Cambyses ou Cambyse II (530-522 av. J.C.)

Cambyses (530 av. J.C.)

Le fils aîné de Cyrus, Cambyses, lui succéda. Sous lui les conquêtes continuèrent; les Perses étaient encore animés de cette soif de guerre et de butin que Cyrus avait allumée en eux. Des quatre grands Etats, Médie, Lydie, Babylonie et Egypte, qui se partageaient l’Orient trente années auparavant, un seul restait debout, le dernier. Cambyses résolut de l’attaquer. Les motifs ne manquaient pas. Les Egyptiens avaient été les alliés, inutiles, il est vrai, de la Lydie et de Babylone; de plus ils étaient riches.

Le Grec Phanès (vers 525 av. J.C.)

Le roi de Perse fut guidé dans cette expédition par un traître. Le Grec Phanès, officier mercenaire au service d’Amasis, mécontent de ce prince, s’échappa de l’Egypte par mer pour se rendre auprès de Cambyses. Comme il était un des chefs des troupes auxiliaires, et qu’il avait une très grande connaissance du pays, Amasis fit tous ses efforts pour le remettre en son pouvoir. Il le fit poursuivre par une trirème qui l’atteignit en Lycie. Mais il ne put l’emmener, car Phanès enivra ses gardes, et se tira de leurs mains. Il se rendit auprès de Cambyses qui se disposait alors à envahir l’Egypte.

La difficulté de faire traverser à son armée des déserts où l’on ne trouve pas d’eau, le retenait, lorsque Phanès arriva. Celui-ci apprit au roi l’état des affaires d’Amasis, et pour le passage des déserts, lui conseilla de s’adresser au roi des Arabes qui lui donnerait les moyens de l’exécuter avec sûreté.

Aujourd’hui, continue Hérodote, voici la manière dont on remédie à cet inconvénient. On porte deux fois par an, en Egypte, des différents pays de la Grèce et de la Phénicie, une grande quantité de jarres en terre cuite qui sont pleines de vin, et cependant c’est à peine si l’on voit, en Egypte, une seule de ces jarres. Que deviennent-elles? Dans chaque ville, le magistrat est obligé de faire ramasser toutes les jarres qui s’y trouvent et de les faire porter à Memphis; de Memphis, on les envoie pleines d’eau dans le désert. Ce sont les Perses qui ont établi cet ordre dès qu’ils se furent rendus maîtres de l’Egypte. Mais comme, dans le temps de cette expédition, il n’y avait pas en cet endroit de provision d’eau, Cambyses, suivant les conseils de Phanès d’Halicarnasse, fit prier par ses ambassadeurs le roi des Arabes de lui procurer un passage sûr, et il l’obtint après qu’on se fût juré une foi réciproque.

Il n’y a pas de peuple plus religieux observateur des serments que les Arabes. Voici les cérémonies qu’ils observent à cet égard. Lorsqu’ils veulent engager leur foi, il faut qu’il y ait un tiers, un médiateur. Ce médiateur, de bout entre les deux contractants, tient une pierre aiguë et tranchante, avec laquelle il leur fait à tous deux une incision à la paume de la main près des grands doigts. Il prend ensuite un petit morceau de l’habit de chacun, le trempe dans leur sang, et en frotte sept pierres qui sont au milieu d’eux, en invoquant Bacchus et Uranie. Cette cérémonie achevée, celui qui a engagé sa foi donne à l’étranger, ou au citoyen, si c’est avec un citoyen qu’il traite, ses amis pour garants, et ceux-ci pensent eux-mêmes qu’il est de l’équité de respecter la foi de ce serment.

Les Arabes aident les Perses à franchir le désert (vers 525 av. J.C.)

