Conspiration contre le Mage (522-521 av. J.C.)

Les Perses ne croient pas à la mort de Smerdis (522 av. J.C.)

Aucun Perse n’avait voulu croire aux paroles de Cambyses mourant. Ils estimaient qu’il n’avait parlé ainsi que par haine contre son frère pour les pousser à lui faire la guerre. Et ils en étaient d’autant plus persuadés, que Prexaspes niait fortement l’avoir tué; car, après la mort de Cambyses, il n’aurait pas été sûr pour lui d’avouer que le fils de Cyrus avait péri de sa main.

Gouvernement bienfaisant du mage Bardiya (522 av. J.C.)

Cambyses mort, le mage, à la faveur du nom de Smerdis (Bardiya) qu’il portait, régna tranquillement durant les sept mois qui restaient pour accomplir la huitième année de son prédécesseur. Pendant ce temps, il combla tous ses sujets de bienfaits; de sorte qu’après sa mort il fut regretté de tous les peuples de l’Asie, excepté des Perses. Dès le commencement de son règne il fit publier dans toutes les provinces des édits par lesquels il exemptait les peuples, pour trois ans, de tous tributs et subsides, et de servir à la guerre.

Le mage est reconnu (522-521 av. J.C.)

Le huitième mois un seigneur nommé Otanès, que sa naissance et ses richesses faisaient marcher de pair avec ce qu’il y avait de plus illustre en Perse, soupçonna, le premier, le nouveau roi de n’être pas Smerdis, fils de Cyrus, mais le mage, comme en effet il l’était. Sa conjecture était fondée sur ce qu’il ne sortait jamais de la citadelle, et qu’il ne mandait, auprès de lui, aucun des grands de Perse. Se doutant donc de l’imposture, voici ce qu’il fit pour la découvrir.

Cambyses avait épousé sa fille Phédyme; elle était restée au palais, ainsi que toutes les autres femmes du feu roi. Otanès lui envoya demander quel était celui qui maintenant régnait; si c’était Smerdis, fils de Cyrus, ou quelque autre. Phédyme répondit qu’elle ne le savait pas, qu’elle n’avait jamais vu Smerdis, fils de Cyrus, et qu’elle ne connaissait pas plus celui qui l’avait admise au nombre de ses femmes. « Si vous ne connaissez pas Smerdis, fils de Cyrus, lui fit dire une seconde fois Otanès, du moins demandez à Atossa quel est cet homme avec qui vous habitez l’une et l’autre : elle doit connaître parfaitement son frère Smerdis. » Sa fille répondit à cela : « Je ne puis parler à Atossa, ni voir aucune des autres femmes. Dès que cet homme, quel qu’il puisse être, s’est emparé du trône, il nous a dispersées dans des appartements séparés. »

Sur cette réponse, l’affaire parut beaucoup plus claire à Otanès. Il se rappela que Smerdis le mage avait eu les oreilles coupées pour quelque méfait, et il envoya ce troisième message à Phédyme. « Ma fille », lui fit-il dire, « il faut qu’une personne bien née comme vous s’expose au danger; c’est votre père qui vous y engage, c’est lui qui vous l’ordonne. Si le roi n’est point Smerdis, fils de Cyrus, mais celui que je soupçonne, il ne convient pas que vous soyez sa femme, ni qu’il occupe impunément le trône de Perse; il mérite d’être puni. Suivez donc mes conseils, et faites ce que je vais vous prescrire. Quand il viendra vers vous, examinez bien s’il a des oreilles. S’il en a, c’est le fils de Cyrus : s’il n’en a point, c’est Smerdis le mage. »

Phédyme fit ce qui lui avait été recommandé; elle reconnut que le mage n’avait pas d’oreilles, et elle en instruisit aussitôt son père.

Association de sept seigneurs perses contre le mage (522-521 av. J.C.)

Otanès prit avec lui Aspathinès et Gobrias, qui étaient les premiers d’entre les Perses, et sur la foi desquels il comptait le plus. Il leur fit part de tout ce qu’il venait d’apprendre; ils eurent d’autant moins de peine à le croire, qu’eux-mêmes en avaient déjà quelque soupçon. Il fut donc résolu entre eux que chacun s’associerait un des Perses en qui il aurait le plus de confiance. Otanès s’adressa à Intaphernès, Gobryas à Mégabyses, et Aspathinès à Hydarnès. Ils étaient au nombre de six, lorsque Darius, fils d’Hystaspes, revenant de Perse, dont son père était gouverneur, arriva à Suses. A peine fut-il de retour, qu’ils résolurent de se l’associer aussi.

