Périclès (449-429 av. J.C.)

Périclès : son caractère et son éloquence (449-429 av. J.C.)

Périclès naquit en 494 avant J.C. Son père était Xanthippe, qui avait vaincu les Perses à Mycale. La nature lui avait accordé tous les dons de l’intelligence, et il eut encore les maîtres les plus illustres qui lui apprirent, avec toute la science de ce temps, l’art difficile de se gouverner soi-même. Jamais, en effet, on ne le vit agir par mouvements soudains, mais avec calme et prudence. Tout était pour lui sujet de réflexion. « Il ne monta pas une fois à la tribune », dit Plutarque, « sans prier les dieux de ne laisser échapper de sa bouche aucune parole qui ne fût utile à la question qu’il allait traiter ».

Il ne se prodiguait pas; « comme la galère salaminienne1, que l’on gardait à Athènes pour les grandes solennités, » il ne paraissait en public que dans les grandes occasions. Mais alors il déployait une éloquence que l’on comparait à la foudre et aux éclairs, qui éblouissent et qui frappent. A ce grand art de la parole, il joignait beaucoup d’adresse et de vigueur dans la discussion. « Quand je l’ai terrassé et que je le tiens sous moi », disait un de ses adversaires, « il s’écrie qu’il n’est pas vaincu et le persuade à tous. » La grâce se retrouvait aussi dans son éloquence : « Notre jeunesse a péri dans le combat », disait-il un jour, « l’année a perdu son printemps. »

Sa vie privée était simple, modeste, frugale; son âme, toujours égale, inaccessible à l’ivresse du succès, comme au ressentiment de l’outrage. Un de ses ennemis, homme bas et vil, s’attacha tout un jour à ses pas sur la place publique en l’injuriant, et le poursuivit encore de ses insultes quand il rentra chez lui. Périclès ne se retourna même pas; mais, arrivé à sa demeure, il appela un esclave et lui ordonna de prendre un flambeau et de reconduire cet homme. Point de bruyants plaisirs; il refusait toute invitation à des festins ou à des fêtes. Jamais on ne le voyait hors de sa maison, si ce n’était pour aller au conseil ou à la place publique. Afin de n’être pas détourné des affaires de l’Etat par le soin de sa fortune particulière, et peut-être aussi pour que sa frugalité fût connue, il faisait vendre chaque année et à la fois tous les produits de ses terres; et chaque jour il envoyait acheter au marché ce qu’il fallait pour l’entretien de sa maison, où régnait une économie sévère. Non qu’il fût d’humeur triste et farouche; à ses loisirs il recevait quelques amis et se reposait de ses travaux en causant d’art avec Phidias, de littérature avec Euripide et Sophocle, de philosophie avec Protagoras, Anaxagore ou Socrate.

1. Galère à trente rames qui allait tous les ans porter à Délos les offrandes d’Athènes. Elle avait, disait-on, servi à Thélée, et comme on la réparait sans cesse, on la faisait durer toujours. Athènes la conserva ainsi plus du mille ans.

Le pouvoir de Périclès à Athènes (449-429 av. J.C.)

Cette conduite de Périclès, à la fois si réservée et si digne, lui assura une telle influence, que, sans titre particulier, sans commandement spécial1, et par la seule autorité de son génie et de ses vertus, il fut véritablement maître dans Athènes. Cimon, par l’éclat de ses services l’avait d’abord retenu dans l’ombre. Après l’exil de ce grand citoyen, plus encore après sa mort, il se trouva le premier dans la ville, et, durant vingt années (449-429 av. J.C.), garda cet ascendant. Il montra dans toutes les guerres beaucoup de courage et une grande habileté. Mais il est surtout remarquable par les mesures qu’il provoqua pour affermir l’empire d’Athènes et pour lui donner la gloire avec la puissance.

1. Il fut bien élu chaque année stratège, c’est-à-dire général, mais il avait neuf collègues.

L’administration de Périclès (449-429 av. J.C.)

Les Athéniens avaient peut-être alors huit à dix millions de tributaires ou de sujets; et pour porter cet empire, ils étaient quatorze ou quinze mille citoyens. Périclès comprit que cette domination devait être surtout une force d’opinion : il voulut qu’on crût à la puissance d’Athènes. Pour répandre cette croyance, il promena ses flottes sur les mers, en grand appareil, et quand elle eut une injure à venger, il frappa soudainement, avec une irrésistible vigueur, comme il fit dans la guerre de Samos, qui s’était soulevée et qu’il dompta.

Périclès fonde des colonies (449-429 av. J.C.)

Il voulut aussi donner à cette puissance de solides appuis, en fondant de nombreuses colonies qui furent, pour Athènes, des places de commerce, les ports de relâche ouverts à ses vaisseaux, mais surtout des garnisons gardant les pays où elle les établissait.

Le trésor (449-429 av. J.C.)

Malgré les dépenses de Périclès pour l’embellissement de la ville, que quelques-uns taxaient de folie, il garda en réserve, pour les cas imprévus, près de 10000 talents dans le trésor; il tint les arsenaux remplis, et eut toujours 300 galères prêtes à combattre, ce qui empêchait toute révolte des alliés, mais obligeait aussi les Perses à ne rien tenter contre l’indépendance des cités grecques.