Lorsque le roi d’Arabie eut conclu le traité avec les ambassadeurs de Cambyses, suivant les formalités vues ci-dessus, il fit remplir des outres d’eau, et les fit charger sur tous les chameaux qu’il y avait dans ses Etats. Cela fait, on mena ces animaux dans les lieux arides, et le roi alla y attendre l’armée de Cambyses. Durant ces préparatifs Amasis était mort, et son fils Psamménite lui avait succédé. Il réunit une grande armée et vint camper vers la bouche Pélusienne du Nil, où il attendit l’ennemi.

Les enfants de Phanès égorgés par les mercenaires (vers 525 av. J.C.)

Lorsque les Perses eurent traversé les lieux arides, et qu’ils eurent assis leur camp près de celui des Egyptiens, comme pour leur livrer bataille, les Grecs et les Cariens à la solde de Psamménite, indignés de ce que Phanès avait amené contre l’Egypte une armée d’étrangers, se vengèrent de ce traître sur ses enfants, qu’il avait laissés en ce pays lorsqu’il partit pour la Perse. Ils les menèrent au camp, et ayant placé à la vue de leur père un cratère entre les deux armées, les conduisirent l’un après l’autre en cet endroit, et les égorgèrent sur le cratère.

Bataille entre les Egyptiens et les Perses (vers 525 av. J.C.)

Après avoir donné au roi d’Egypte ce gage affreux de leur fidélité, ils commencèrent l’attaque. Le combat fut rude et sanglant: il y périt beaucoup de monde de part et d’autre; enfin les Egyptiens tournèrent le dos.

« J’ai vu », dit Hérodote, « sur le champ de bataille une chose fort surprenante. Les ossements de ceux qui périrent en cette journée sont encore disperses, mais séparément; de sorte que vous voyez d’un côté ceux des Perses, et de l’autre ceux des Egyptiens. Les têtes des Perses sont si tendres, qu’on peut les percer en les frappant seulement avec un caillou; celles des Egyptiens sont au contraire si dures, qu’à peine peut-on les briser à coups de pierres. On m’en dit la raison. Les Egyptiens commençant dès leur bas âge à se raser la tête, leur crâne se durcit au soleil, et leurs cheveux n’en poussent que mieux. Aussi voit-on beaucoup moins d’hommes chauves en Egypte que dans les autres pays. Les Perses, au contraire, ont le crâne faible, parce que dès leur plus tendre jeunesse ils ont toujours la tête couverte d’une tiare ».

Prise de Memphis (525 av. J.C.)

La bataille perdue, les Egyptiens tournèrent le dos, et s’enfuirent en désordre à Memphis où ils s’enfermèrent. Cambyses leur envoya un héraut, qui remonta le fleuve sur un vaisseau Mitylénien. Quand les Egyptiens virent ce vaisseau entrer dans Memphis, ils sortirent en foule de la citadelle, le brisèrent et mirent en pièces ceux qui le montaient. Mais les Perses arrivèrent, firent le siège de cette ville et forcèrent les Egyptiens à se rendre.

Humiliation du roi et des grands d’Egypte (525 av. J.C.)

Dix jours après, Psamménite, qui n’avait régné que six mois, fut conduit devant la ville avec quelques autres Egyptiens, afin de les éprouver. Cambyses fit habiller la fille de ce prince en esclave, et l’envoya, une cruche à la main, chercher de l’eau; elle était accompagnée de plusieurs autres filles qu’il avait choisies parmi celles de la première qualité, et qui étaient vêtues comme elle.

Ces jeunes filles, en passant auprès de leurs pères, fondirent en larmes, et jetèrent des cris lamentables. Ceux-ci leur répondirent par des cris et des gémissements; mais Psamménite, quoiqu’il les vît et qu’il les reconnût, se contenta de baisser les yeux.

Cambyses fit alors passer devant lui son fils accompagné de 200 Egyptiens, de même âge que le jeune prince, tous la corde au cou, et un frein à la bouche. On les menait à la mort pour venger les Mityléniens qui avaient été tués à Memphis avec le héraut. Psamménite reconnut son fils; mais, tandis que les autres Egyptiens qui étaient autour de lui pleuraient et se lamentaient, il garda la même contenance qu’à la vue de sa fille.