Ces sept seigneurs, s’étant assemblés, se jurèrent une fidélité réciproque, et délibérèrent entre eux. Quand ce fut le tour de Darius de dire son avis : « Je croyais », leur dit-il, « être le seul qui eût connaissance de la mort de Sinerdis, fils de Cyrus, et qui sût que le mage régnait en sa place : c’est pour cela que je me suis rendu ici en diligence afin de le faire périr. Puisqu’il est arrivé que vous avez aussi découvert ce mystère, il faut sur-le-champ exécuter l’entreprise; autrement il y aurait du danger. – Fils d’Hystaspes », répondit Otanès, « né d’un père illustre et courageux, vous montrez que vous ne lui êtes inférieur en rien. Gardez-vous néanmoins d’agir inconsidérément. Pour moi, je suis d’avis de ne point commencer que nous ne soyons en plus grand nombre. – Perses », reprit Darius, « si vous suivez le conseil d’Otanès, votre perte est assurée. L’appât d’une récompense engagera quelqu’un à vous dénoncer. Vous auriez dû exécuter l’entreprise seuls; puisque vous avez jugé à propos d’en faire part à plusieurs, exécutons-la aujourd’hui. Si vous laissez passer la journée, je vous déclare que je n’attendrai pas qu’on me prévienne, mais que j’irai moi-même vous dénoncer au mage. » Ils convinrent tous d’agir sans retard.

Déclaration et mort de Prexaspes (vers 522-521 av. J.C.)

Pendant qu’ils délibéraient, les mages tenaient aussi conseil. Ils résolurent de s’attacher Prexaspes, parce que Cambyses l’avait traité d’une manière indigne en tuant son fils d’un coup de flèche, et parce que lui seul avait connaissance de la mort de Smerdis, fils de Cyrus, l’ayant tué de sa main : d’ailleurs il était universellement estimé parmi les Perses. En conséquence, ils le mandèrent et n’oublièrent rien pour le gagner. Ils exigèrent de lui qu’il leur donnât sa foi de ne découvrir à personne la fraude dont ils avaient usé envers les Perses, et lui promirent, avec serment, de le combler de richesses. Prexaspes s’engagea à faire ce qu’on désirait de lui. Les mages, croyant l’avoir gagné, lui proposèrent de monter sur une tour, pour annoncer aux Perses, qu’ils allaient convoquer sous les murs du palais, que c’était véritablement Smerdis, fils de Cyrus, qui régnait sur eux, et non pas un autre. Ils lui avaient donné cet ordre, à cause de son ascendant sur l’esprit des Perses, parce qu’il avait souvent déclaré que Smerdis, fils de Cyrus, était encore vivant, et qu’il était faux qu’il l’eût tué.

Prexaspes s’y prêta de bonne grâce, et dès que les Perses convoqués par les mages se furent réunis au pied des murs du palais, il monta sur une tour afin de les haranguer. Il commença par glorifier la lignée royale à partir d Achémenès; et quand il fut venu à Cyrus, il fit l’énumération de tous les biens dont il avait comblé les Perses. Après ce débat, il découvrit la vérité, qu’il avait jusqu’alors tenue cachée, disait-il, parce qu’il eût été dangereux pour lui de la publier; mais qu’il devait, dans les conjectures présentes, révéler à tout le peuple. Enfin il assura qu’il avait tué Smerdis, fils de Cyrus, par les ordres de Cambyses, et que c’étaient les mages qui régnaient actuellement. En même temps il fit beaucoup d’imprécations contre les Perses, s’ils ne recouvraient l’empire, et s’ils ne se vengeaient des mages : puis il se précipita de la tour, la tête la première. Ainsi mourut Prexaspes, qui, pendant toute sa vie, avait joui de la réputation d’un homme de bien.

Mort des mages (521 av. J.C.)

Cependant les sept Perses s’étaient mis en marche. Ils apprirent en chemin l’aventure de Prexaspes, et en furent encouragés. On raconta aussi plus tard qu’ils avaient aperçu sept couples d’éperviers qui poursuivaient deux couples de vautours, et les mettaient en pièces avec le bec et les serres.

Lorsqu’ils furent aux portes, les gardes, par respect pour leur rang, les laissèrent passer. Dans la cour du palais, ils rencontrèrent des officiers qui tout en menaçant les gardes pour leur avoir donné passage, s’efforcèrent de l’empêcher de pénétrer plus avant. Les sept tombèrent sur eux le poignard à la main, les tuèrent, et coururent à l’appartement des mages qui délibéraient en ce moment sur l’action de Prexaspes.

Au bruit qu’ils entendirent, ils accoururent, et en voyant ce qui se passait, se mirent en défense. L’un prit un arc, l’autre une lance. Aspathinès fut blessé à la cuisse, et lntaphernès à l’oeil. Gobryas avait saisi un des mages au corps, comme on était dans les ténèbres, Darius craignit de percer son ami, qui lui demanda pourquoi il ne frappait pas. « Je crains de vous blesser », répondit Darius. – « Frappez toujours », lui dit Gobryas, « dussiez-vous me percer aussi. » Darius obéit, et, par bonheur, le coup qu’il porta n’atteignit que le mage.

Après avoir tué les mages, ils leur coupèrent la tête; et sortirent avec ces têtes à la main. Ils appelèrent à grands cris les Perses, leur racontèrent ce qui s’était passé, leur montrèrent les têtes des usurpateurs et firent main basse sur tous les mages qui se présentèrent à eux.

Les Perses mirent aussi l’épée à la main; ils cherchèrent de tous côtés les mages et tuèrent ceux qu’ils purent trouver. Si la nuit n’eût arrêté le carnage, il ne s’en serait pas échappé un seul.

Les Perses célébrèrent longtemps avec beaucoup de solennité cette journée : ils en avaient fait une de leurs plus grandes fêtes et l’appelaient le massacre des mages. Ce jour-là, il n’était pas permis aux mages de paraître en public.