Eclat des lettres (449-429 av. J.C.)

Mais la force de ce peuple était moins dans ses vaisseaux que dans le génie de ses grands hommes, dans les chefs-d’oeuvre qui sortaient de leurs mains : temples, poèmes, statues, doctrines, et dans le concours à Athènes de tous les esprits supérieurs qui honoraient alors le peuple hellénique. De toutes parts, on accourait dans la cité de Minerve (Athéna), comme vers la capitale de l’intelligence. On voulait assister à ces fêtes, où les plaisirs les plus relevés de l’esprit se trouvaient associés aux plus imposants spectacles des pompes religieuses, de part le plus parfait et de la plus riante nature. Ces fêtes n’étaient pas, en effet, comme celles de la plèbe de Rome, les jeux sanglants de l’amphithéâtre, des spectacles de mort, du sang et des cadavres; mais des hymnes pieux, des chants patriotiques, et, au théâtre, la représentation de quelque incident de l’histoire des dieux ou de la vie des anciens héros. Aussi cette époque, si légitimement appelée siècle de Périclès, vit-elle, à Athènes, un des plus vifs éclairs de civilisation qui aient brillé sur le monde. Quel temps que celui ou pouvaient se rencontrer, dans la même cité, à côté de Périclès, deux des plus grands poêtes tragiques de tous les âges : Sophocle et Euripide1; un puissant orateur, Lysias2; un conteur inimitable, Hérodote; l’astronome Méton3; et Hippocrate, le père de la médecine, Aristophane, le premier des poètes comiques de l’antiquité; Phidias, le plus illustre de ses artistes, et Apollodore, Zeuxis, Polygnote et Parrhasios, ses peintres les plus célèbres; enfin, deux philosophes immortels : Anaxagore4 et Socrate. Si l’on songe que cette même cité venait à peine de perdre Eschyle, et qu’elle allait avoir Thucydide, Xénophon, Platon et Aristote, on ne s’étonnera plus que sous de tels maîtres Athènes soit devenue ce que Thucydide l’appelle : « l’institutrice de la Grèce; » ajoutons : et du monde.

1. En 469 av. J.C., Sophocle remporta pour la première fois le prix de la tragédie; la première tragédie d’Euripide est de l’année 462 av. J.C.. Tous deux moururent vers la fin de la guerre du Péloponnèse. Des cent vingt-trois pièces que les anciens attribuaient à Sophocle sept seulement nous sont parvenues en entier. Les Athéniens l’appelaient l’abeille attique. Nous avons huit tragédies complètes d’Euripide.

2. Lysias, né en 459 av. J.C., est un des plus célèbres orateurs d’Athènes. Il nous reste de lui trente-deux discours.

3. L’astronome Méton, pour faire concorder l’année lunaire avec l’année solaire, établit à Athènes, vers l’an 432 av. J.C. un cycle solaire de 49 ans qu’on nomme le nombre d’or. Phidias naquit en 498 et mourut probablement en 431 av. J.C.

4. Anaxagore, né à Clazoméne vers 500 av. J.C., se fixa de bonne heure à Athènes, où il enseigna le premier dans la Grèce, l’idée d’un esprit pur, d’un Dieu distinct du monde: aussi fut-il condamné à l’exil par les Athéniens pour avoir attaqué la religion nationale, en voulant remplacer toutes les fausses divinités qu’ils adoraient par un dieu unique, intelligence suprême. – Le peintre Apollodore était célèbre par la magie de son coloris. Il fut le maître de Zeuxis (475-400 av. J.C.), qui fut lui-même le rival de Parrhasios; Polygnote de Thasos leur est un peu postérieur.

Phidias (498-431 av. J.C.)

Pour embellir Athènes de splendides monuments, Périclès ne se fit pas scrupule d’employer l’argent du trésor des alliés. Ce n’était pas d’une morale très sévère; mais, disait-il, du moment qu’Athènes remplit ses engagements, en faisant la police des mers et en exerçant une protection efficace, nul n’a de compte à lui demander.

Il investit de la suprême direction de ces travaux Phidias (498-431 av. J.C.), dont la main habile réalisa, pour les statues des dieux, la beauté suprême et la majesté souveraine que sa pensée leur donnait. Un de ces hommes qui croient que l’art est la copie servile de la nature lui demanda un jour où donc il avait pris la divine figure de son Jupiter Olympien. « Dans Homère, » répondit-il; et il récita ces trois vers : « Ayant dit, le fils de Saturne fit, de ses noirs sourcils, le signe du commandement; les cheveux du monarque, parfumés d’ambroisie, s’agitent sur sa tête immortelle; et il a fait trembler le vaste Olympe. » Ses oeuvres principales furent cette statue colossale de Jupiter à Olympie, plusieurs statues de Minerve, et une partie des sculptures qui ornaient les dehors du Parthénon. Les plus belles de celles-ci qui nous restent représentent le fleuve llissus et Thésée.