Lorsque ces jeunes gens furent passés, il aperçut un vieillard qui mangeait ordinairement à sa table. Cet homme, dépouillé de tous ses biens, ne subsistait plus que d’aumônes; il allait de rang en rang par toute l’armée, implorant la compassion de chacun. Psamménite, à ce spectacle, pleura. Des gardes, placés auprès de lui, rapportaient tout à Cambyses. Etonné de sa conduite, le prince lui en fit demander les motifs. « Fils de Cyrus », répondit Psamménite, « les malheurs de ma maison sont trop grands pour qu’on les pleure : mais je puis pleurer le triste sort d’un ami, qui, après avoir possédé beaucoup de biens, tombe dans l’indigence. »

En entendant cette réponse, Crésus et tous les Perses qui étaient présents versèrent des larmes; Cambyses fut lui-même si touché de compassion qu’il commanda de délivrer le fils de Psamménite, en le tirant du nombre de ceux qui étaient condamnés à mort. Mais on le trouva sans vie. Il avait été exécuté le premier.

Mort de Psamménite (525 av. J.C.)

Psamménite vécut auprès de Cambyses sans éprouver de sa part aucun mauvais traitement. Il lui aurait même rendu le gouvernement de l’Egypte, s’il n’avait découvert que le roi dépossédé conspirait contre lui et excitait les Egyptiens à la révolte. Il le condamna à boire du sang de taureau, dont il mourut sur-le-champ1.

1. Le sang de taureau n’est pas un poison, à moins que ce ne soit du sang corrompu; tout autre sang putréfié aurait les mêmes propriétés vénéneuses. A Athènes c’était un des poisons dont on se servait pour les condamnés à mort.

Violation du tombeau d’Amasis (vers 525 av. J.C.)

C’était contre Amasis que Cambyses avait commencé son expédition. Ne pouvant se venger de lui vivant, il n’eut pas honte d’exercer sa vengeance sur un cadavre. Il se rendit à Saïs où ce prince avait été enseveli et commanda de tirer son corps du tombeau, de le battre de verges, de lui arracher la barbe et les cheveux, de le piquer à coups d’aiguillon, de lui faire enfin mille outrages. Les exécuteurs se lassèrent bientôt de maltraiter un corps inerte dont ils ne pouvaient rien détacher, parce qu’il avait été embaumé. Alors Cambyses le fit brûler, ce qui était une offense à la religion des Perses et à celle des Egyptiens, qui ne permettaient pas de brûler les morts.

Projets de Cambyses (vers 525 av. J.C.)

Après la Conquête de l’Egypte, Cambyses résolut de faire la guerre aux trois principales nations de l’Afrique, aux Carthaginois, aux Ammoniens et aux Ethiopiens. Ces trois peuples domptés, il aurait été le maître de la meilleure partie de l’Afrique comme son père s’était rendu maître de la meilleure partie de l’Asie. Il délibéra sur ces expéditions avec ses principaux conseillers et fut d’avis de diriger sa flotte contre les Carthaginois, un détachement de ses troupes de terre contre les Ammoniens, et d’envoyer d’abord des espions chez les Ethiopiens.

Refus des Phéniciens d’attaquer les Carthaginois (vers 525 av. J.C.)

En conséquence, il ordonna à son armée navale de faire voile contre Carthage; mais les Phéniciens refusèrent d’obéir, parce qu’ils étaient liés avec les Carthaginois par les liens de la parenté, Carthage était une colonie de Tyr. En combattant contre leurs propres enfants, ils auraient cru violer les droits du sang et de la religion. Sur le refus des Phéniciens, le reste de la flotte ne se trouva pas assez fort pour cette expédition. Cambyses ne crut pas qu’il fût juste, dans cette circonstance, de forcer les Phéniciens à obéir, parce qu’ils s’étaient donnés volontairement à lui; il ne voulait pas, en outre, les pousser à toute extrémité, parce qu’ils avaient le plus d’influence dans l’armée navale. Les Carthaginois évitèrent ainsi le joug que les Perses leur préparaient.

