Rhamsinit, Psammétichus et Néchao (1200-650 av. J.C.)

Obscurité de l’histoire égyptienne après Sésostris (vers 1200 av. J.C.?)

Après ce règne brillant, l’Egypte retombe pour dix siècles dans une obscurité qu’il est impossible de percer.

Les prêtres plaçaient dans ces ténèbres, à défaut d’histoire réelle, des légendes qu’ils contèrent à Hérodote, sans le persuader tout à fait de leur véracité.

Le premier roi de la XXième dynastie (vers 1500 ou 1200 ou 1100 av. J.C.?), lui dirent-ils, fut Rhamsinit ou Rhampsinite (vers 1500 ou 1200 ou 1100 av. J.C.?). Il avait de très grandes richesses; pour les mettre en sûreté, il fit élever un édifice en pierre, dont un des murs était hors de l’enceinte du palais. L’architecte, qui avait de mauvais desseins, arrangea une des pierres avec tant d’art, que deux hommes ou même un seul pouvaient facilement l’ôter. L’édifice achevé, Rhumsinit y fit porter ses trésors. Quelque temps après, l’architecte, sentant approcher sa fin, manda ses deux fils et leur dit qu’en faisant le bâtiment où étaient les trésors du roi, il avait usé d’artifice, afin de leur procurer le moyen de vivre dans l’abondance. Il leur expliqua clairement les dimensions de la pierre, la place où elle était, la manière de l’ôter sans qu’il y parût, et il ajouta que s’ils observaient exactement ce qu’il leur avait dit, ils se verraient les maîtres de l’argent du roi.

L’architecte mort, ses fils se mirent à l’ouvrage. Ils allèrent de nuit au palais, trouvèrent la pierre désignée, l’ôtèrent facilement et emportèrent de grosses sommes. Le roi étant un jour entré dans son trésor fut fort étonné, en visitant les vases où était son argent, de trouver qu’ils n’étaient plus remplis. Il ne savait qui en accuser, parce qu’il avait trouvé parfaitement intacts les sceaux qu’il avait fait apposer sur la porte. Il revint deux ou trois fois, et reconnut que l’argent avait encore diminué, car les voleurs ne cessaient pas de piller. Il fit alors fabriquer des pièges qu’on plaça autour des vases où étaient les trésors. Une nuit un des jeunes gens entra, alla droit aux vases, donna dans le piège et s’y prit. Quand il se vit dans cette fâcheuse situation, il appela son frère, le conjura d’entrer au plus vite et de lui couper la tête de crainte qu’on ne le reconnût et qu’il ne fût la cause de la perte de tous les siens. Le frère obéit, remit la pierre et s’en retourna chez lui.

Dès que le jour parut, le roi se rendit à son trésor. Quel fut son étonnement de voir ce corps sans tête, pris et arrêté dans le piège, et de ne trouver nulle dégradation dans l’édifice, nulle ouverture pur où l’on avait pu s’introduire?