Le Parthénon (447-432 av. J.C.)

Comme Alexandra, Phidias avait sous lui des lieutenants dignes de commander en chef: Ictinos et Gallicratès, qui construisirent le Parthénon tout en marbre du mont Pentélique1; le Milésien Hippodamos, qui acheva le Pirée, la première ville de la Grèce bâtie sur un plan régulier; l’architecte Mnésiclès, qui éleva les Propylés de l’acropole, magnifique vestibule de marbre, qui coûtèrent 2012 talents, et furent achevés en cinq ans.

1. Le Parthénon, qui subsiste mais mutilé, était encore intact en 1687. A cette époque le Vénitien Morosini bombarda la citadelle, et un des projectiles mettant le feu à des barils de poudre enfermés dans le temple, en fit sauter une partie. Il voulut faire descendre les statues du fronton et les brisa. Lord Elgin, au commencement du XVIIIième siècle, a fait enlever les bas-reliefs de la frise et des métopes. Le Parthénon a 70 mètres de long sur 32 de large et 21 de haut; 8 colonnes de face, 17 de profil. A l’intérieur était la statue de Minerve, haute de 11m80. Son casque était surmonté d’un sphinx, emblème de l’intelligence, et au-dessus de la visière étaient 8 chevaux lancés de front au galop, image de la rapidité de la pensée divine. Les draperies étaient en or, les parties nues en ivoire, les yeux en pierres précieuses. Sur le bouclier, placé au pied de la déesse, étaient représentés : en dehors, le combat des Athéniens et des Amazones; sur la face interne celui des Géants et des Dieux; sur le chaussure, celui des Lapithes et des Centaures. Sur le piédestal se voyait la naissance de Pandore. Les deux frontons étaient ornés de figures en ronde basse. La frise qui régnait à 13 mètres d’élévation tout autour du temple, sur un développement de plus de 460 mètres, représentait la procession des grandes Panathénées. Le fond du bas relief était peint bleu de ciel, et des ornements en bronze doré étaient probablement attachés sur les draperies des personnages. Sur les métopes de l’entablement extérieur étaient sculptés des Lapithes luttant contre les Centaures. Pour comprendre la sublime magnificence de ce monument, il faut lui rendre, par la pensée, tout ce que les hommes lui ont été, l’entourer des autres temples qui l’accompagnaient, puis le placer au point culminant de l’acropole, d’où le plus splendide panorama se déroule aux yeux, l’Attique entière, la mer semée d’îles nombreuses et au loin, se perdant dans la brume, les cimes bleuatres des monts du Péloponnèse.

La statue de Minerve ou d’Athéna Parthénos (447-438 av. J.C.)

Dans le Parthénon même, on admira longtemps la fameuse statue d’ivoire et d’or de Minerve (d’Athéna Parthénos), ouvrage de Phidias. Le peuple en avait discuté un jour avec lui le dessin et la matière. L’artiste la voulait de marbre, parce que l’éclat du marbre subsiste plus longtemps; mais ayant ajouté qu’elle coûterait moins, on lui cria, à ces mots, de se taire, comme si l’économie envers les dieux eût été une impiété; qu’il en fallait une d’ivoire et d’or, et d’or le plus pur. On lui en donna, pour les ornements, le poids de quarante talents. Nommons encore, parmi les artistes de ce temps fortuné, Callimachos, l’inventeur de l’ordre corinthien, et Panénos, le frère de Phidias.

La peinture (447-432 av. J.C.)

La peinture n’eut jamais en Grèce la perfection de la sculpture, quoi qu’on dise, sur la foi d’anecdotes plus fameuses que véridiques; mais, dans la mesure de ses forces, elle brilla aussi à cette époque dans Athènes. Panénos, frère de Phidias, décora le Poecile1 de tableaux qui rappelaient aux Athéniens les hauts faits de leurs pères. Polygnote et Micon l’aidèrent dans ces travaux.

1. Poecile, en grec, veut dire varié : c’était un portique où l’on avait rassemblé les plus rares chefs-d’oeuvre.

Les reproches de cette politique de dépenses (449-429 av. J.C.)

Cependant plusieurs murmuraient des sommes considérables employées à ces travaux. Les grands surtout accusaient une prodigalité qui, disaient-ils, ruinait le trésor, et invoquaient les droits des alliés dont on employait les tributs à « dorer, à embellir la ville comme une femme coquette, que l’on couvre de pierres précieuses; à ériger des statues magnifiques; à construire des temples dont un seul a coûté mille talents ». Périclès les fit taire d’un mot. « Athéniens », dit-il un jour en pleine assemblée, « trouvez-vous que je fais trop de dépenses? – Oui, » répondit-on de toutes parts. « – Eh bien! » reprit Périclès, « c’est moi seul qui les supporterai; mais aussi mon nom seul, comme il est juste, sera gravé sur tous ces monuments. » Le sentiment de la vraie gloire étouffa de mesquines rancunes. Le peuple, tout d’une voix, s’écria que Périclès avait bien fait et devait continuer à embellir la cité sans y rien épargner.