Religion et institutions nationales

Les dieux créés à l’image de l’homme

Les Grecs ne pouvant se rendre compte, par la science, des phénomènes de la nature, en firent des dieux.

Le vent, l’air, le feu, le soleil, l’océan, les fleuves, les forêts furent donc divinisés. Jupiter, le père des dieux, fût aussi l’air même qui enveloppe toute la création; Neptune, l’océan dont la terre est baignée; Apollon, le soleil qui l’éclaire et l’échauffe; comme la naïade était à la fois la source mystérieuse qui s’échappait du sein des rochers et la déesse chaste et craintive qui se cachait au fond des grottes obscures.

La force, le courage, l’adresse, la beauté, les arts, l’intelligence devinrent aussi des personnes divines qu’on adora pour obtenir d’elles les qualités dont elles étaient en quelque sorte l’essence.

L’imagination populaire, ayant une fois créée tous ces dieux à l’image de l’homme, ne s’arrêta pas là. Elle leur donna une vie agitée qui forma autour de chacun d’eux une longue histoire, une légende. Ces légendes ne furent jamais réunies en un seul livre, de sorte que les croyances religieuses des Grecs ne forment pas un corps de doctrines arrêtées, mais un pêle-mêle de récits merveilleux, fonds très riche pour la poésie, pas toujours pour la morale.

Ces dieux, en effet, s’ils eurent toutes nos qualités à un degré supérieur, eurent aussi tous nos défauts, nos passions, même nos misères. Ainsi, les Grecs croyaient Mars plus fort, Apollon plus adroit, Vénus plus belle que ceux qui leur offraient des victimes; mais dans les combats livrés devant Troie, Pluton, Mars, Vénus, Junon même, la reine de l’Olympe, furent, selon Homère, blessés par des mortels. Apollon et Neptune furent esclaves de Laomédon.

Puisque chaque dieu avait son domaine distinct, il était naturel qu’il eût aussi sa ville, son peuple privilégiés. Minerve régnait plus particulièrement à Athènes, Cérès à Eleusis, Junon à Argos, Apollon à Delphes, Bacchus à Thèbes, Vénus en Chypre.

Les douze grands dieux

Les divinités qui comptaient le plus d’adorateurs étaient les douze grands dieux dont les prêtres plaçaient la demeure sur la cime du mont Olympe : Jupiter, le maître de l’univers; Junon, son épouse; Apollon, le dieu de la poésie et des arts; Neptune, celui de l’Océan; Minerve, la déesse de la sagesse; Vénus, celle de la beauté; Mars, le dieu de la guerre; Vulcain, celui des arts utiles; la chaste Vesta, qui présidait aux vertus domestiques; Cérès, qui faisait mûrir les moissons; Diane ou la Lune, et Mercure, le messager des dieux, qui protégeait le commerce et donnait l’éloquence.

Les dieux secondaires, les demi-dieux et les héros

Mais il y avait bien d’autres dieux : Pluton, le souverain des enfers, et comme Jupiter, Neptune, comme Cérès et Vesta, né de Saturne; Bacchus, le dieu du vin et le conquérant des Indes; Esculape, le médecin céleste, tous deux divinités peut-être d’origine asiatique et récente. Enfin, les dieux secondaires des campagnes, des forêts et des eaux : Pan, les Faunes, les Satyres, les Dryades, les Naîades; et les Océanides, les Néréides, les Tritons qui suivaient, en jouant sur les flots, le char de Nérée et d’Amphitrite; Eole et les Vents; les Muses et les Parques; mille autres encore et la foule innombrable des demi-dieux et des héros. Ceux-ci étaient des fils des dieux comme Hercule, ou des hommes comme Thésée, Jason, Persée, qui étaient devenus célèbres par leurs exploits, ou des chefs de colonies, des fondateurs de villes, des patrons de familles et de corporations. Chaque cité, chaque village avait le sien et on les vénérait comme des génies tutélaires.

Les champs Elysées et les enfers

Caron (ou Charon), nocher funèbre, recevait les morts dans sa barque et leur faisait passer le fleuve Achèron (ou le Styx). Quand les âmes avaient évité Cerbère, chien à triple tête, qui les laissait bien entrer, mais ne les laissait pas sortir, elles arrivaient devant Minos, Eaque et Rhadamante, dont elles subissaient le jugement suprême. Les bons allaient aux champs Elysées, lieux charmants où régnait un printemps perpétuel, et où ils continuaient à goûter les plaisirs qu’ils avaient aimés sur la terre. Nestor y racontait encore les exploits des héros et la sage conduite des chefs; Tirésias y rendait des oracles; Orion y chassait les bêtes fauves qu’il avait tuées jadis sur les montagnes. Les méchants, précipités dans le Tartare, le champ des larmes, y souffraient mille maux. De leur vivant même, ils avaient été livrés aux Furies vengeresses, qui, les cheveux entrelacés de serpents, une main armée d’un fouet de vipères, une torche dans l’autre, jetaient l’épouvante dans l’âme des coupables et la torture dans leur coeur. L’âme de ceux dont le corps n’avait pas reçu les honneurs de la sépulture errait durant cent années dans l’Erèbe, séjour sombre, triste et froid, qu’habitaient Cerbère, la Nuit et la Mort.