Pour arriver à pénétrer ce mystère, il fit pendre sur la muraille le cadavre, et plaça des gardes auprès avec ordre de lui amener celui qu’ils verraient pleurer à ce spectacle ou en montrer de l’émotion. Quand la mère du voleur sut où était le corps de son fils, elle ordonna à l’autre de mettre tout en oeuvre pour le recouvrer et le lui apporter; elle le menaça, s’il ne lui donnait cette satisfaction, d’aller elle-même le dénoncer au roi. Le jeune homme n’étant pas parvenu à fléchir sa mère, quelque chose qu’il pût dire, et craignant ses menaces, imagina un artifice. Il chargea sur des ânes quelques outres remplies de vin, et chassa ses animaux devant lui. Lorsqu’il fut près de ceux qui gardaient le corps de son frère, il délia, sans qu’on le vit, le col de deux ou trois de ses outres, et, lorsque le vin se répandit à terre, il se frappa la tête comme un homme au désespoir, et qui ne savait auquel de ses ânes il devait courir. Les gardiens accoururent pour recueillir le vin qui coulait en abondance, comptant que c’était autant de gagné pour eux. Le jeune homme feignit d’être en colère et leur dit beaucoup d’injures; mais il cessa peu à peu ses emportements, fit semblant de s’apaiser, et détourna ses ânes du chemin pour refermer plus aisément les outres. Il s’entretint ensuite avec les gardes; et, comme ils tâchaient de l’égayer en lui faisant des plaisanteries, il leur donna une de ses outres. Ils s’assirent aussitôt dans le lieu où ils se trouvaient, et, ne pensant plus qu’à boire, pressèrent le jeune homme de rester et de leur tenir compagnie. Il se laissa persuader, demeura avec eux, et leur donna encore une outre. Les gardes burent avec excès, s’enivrèrent, puis, vaincus par le sommeil, s’endormirent à l’endroit même où ils avaient bu. Dès que le jeune homme vit la nuit avancée, il leur rasa par dérision la joue droite, détacha le corps de son frère, le chargea sur un de ses ânes, et revint chez lui, ayant ainsi exécuté les ordres de sa mère.

Lorsque le roi apprit qu’on avait enlevé le corps du voleur, il entra dans une grande colère; mais, comme il voulait absolument savoir qui avait fait le coup, il chargea un de ses ministres de se rendre déguisé dans un endroit de la ville, et là de faire connaître qu’il donnerait une grande récompense à celui qui lui raconterait la plus belle histoire. Le voleur, l’ayant appris, reconnut le piège et voulut montrer qu’il était plus habile que le roi. Il coupa près de l’épaule le bras d’un homme nouvellement mort, le mit sous son manteau et alla trouver le ministre du roi. Celui-ci lui fit les questions qu’il adressait à tous les autres. Le voleur lui raconta ce qu’il avait fait. Il finissait à peine, que le ministre veut l’arrêter. Comme ils étaient dans un lieu obscur et sur le soir, le voleur lui tendit le bras du mort que l’autre saisit, et dans le même temps il s’échappa.

Le roi, informé de ce qui s’était passé, fut extrêmement surpris de la ruse et de la hardiesse de cet homme. Il fit publier dans toutes les villes de son obéissance qu’il lui accordait sa grâce, et que, s’il voulait se présenter devant lui, il le récompenserait magnifiquement. Le voleur se fia cette fois à la parole du roi et se rendit au palais. Rhamsinit conçut pour lui une si grande admiration, qu’il lui donna sa fille en mariage.

Les douze rois (vers 670-650 av. J.C.)

L’histoire de l’Egypte n’offre quelque certitude que lorsqu’on arrive près des temps où ce pays commença à entrer en relations avec les Grecs. Vers l’année 670 av. J.C., il y eut un bouleversement dont nous ignorons les causes. Les chefs des guerriers s’emparèrent du gouvernement, qui fut confié à douze d’entre eux. Mais un des douze, Psammétichus, gouverneur de Saïs, rétablit l’unité en renversant ses collègues (650 av. J.C.).

Psammétichus avec les nommes d’airain renverse ses onze collègues (650 av. J.C.)

« Un oracle », dit Hérodote, « avait annoncé que celui d’entre eux qui offrirait des libations à Vulcain, dans une coupe d’airain, serait seul roi. Or, un jour que les douze chefs sacrifiaient à ce dieu, le grand prêtre leur présenta les coupes d’or dont ils avaient l’habitude de se servir en cette occasion, mais il se trompa sur le nombre et n’en apporta que onze. Psammétichus était au dernier rang; comme il n’y avait pas de coupe pour lui, il prit son casque, qui était d’airain, et s’en servit pour faire les libations. Les autres rois se souvinrent à ce moment de l’oracle et voulurent tuer Psammétichus. Ils reconnurent cependant qu’il avait agi sans préméditation. Ils se contentèrent de le dépouiller de ses domaines et ils le reléguèrent dans les marais du Delta, avec défense d’en sortir et d’entretenir aucune correspondance dans le reste du pays ».