Ambassade envoyée en Ethiopie (vers 525 av. J.C.)

Pour envoyer des espions en Ethiopie, Cambyses manda de la ville d’Eléphantine des Tchthyophages1 qui savaient la langue éthiopienne. Il leur remit pour le roi un habit de pourpre, un collier d’or, des bracelets, un vase d’albâtre, plein de parfums et une barrique de vin de palmier. Sous prétexte de porter ces présents, ils devaient s’assurer de l’existence de la table du soleil, et bien examiner tout le pays.

1. Ichthyophages ou mangeurs de poissons, nom que les anciens donnaient à plusieurs peuples habitant les côtes de la mer. Hérodote désigne ici les Arabes établis sur la côte occidentale de la mer Rouge jusqu’au Bab-el-Mandeb.

La table du soleil (vers 525 av. J.C.)

Voici, dit Hérodote, en quoi consiste la table du soleil. Il y a devant la ville une prairie, couverte de viandes bouillies de toutes sortes d’animaux à quatre pieds, que les magistrats ont soin d’y faire porter la nuit. Dès que le jour paraît, chacun est le maître d’y venir prendre son repas. Les habitants disent que la terre produit d’elle-même toutes ces viandes.

Réponse du roi des Ethiopiens (vers 525 av. J.C.)

On dit que ces Ethiopiens sont les plus grands et les mieux faits de tous les hommes, et qu’ils ne jugent digne de porter la couronne que celui d’entre eux qui est le plus grand, et dont la force est proportionnée à la taille. Ce roi reconnut bien vite que les Ichthyophages étaient des espions, et il leur dit : « Ce n’est pas le désir de faire amitié avec moi qui a porté le roi des Perses à vous envoyer ici. Vous venez examiner les forces de mes Etats. Si votre maître était un homme juste il ne chercherait pas à réduire en esclavage un peuple dont il n’a reçu aucune injure. Portez-lui cet arc de ma part, et dites-lui : Le roi d’Ethiopie conseille à celui de Perse de rassembler des forces plus nombreuses qu’il n’en a encore, et de ne venir lui faire la guerre que quand les Perses pourront bander un arc de cette grandeur aussi facilement que lui. En attendant, que Cambyses rende grâces aux dieux de n’avoir pas inspiré aux Ethiopiens le désir de faire des conquêtes. »

Ayant ainsi parlé, il débanda son arc, et le donna aux envoyés. Il prit ensuite l’habit de pourpre; et leur demanda ce que c’était que la pourpre, et comment elle se faisait. Quand les Ichthyophages lui eurent appris le véritable procédé de cette teinture : « Ces hommes », dit-il, « sont trompeurs, leurs vêtements le sont aussi. » Il les interrogea ensuite sur le collier et les bracelets d’or. Les Ichthyophages lui répondirent que c’étaient des ornements; il se mit à rire; et les prenant pour des chaînes, il leur dit que les Ethiopiens en avaient chez eux de plus fortes. Il leur parla en troisième lieu des parfums qu’ils avaient apportés; et lorsqu’ils lui en eurent expliqué la composition et l’usage, il leur répondit comme il l’avait fait au sujet de l’habit de pourpre. Mais lorsqu’il en fut venu au vin, il fut très content de cette boisson.

Il leur demanda encore de quels aliments se nourrissait le roi, et quelle était la plus longue durée de la vie chez les Perses. Les envoyés lui répondirent qu’il vivait de pain, et lui expliquèrent la nature du froment. Ils ajoutèrent que le plus long terme de la vie des Perses était de 80 ans. Là-dessus, l’Ethiopien leur dit qu’il n’était pas étonné que des hommes qui ne se nourrissaient que de fumier ne vécussent que peu d’années; qu’il était persuadé qu’ils vivraient même moins longtemps, s’ils ne réparaient leurs forces par cette boisson (il voulait parler du vin), et qu’en cela ils avaient un avantage sur les Ethiopiens.

