrannie à Thèbes (382-379 av. J.C.)

Il y avait trois ans que la Cadmée était au pouvoir des Lacédémoniens. Confiants dans cet appui, les chefs de l’aristocratie thébaine, Léontiadès et Archias, ne gardèrent plus de mesure. Les prisons se remplirent, les exécutions se multiplièrent comme au temps des Trente à Athènes. Cependant un soupçon vint aux tyrans, au milieu de leurs excès et de leurs plaisirs, que les 400 réfugiés à Athènes supportaient avec peine leur exil et conspiraient peut-être pour rentrer dans leur patrie. Ils résolurent de se débarrasser d’inquiétude en les faisant assassiner. Léontiadès envoya dans ce but des émissaires à Athènes. Ils échouèrent; un seul des réfugiés succomba; les autres se tinrent pour avertis. Leur vie n’étant plus en sûreté, même dans l’exil, le meilleur parti était de faire une tentative pour rentrer à Thèbes : là, du moins, s’ils risquaient de périr, ils risquaient aussi de vaincre.

Complot de Pélopidas (379 av. J.C.)

Parmi les bannis thébains se trouvait Pélopidas, homme d’un courage héroïque, noble et riche, ennemi des tyrans, et lié avec un autre Thébain illustre, Epaminondas, d’une amitié qui avait été éprouvée déjà sur les champs de bataille. Il se fit, à Athènes, le chef d’un complot pour renverser, à Thèbes, la tyrannie de Sparte. Il noua des intelligences avec plusieurs Thébains restés dans la ville, et un d’eux, Phyllidas, parvint à se faire nommer greffier des polémarques ou magistrats de la cité.

Délivrance de Thèbes (379 av. J.C.)

On arrêta un jour pour agir, mais afin de sauver un citoyen distingué qui allait être exécuté, les conjurés partirent plus tôt. Douze prirent les devants, vêtus de simples manteaux, menant des chiens en laisse, et portant des pieux à tendre des rets, afin de se faire passer pour des chasseurs. Ils entrèrent isolément dans la ville par diverses portes, et se réunirent chez un des plus riches Thébains, nommé Charon, où quelques-uns de leurs partisans vinrent les joindre. Phyllidas avait invité à un repas deux des polémarques. Ils étaient déjà dans l’ivresse lorsque le bruit arriva jusqu’à eux, que des exilés étaient cachés dans la ville. Ils mandèrent Charon, qu’on dénonçait; son calme imperturbable dissipa leurs soupçons. Survint un autre avis : un ami d’Athènes écrivait à un des polémarques, Archias, de se méfier, et donnait tous les détails. Il n’ouvrit même pas la lettre, mais la jetant sous son coussin : « A demain les affaires, » dit-il. Quelques instants après, les conjurés arrivèrent. Ils avaient pris pour se cacher des vêtements de femmes. Ils portaient des robes sur leurs cuirasses, et de larges couronnes de pin et de peuplier leur couvraient le visage. Dès qu’ils eurent reconnu les polémarques, ils tirèrent leurs épées, et, s’élançant à travers les tables, tuèrent sans peine ces hommes noyés dans le vin. Phyllidas courut aussitôt à la prison et en ouvrit les portes. Dans le même temps, Pélopidas égorgeait Léontiadès dans sa maison et envoyait dans toutes les directions des hérauts qui sonnaient de la trompette et annonçaient au peuple sa délivrance.

Néanmoins le trouble et la frayeur étaient dans la ville: on éclairait les maisons; les rues se remplissaient de gens qui couraient de côté et d’autre, ne sachant rien de certain et attendant que le jour vint révéler ce que la nuit cachait encore. 1500 Lacédémoniens établis dans la citadelle auraient eu bon marché des conjurés s’ils les avaient attaqués sur-le-champ. Mais les cris du peuple, les feux dont les maisons étaient éclairées et les courses précipitées de la multitude les effrayaient; ils restèrent immobiles, contents de garder la Cadmée. Le lendemain, à la pointe du jour, les autres bannis arrivèrent avec nombre d’Athéniens qui s’étaient joints à eux, et le peuple s’assembla. Pélopidas se présenta à l’Assemblée avec sa troupe, entouré des prêtres qui portaient dans leurs mains des bandelettes, et appelaient les citoyens au secours de la patrie et des dieux. Tout le peuple éclata en cris de reconnaissance et salua les bannis comme les libérateurs de la cité.