Psammétiehus ne se résignait pas à cette déchéance. Il envoya à Buto consulter l’oracle de Latone, le plus véridique des oracles d’Egypte. Il lui fut répondu qu’il serait vengé par des hommes d’airain sortis de la mer. Il ne comprenait pas comment cela pourrait arriver. Mais, peu de temps après, des Ioniens et des Cariens, qui s’étaient mis en mer pour pirater, furent poussés par la tempête sur la côte d’Egypte, et descendirent à terre revêtus d’armes d’airain. Un Egyptien courut porter cette nouvelle à Psammétiehus, et, comme il n’avait jamais vu d’hommes armés de la sorte, il dit au prince que des hommes d’airain sortis de la mer pillaient les campagnes. L’oracle était accompli. Le roi fit alliance avec ces Ioniens et ces Cariens, et, par de grandes promesses, les décida à combattre pour lui. Avec ces auxiliaires et les Egyptiens qui lui étaient restés fidèles, il détrôna les onze rois ».

Premier établissement des Grecs en Egypte (650 av. J.C.)

Devenu seul roi avec le secours des étrangers, Psammétichus (650-616 av. J.C.) s’appuya sur eux et appela un grand nombre de Grecs auprès de lui, en leur donnant des terres. Il leur confia même des enfants égyptiens auxquels ils enseignèrent le grec, de sorte que, depuis ce temps, il y eût en Egypte une classe d’interprètes. Une partie des guerriers, mécontents de la faveur dont les nouveaux venus étaient l’objet, émigrèrent au nombre de 240000 à Méroë, au-dessus des cataractes de Syène.

Néchao (616-600 ou 610-595 av. J.C.)

Néchao (ou Nékao II), son fils, porta ses armes dans la Palestine. Il battit et tua, à Mageddo, le roi de Juda, Josias, et donna la couronne à Joachim, dont il fit son tributaire (609 av. J.C.). Il voulut aller plus loin et attaquer les Assyriens, renverser la domination des Babyloniens : il s’avança jusqu’à l’Euphrate et prit Circésium (Carchemis); mais une défaite que lui fit éprouver Nabuchodonosor lui enleva toutes ses conquêtes et le rejeta en Egypte (606).

Canal du Nil à la mer Rouge (vers 605 av. J.C.)

Ce n’est pas dans ces guerres qu’est la gloire de Néchao. Il essaya de joindre la mer Rouge avec le Nil, au moyen d’un canal qui devait être d’une longueur de quatre journées de navigation, et avoir assez de largeur pour que deux trirèmes pussent y naviguer de front. Au rapport d’Hérodote, 120000 hommes périrent en le creusant. Néchao fit suspendre les travaux, sur la réponse d’un oracle qui l’avertit qu’il travaillait pour un barbare. (Ce canal a été exécuté, non plus entre le Nil et la mer Rouge, mais entre la mer Rouge et la Méditerranée, à travers l’isthme de Suez.

Voyage autour de l’Afrique (vers 605 av. J.C.)

Si le canal était abandonné, les expéditions maritimes ne le furent pas. Néchao fit construire des flottes qui allèrent trafiquer sur les côtes de la Syrie et de la Palestine, et chargea les Phéniciens de faire le tour du continent africain, en partant du golfe Arabique et en revenant par le détroit des Colonnes d’Hercule. Ce voyage dura trois ans, car les Phéniciens s’arrêtèrent plusieurs fois en route. Ils abordaient où ils trouvaient la terre propice et semaient du blé pour renouveler leurs provisions. Ils attendaient jusqu’au temps de la moisson et, après la récolte, se remettaient en mer. Ayant ainsi voyagé pendant deux ans, ils doublèrent la troisième année les Colonnes d’Hercule et revinrent en Egypte.