Les Ichthyophages interrogèrent à leur tour le roi sur la longueur de la vie des Ethiopiens, et sur leur manière de vivre. Il répondit que la plupart allaient jusqu’à 120 ans, et quelques-uns même au-delà; qu’ils vivaient de viandes bouillies, et que le lait était leur boisson. Les espions paraissant étonnés de la longue vie des Ethiopiens, il les conduisit à une fontaine où ceux qui se baignent sortent parfumés comme d’une odeur de violette. Les espions racontèrent, à leur retour, que cette eau était si légère, que rien n’y pouvait surnager, pas même le bois.

Expédition de Cambyses contre les Ethiopiens (vers 525 av. J.C.)

Lorsque Cambyses fut arrivé à Thèbes, il choisit environ 50000 hommes, à qui il ordonna de réduire en esclavage les Ammoniens, et de brûler leur temple.

Les troupes qui marchaient contre l’Ethiopie n’avaient pas encore fait la cinquième partie du chemin, que les vivres manquèrent.

On mangea les bêtes de somme; Cambyses continua d’avancer. On se nourrit d’herbages, tant que la campagne put en fournir; lors qu’on fut arrivé dans les pays sablonneux, la faim porta quelques soldats à une action horrible. Ils se mettaient dix par dix, tiraient au sort, et mangeaient celui que le sort désignait. Alors seulement, Cambyses rebroussa chemin, mais il ne revint à Thèbes, qu’après avoir perdu une partie de son armée.

Expédition contre Ammon (vers 525 av. J.C.)

Les troupes envoyées contre les Ammoniens atteignirent la première oasis qui est à sept journées de Thèbes; mais personne ne sut ce qu’elles devinrent ensuite. Les Ammoniens racontèrent que pendant que cette armée prenait son repas, il s’éleva un vent du Sud impétueux qui l’ensevelit sous des montagnes de sable. Ce fait est très vraisemblable, car aujourd’hui encore beaucoup de voyageurs et de caravanes périssent ainsi.

Cambyses blesse le boeuf Apis (vers 525 av. J.C.)

Cambyses avait échoué, depuis la conquête de l’Egypte, dans toutes ses entreprises. Lorsqu’il rentra dans Memphis, le boeuf Apis venait de se manifester. Selon l’usage, dès que les prêtres l’eurent trouvé, tout le peuple se revêtit de ses plus riches habits, et fit de grandes réjouissances. Cambyses s’imagina qu’il se réjouissait du mauvais succès de ses armes; il fit venir devant lui les magistrats de Memphis, et leur demanda pourquoi, n’ayant pas témoigné de joie la première fois qu’ils l’avaient vu dans la ville, ils en faisaient tant paraître depuis qu’il avait perdu une partie de son armée. Ils lui dirent que leur dieu, qui était ordinairement très longtemps sans se manifester, s’était montré depuis peu, et que lorsque cela arrivait, tous les Egyptiens en témoignaient leur joie par des fêtes publiques.

Cambyses les accusa de déguiser la vérité, et les condamna à mort. Il demanda ensuite les prêtres, et comme il reçut d’eux la même réponse, il leur ordonna de lui amener Apis, et le frappa de son poignard à la cuisse : « Scélérats », dit-il aux prêtres, « les dieux sont-ils donc de chair, et sentent-ils les atteintes d’un glaive. Mais vous ne vous serez pas impunément joués de moi. » Là-dessus, il les fit battre de verges, et commanda qu’on fît main basse sur tous les Egyptiens que l’on trouverait célébrant la fête d’Apis. Les réjouissances cessèrent aussitôt. On a retrouvé au Sérapeum la momie de cet Apis avec une inscription portant qu’il avait survécu à sa blessure.

Meurtre de Smerdis (vers 522 av. J.C.)