Reprise de la Cadmée (379 av. J.C.)

Pélopidas, Citaron et Mellon, les trois chefs les plus actifs du complot, furent nommés béotarques. On commença aussitôt d’assainir la Cadmée. La garnison, manquant de vivres, fut contrainte d’évacuer la forteresse. Sparte condamna à mort deux des harmostes qui y commandaient et chargea le troisième, absent lors de l’attaque, d’une amende énorme qu’il ne put payer, ce qui le força de se bannir (379 av. J.C.).

Le bataillon sacré (379-371 av. J.C.)

Cette reprise de la Cadmée amena une guerre terrible avec Sparte. Pélopidas servit glorieusement sa patrie dans cette lutte qui fit de Thèbes pour dix ans la première cité de la Grèce, et brisa sans retour la puissance de Lacédémone. Il eut le premier l’honneur de vaincre les Spartiates en rase campagne. Marchant un jour sur Orchomène, il rencontre à l’improviste les Lacédémoniens près de Tégyre : « Nous avons donné dans les ennemis », lui dit un des siens. — « Et pourquoi, » répond-il, « ne sont ceux pas les ennemis qui ont donné dans notre troupe? » Il n’avait que 300 hommes, les Spartiates étaient bien plus nombreux; ils furent complètement battus (371 av. J.C.). Le bataillon sacré reçut ce jour-là son baptême de gloire. C’était une troupe d’élite composée d’hommes unis entre eux par l’amitié. Cette troupe existait déjà depuis longtemps, mais on dispersait ordinairement ceux qui la formaient dans les premiers rangs de l’armée. Pélopidas les fit agir en corps et isolément, afin que leur valeur et leur discipline, étant mises en commun, devinssent irrésistibles. « Ce combat », dit Plutarque, « apprit pour la première fois aux Grecs que ce n’était pas seulement sur les bords de l’Eurotas que naissaient les hommes intrépides; mais que partout où les jeunes gens savent rougir de ce qui déshonore, et se porter avec ardeur à tout ce qui est glorieux, partout où le blâme est redouté bien plus que le danger, là sont des hommes qu’il faut craindre ».

Captivité et mort de Pélopidas (363 av. J.C.)

Nous retrouverons partout dans cette guerre Pélopidas à côté de son illustre ami. Mais il n’en vit pas la fin. Il tomba victime de son courage, dans une action obscure et contre un adversaire indigne. En 366 av. J.C., Alexandre de Phères exerçait dans la Thessalie une tyrannie cruelle. Thèbes lui ayant député Pélopidas, le tyran se saisit de l’ambassadeur et le jeta en prison. Dans le commencement, dit Plutarque, il permit aux habitants de Phères d’aller le voir, mais Pélopidas les exaltait par ses discours et lui envoyait dire qu’il était insensé de mettre à mort tant de gens qui ne lui avaient rien fait, et de l’épargner lui, qui, une fois échappé de ses mains, ne manquerait pas de le punir. Le tyran lui demanda pourquoi il était si pressé de mourir. « Afin que, devenu plus ennemi des dieux et des hommes, tu en périsses plus tôt. » Dès lors, personne ne put approcher de Pélopidas. La femme d’Alexandre, Thébé, vint cependant voir en secret le héros qui lui fit honte de laisser vivre un pareil monstre; dès lors elle conçut le projet qu’elle exécuta plus tard de tuer le tyran.

Thèbes fit partir une armée pour délivrer son grand citoyen. Cette armée fut d’abord battue et eût péri, si Epaminondas, qui y servait comme simple soldat, ne l’eût sauvée. L’année suivante, le tyran effrayé rendit la liberté à son captif. Thèbes donna des troupes à Pélopidas pour se venger et pour placer décidément la Thessalie sous son influence.

Il rencontra Alexandre aux Têtes de Chiens (Cynoscéphales), plaine parsemée de hauteurs, l’attaqua avec furie, le vainquit, mais fut tué en cherchant à atteindre son ennemi jusqu’au milieu de ses gardes derrière lesquels il se cachait (363 av. J.C.).

Les villes thessaliennes, qui l’avaient appelé, le regrettèrent autant que les Thébains eux-mêmes, et lui firent des funérailles qui n’eurent jamais d’égales, si l’on admet que leur plus bel ornement n’est ni l’or ni l’ivoire, mais les larmes vraies, les regrets profonds et sincères d’un peuple entier.