Culte

Comme on croyait que les dieux intervenaient sans cesse dans les affaires d’ici-bas, on cherchait à les gagner par des prières, des libations qui se faisaient en répandant en leur honneur tout un vase ou seulement quelques gouttes de vin ou de lait, et par des sacrifices ou immolations de taureaux, de génisses, de brebis. Les entrailles étaient brûlées sur l’autel, le reste était mangé par les prêtres et les assistants.

Présages

Des signes annonçaient les volontés divines et toute chose soudaine, inattendue était un présage. Les songes envoyés par Jupiter, révélaient l’avenir. Mais c’était surtout dans la disposition des entrailles des victimes, dans la grosseur du foie et du coeur, dans la couleur des viscères, qu’on croyait trouver les décrets du destin. Superstition qui a cependant régné des milliers d’années, tant la vérité a de peine à se faire jour. Les devins interprétaient tous les présages.

Oracles : la Pythie

Les prêtres faisaient aussi parler directement les dieux par les oracles qu’ils rendaient en leur nom. Les plus célèbres de ces oracles étaient ceux de Delphes, de Dodone en Epire et de l’oasis d’Ammon en Afrique.

A Delphes, une femme, la Pythie, était traînée par les prêtres vers une ouverture de la terre d’où s’échappaient certaines vapeurs. Là, assise sur un trépied, elle recevait ce qu’on appelait l’exhalaison prophétique. On voyait son visage pâlir, ses membres s’agiter de mouvements convulsifs. D’abord elle ne laissait échapper que des plaintes et de longs gémissements; bientôt, les yeux étincelante, la bouche écumante, les cheveux hérissés, elle faisait entendre, au milieu des hurlements de la douleur, des paroles entrecoupées, incohérentes, que l’on recueillant avec soin et où l’on s’ingéniait à trouver un sens et une révélation de l’avenir. Toutefois, ces réponses n’étaient pas le fruit d’un délire insensé; les prêtres qui, grâce à l’immense, concours des pélerins, pouvaient se tenir fort au courant de toutes les affaires de l’Etat, même de celles des particuliers, donnaient à ces sons inarticulés une signification que la crainte ou l’espérance acceptait, et que la foi réalisait souvent.

Institutions nationales : Amphictyonies

Les Grecs répugnaient à l’idée de faire de toutes leurs villes un seul et grand empire. Chaque cité grecque voulait être indépendante et former un Etat à part; mais toutes aussi voulaient conserver le lien de parenté qui les unissait. De là, ces associations religieuses nommées Amphictyonies dont la plus connue était formée par douze peuples qui envoyaient des députés, le printemps à Delphes, l’automne aux Thermopyles. On y célébrait des fêtes religieuses. Quelquefois aussi le conseil amphictyonique décernait des récompenses nationales, une statue, un tombeau, à ceux qui avaient bien mérité de la patrie commune; ou frappait de malédictions et mettait hors la loi ceux qui l’avaient trahie, comme Ephialtès qui guida les Perses aux Thermopyles, comme les Phocidiens qui avaient offensé la religion nationale.

Jeux nationaux

Ce sentiment d’une commune origine et de la fraternité de toutes les tribus grecques donna aussi naissance aux jeux publics où l’on accourait de tous les points du monde hellénique. Les plus renommés étaient les quatre grands jeux isthmiques près de Corinthe, en l’honneur de Neptune, néméens dans l’Argolide, en l’honneur d’Hercule, pythiques à Delphes, en l’honneur d’Apollon vainqueur du serpent Python, et olympiques dans l’Elide, en l’honneur de Jupiter1. Ils avaient le privilège de suspendre les guerres pendant tout le temps nécessaire pour aller aux jeux et en revenir. Des hérauts couronnés de fleurs et de feuillage allaient proclamer à l’avance la trêve sacrée et une lourde amende punissait le peuple qui osait la violer. Plus d’une fois les villes se réconcilièrent ou firent alliance au milieu de ces solennités.

1. Les Jeux olympiques se célébraient tous les quatre ans; de là, les olympiades, ou période de quatre années dont les Grecs se servaient pour leur chronologie et dont le point de départ était l’année 776 av. J.-C.

Nature des exercices et des récompenses

Ces jeux consistaient en exercices de toute sorte, courses à pied, courses de chevaux et de chars, saut, lutte, pugilat, enfin le pancrace, où l’on cherchait, comme dans la lutte, à terrasser son adversaire et, comme dans le pugilat, à le vaincre à la force du poing. Quoique la récompense ne fût qu’une couronne de laurier ou d’olivier sauvage, c’était un insigne honneur de vaincre, pour le vainqueur lui-même, pour sa famille, pour sa ville natale; on vit des cités rendre des honneurs extraordinaires à un athlète victorieux. Une récompense héroïque était celle que Sparte décernait. A la première bataille, on réservait au vainqueur d’Olympie le poste le plus périlleux, l’honneur de braver le plus de dangers pour la patrie.