Les Perses disaient que Cambyses était, depuis sa naissance, sujet à l’épilepsie. Mais, à en croire les Egyptiens, ce prince devint furieux en punition du meurtre d’Apis. Le premier crime qu’il commit fut le meurtre de Smerdis, son frère, il l’avait renvoyé en Perse, jaloux de ce qu’il avait bandé, à deux doigts près, l’arc que les Ichtbyophages avaient apporté d’Ethiopie, ce qu’aucun autre Perse n’avait pu faire. Après son départ, dit Hérodote, Cambyses vit en songe un courrier qui venait de la part des Perses lui annoncer que Smerdis, assis sur son trône, touchait le ciel de sa tête. Cette vision lui fit craindre que son frère ne le tuât pour s’emparer de sa couronne; il envoya Prexaspes, avec ordre de le faire périr, ce qui fut exécuté.

Cambyses tue sa soeur (vers 522 av. J.C.)

Le second crime fut le meurtre de sa soeur qui était en même temps sa femme. Cambyses, voulant l’épouser, avait demandé aux juges royaux s’il y avait quelque loi qui défendit au frère de se marier avec sa soeur, et ceux-ci avaient lâchement répondu qu’ils ne trouvaient pas de loi semblable, mais qu’ils en connaissaient une qui permettait au roi de faire tout ce qu’il voulait.

Un jour que cette princesse assistait au combat d’un lionceau que Cambyses avait lâché contre un jeune chien, celui-ci ayant le dessous, un autre chien, son frère, rompit sa laisse pour courir à son secours, et tous deux réunis eurent l’avantage sur le lionceau. Ce combat qui plaisait beaucoup à Cambyses, arrachait au contraire des larmes à sa soeur, il en demanda la raison. « Je n’ai pu », dit-elle, « retenir mes larmes en voyant le jeune chien accourir au secours de son frère, parce que cela me rappelle le triste sort de Smerdis, dont je sais que personne ne vengera la mort. » Cambyses se jeta à l’instant sur elle et la maltraita de tant de coups qu’elle en mourut.

Meurtre du fils de Prexaspes (vers 522 av. J.C.)

Il ne témoigna pas moins de fureur contre les Perses. Il estimait beaucoup Prexaspes, dont le fils avait une charge d’échanson; un jour il lui demanda : « Que pensent de moi les Perses ? – Seigneur, ils vous comblent de louanges; mais ils croient que vous avez un peu trop de penchant pour le vin. – Ah ! Ils disent, reprit ce prince transporté de colère, que j’aime trop le vin, qu’il me fait perdre la raison, et qu’il me rend furieux? Les louanges qu’ils me donnaient auparavant n’étaient donc point sincères? »

Cambyses avait, en effet, demandé un autre jour à Crésus et aux grands de la Perse si l’on croyait qu’il fût homme à égaler son père; les Perses avaient répondu qu’il lui était supérieur, parce qu’il était maître de tous les pays que celui-ci avait eus, et qu’il y avait ajouté l’Egypte et l’empire de la mer. Mais Crésus, raffinant sur cette flatterie, ajouta : « Non, vous ne ressemblez pas à votre père, car vous n’avez point encore d’enfant tel qu’il en avait un. »

Ce prince s’étant donc rappelé les discours des Perses : « Apprends maintenant », dit-il à Prexaspes, « si les Perses disent vrai. Tu vois ton fils debout dans ce vestibule, si je le frappe d’une flèche au coeur, il sera constant que les Perses se trompent. »

En même temps, il bande son arc; le jeune homme tombe; Cambyses fait ouvrir son corps pour voir où avait porté le coup; la flèche se trouva au milieu du coeur. Alors, plein de joie, il dit au père du jeune homme : « Tu vois bien que ce sont les Perses qui ont perdu l’esprit. As-tu vu jamais quelqu’un frapper mieux le but? » Prexaspes voyant qu’il parlait à un furieux, craignit pour lui-même et répondit : « Je ne crois pas, Seigneur, que le dieu lui-même puisse tirer si juste. » Une autre fois, sans aucun motif, il fit enterrer vifs jusqu’à la tête douze Perses de la plus grande distinction.

Crésus menacé de mort (vers 522 av. J.C.)

Crésus osa le reprendre de ces extravagances, « Vous aussi », s’écria Cambyses, « vous prétendez m’éclairer de vos avis; vous, qui avez si bien gouverné vos Etats, et qui avez donné de si bons conseils à mon père, en l’exhortant à passer l’Araxes, pour aller attaquer les Massagètes. Ah ! vous ne l’aurez pas fait impunément; » et il prit ses flèches pour l’en percer. Crésus se déroba à sa fureur par une prompte fuite. Cambyses commanda à ses gardes de le tuer.

Mais comme ils connaissaient l’inconstance de son caractère, ils cachèrent Crésus. Cambyse, en effet, le regretta bientôt. Ses serviteurs lui apprirent qu’il vivait encore. Il en témoigna sa joie, mais dit que ce ne serait pas impunément qu’ils auraient désobéi à ses ordres; il les fit mourir.

Révolte du mage Smerdis (Bardiya) (522 av. J.C.)

Tandis que Cambyses faisait en Egypte de telles extravagances, deux mages profitèrent de la haine qu’il excitait pour se révolter. Le roi avait laissé l’un d’eux en Perse avec la charge de gérer ses biens : ce fut l’auteur de la révolte. Ce mage, nommé Patizithès, n’ignorait pas la mort de Smerdis; il savait qu’on la tenait cachée et qu’elle n’était connue que d’un petit nombre de Perses, de sorte que le peuple le croyait vivant. Or, il avait un frère qui ressemblait parfaitement à Smerdis (Bardiya), et portait le même nom que ce prince; il le plaça sur le trône et envoya des hérauts dans toutes les provinces, particulièrement en Egypte, pour défendre à l’armée d’obéir à Cambyses.

Celui des hérauts qu’il avait envoyé en Egypte trouva Cambyses à Ecbatane en Syrie, et publia au milieu du camp les ordres du mage. Cambyses, en l’entendant, appela Prexaspes. « Est-ce donc ainsi », lui dit-il en le regardant d’un oeil menaçant, « que tu as fait ce que je t’ai ordonné? – Seigneur », répondit Prexaspes, « votre frère ne se révoltera jamais contre vous, à moins que les morts ne ressuscitent; dans ce cas, attendez-vous à voir aussi le Mède Astyages se soulever contre vous. » Le hérault interrogé dit qu’il tenait ces ordres du mage. Prexaspes en conclut que c’était Patizithès et son frère Smerdis qui s’étaient révoltés.

Mort de Cambyses (522 av. J.C.)

Au nom de Smerdis, Cambyses fut frappé de la vérité des paroles de Prexaspes, et de celle de son songe. Reconnaissant qu’il avait fait tuer son frère sans sujet, il le pleura. Après s’être plaint de l’excès de son malheur, il se jeta avec précipitation sur son cheval, dans le dessein de marcher en diligence vers Suses, contre le mage; mais, en s’élançant, le fourreau de son cimeterre tomba, et la lame restée nue le blessa à la cuisse, au même endroit, disaient les prêtres égyptiens, où il avait auparavant frappé Apis.

A ce moment, quelqu’un prononça près de lui le nom de la ville où il se trouvait, Ecbatane. Un oracle lui avait prédit qu’il finirait ses jours dans une ville de ce nom. Il s’était imaginé qu’il devait mourir de vieillesse dans la capitale de la Médie, où étaient toutes ses richesses; il comprit alors le sens de l’oracle : « C’est ici », dit-il, « que Cambyses, fils de Cyrus, terminera ses jours, suivant l’ordre des destins. » La gangrène se mit, en effet, dans la plaie, et il expira après avoir révélé aux Perses le meurtre de son frère, et avoir appelé sur leurs têtes toutes les malédictions, s’ils souffraient que l’empire retournât aux Mèdes. Il avait régné 7 ans et 5 mois, et ne laissa pas d’enfants.