Utilité de ces exercices

Nous nous étonnons de l’importance donnée par les Grecs à ces exercices d’athlètes. Mais ces jeux ont formé une population forte et agile qui fournit, jusqu’au moment où parut la légion romaine, les meilleurs soldats du monde. La gymnastique a donc aidé les Grecs à gagner leurs victoires et à sauver, avec leur indépendance, la civilisation qu’ils avaient fondée.

Honneurs rendus aux poètes

A ces jeux, d’ailleurs, il y avait souvent des combats de musique et de poésie. Aux jeux pythiques, on vit Pindare1, contraint par l’assemblée de s’asseoir sur un siège élevé, la couronne sur la tête, la lyre à la main, soulever par ses chants d’enthousiastes acclamations; une part lui était réservée par le magistrat dans les prémices offertes aux immortels; et après sa mort, le trône où le poète s’était assis fut placé dans le temple parmi les statues des dieux. Archiloque, Simonide reçurent des hommages semblables. Quelquefois aussi un illustre spectateur détournait de l’arène les yeux du public et devenait lui-même l’objet du spectacle. Thémistocle, Pythagore2, Hérodote et Platon eurent cet honneur; le premier avouait qu’il avait goûté là, les plus douces jouissances de sa vie. Les peintres, les sculpteurs accouraient comme les poètes et les athlètes, et exposaient à l’admiration de la foule leurs chefs-d’oeuvre.

1. Pindare (520-456), le plus grand poète lyrique de la Grèce, mais non pour nous le plus intelligible, était né à Thèbes. Il célébra surtout les vainqueurs des jeux. Archiloque, né à Paros vers 700, composa des odes et des satires d’un grand mérite poétique, mais d’une extrème violence. On dit que deux de ceux qu’il attaqua dans ses vers, se tuèrent de désespoir. Simonide (559-468), de l’île de Géos, fut le rival de Pindare et l’ami de Pisistrate et de Hiéron, tyran de Syracuse. Il nous reste de Pindare 45 hymnes ou odes, des autres quelques fragments.

2. Pythagore, né à Samos vers le commencement du VI siècle, voyagea longtemps et fonda à Crotone, en Italie, une école de philosophie qui devint très célèbre et fut pour les anciens une sorte d’institut monastique. Ses disciples n’étaient admis à la révélation de ses doctrines qu’après un long et pénible noviciat, durant lequel ils devaient garder un silence absolu. Les pythagoriciens avaient un régime très frugal et s’abstenaient de viande, car ils croyaient à la métempsycose, c’est-à-dire que les âmes venaient après la mort animer de nouveaux corps placés à un degré plus ou moins élevé dans l’échelle des êtres, selon qu’elles l’avaient mérité dans leur vie précédente. Ils croyaient aussi que le soleil est un centre du monde comme Copernic l’a démontré au XVIième siècle de notre ère pour notre système planétaire.

Le temple d’Olympie

C’était donc comme concours universel de tous les arts de La Grèce dans cette plaine riante d’OIympie que l’Alphée traverse et que dominait le temple majestueux de Jupiter1. Au fond du sanctuaire s’élevait une statue du dieu faite par Phidias. Elle était d’or et d’ivoire et, bien qu’assise, avait 18 mètres de haut, de sorte que son front touchait à le voûte du temple. Elle portait de la main droite une Victoire, de la gauche un sceptre surmonté d’un aigle. Sa chaussure et son manteau étaient d’or. Le trône était incrusté d’ivoire, d’ébène, d’or, de pierreries et décoré de bas-reliefs. Une balustrade qui précédait la statue était couverte de peintures magnifiques.

1. Cette statue parait avoir péri à Constantinople à l’époque des premières croisades. Le masque de Jupiter olympien qui nous reste, et qui est si plein de majesté, est peut-être une réduction de l’original.

Milon de Crotone

Autour du temple se dressaient mille statues et parmi elles celle du plus célèbre des athlètes, de ce Milon de Crotone que la Grèce couronna treize fois : telle était sa force qu’il pouvait arrêter un char traîné par quatre chevaux, et qu’il portait un boeuf sur ses épaules, le tuait d’un coup de poing et le mangeait en un jour. Mais l’athlète vieilli compta trop sur ses forces épuisées. Il voulut fendre un chêne déjà entr’ouvert. Les deux parties de l’arbre se redressant saisirent ses bras fatigués et des loups accourus le dévorèrent. C’est ce dernier épisode de la vie du puissant athlète, qu’un de nos plus grands sculpteurs, Puget, a représenté dans sa statue de Milon de Crotone.