César (100-44 av. J.C.)

Commencements de César (100-60 av. J.C.)

Ce premier rang où Catilina avait voulu arriver par des complots et des assassinats, César prétendait y monter par de grandes actions.

Il rattachait son origine aux dieux mêmes; il prétendait descendre, par Enée, de Vénus. Magnifique, fier et actif, il avait l’instinct et le génie du commandement. Durant un voyage en Asie, il tombe aux mains des pirates; ils lui demandent vingt talents pour sa rançon: « Vous en aurez cinquante », répondit-il, « mais je vous ferai pendre; » et il leur tint parole. A peine libre, il ramassa quelques vaisseaux, courut après les pirates, se saisit d’eux et les pendit.

Tout jeune encore il avait osé braver Sylla: et on rapporte que le dictateur, surpris, s’était écrié: « Il y a dans cet enfant plusieurs Marius. » Il ne voulait pas d’égaux. Un jour qu’il traversait un pauvre village des Alpes: « J’aimerais mieux », dit-il, « être le premier ici que le second à Rome. » Une autre fois ses amis l’avaient vu pleurer devant une statue d’Alexandre, en répétant: « A mon âge il avait conquis le monde, et moi je n’ai encore rien fait! ». Ses commencements furent pénibles et lents. Né avec le siècle, il n’était, en l’année 68 av. J.C., à trente-deux ans, qu’édile curule; en 63 av. J.C. il obtint le grand pontificat et la préture; mais il paya ces charges de toute sa fortune.

Le premier triumvirat (60 av. J.C.)

Il avait donc besoin d’une révolution pour rétablir ses affaires, comme Crassus et Pompée en avaient besoin pour rétablir leur crédit dans l’Etat. L’un, Crassus, le plus riche citoyen de Rome, le propriétaire de plusieurs quartiers de la ville et de 20000 esclaves, estimait qu’on n’accordait pas à tant de richesses l’influence qu’elles méritaient. L’autre, Pompée, aurait voulu trouver, de la part des sénateurs romains, la déférence que lui avaient montrée les rois de l’Asie.

César leur persuada d’unir leurs ressentiments et leurs ressources pour former à eux trois une secrète union, qui leur permettrait de dominer le peuple, le sénat et les lois. Cette association a été appelée le premier triumvirat (60 avant J. C.).

César y gagna le consulat, que ses deux amis lui firent donner, et au sortir de cette charge le gouvernement des deux Gaules, Cisalpine et Transalpine.

La guerre des Gaules (58-50 av. J.C.)

On a vu que Rome avait acquis, au-delà des Alpes, une province qui s’étendait de Genève à Toulouse. Le reste des Gaulois étaient indépendants. César, qui avait besoin, pour ses desseins ultérieurs, d’une grande guerre qui lui donnât de la gloire, du butin et des soldats dévoués, entreprit de soumettre les Gaulois et y réussit par huit années d’efforts surhumains.

Il n’y aura pas de résumé (sypnosis). Cette guerre épique se trouve dans le portail au sein de la rubrique : La guerre des Gaules.

Les principaux faits : dans la première campagne (58), il vainquit les Helvètes et les Suèves qui envahissaient la Gaule; dans la seconde (57), la Belgique; dans la troisième (56), l’Armorique et l’Aquitaine. Dans la quatrième et la cinquième (55-54), il pénétra en Germanie et dans l’île des Bretons; dans la sixième, il étouffa des soulèvements partiels en Gaule. Dans la septième enfin, il eut à combattre la révolte générale dirigée par Vercingétorix, et à exécuter le siège fameux d’Alesia (52). La huitième année fut employée à étouffer les derniers restes de l’insurrection; la neuvième, à organiser le pays et à le gagner par d’habiles ménagements à la cause de son vainqueur. Car la guerre des Gaules finissait à peine que la guerre civile commençait.

Les troubles à Rome (58-50 av. J.C.)

Tandis que César gagnait en Gaule un renom immortel, Rome était agitée par de misérables intrigues. Le tribun Clodius avait fait exiler Cicéron, l’accusant d’avoir envoyé au supplice les complices de Catilina, sans qu’un jugement régulier eût prononcé leur culpabilité. Puis il avait rempli la ville de ses violences. Entouré d’une bande de gladiateurs, il régna par la terreur, jusqu’au moment où un autre tribun, Milon, se servit pour le combattre des mêmes armes. Un jour les deux bandes se rencontrèrent et Clodius resta mort sur la place.

La bataille de Carrhes (53 av. J.C.)

Pour sa part dans les profits du triumvirat, Pompée avait eu le gouvernement de l’Espagne, Crassus celui de la Syrie. Jaloux des succès de César, Crassus voulut accomplir à l’orient des exploits aussi brillants et surtout aussi profitables. Il entreprit une grande expédition contre les Parthes. Il se laissa attirer par eux, avec ses lourdes légions, au milieu des sables de la Mésopotamie, où tout manquait à ses soldats, et ne put trouver une occasion de livrer bataille à un ennemi qui fuyait toujours. A la fin ses troupes, épuisées de fatigue, sous un soleil brûlant, voulurent reculer. Elles trouvèrent partout cet insaisissable ennemi qui, de loin, les criblait de ses flèches. Une bonne partie de l’armée périt (la bataille de Carrhes). Crassus, attiré à une entrevue, y fut tué; les débris de ses légions regagnèrent avec peine la Syrie.

Rupture entre César et Pompée (49 av. J.C.)

Crassus maintenait l’équilibre entre César et Pompée; lui mort, les deux associés devinrent deux rivaux. L’un avait sa valeureuse armée des Gaules et le peuple de Rome; l’autre tenait la capitale de l’empire, et le sénat s’était rapproché de lui. Pompée se crut assez fort pour précipiter César et rester seul maître. Il lui fit ordonner de quitter son commandement et ses légions. César répondit à ce décret en passant le Rubicon à la tête de ses troupes.

César s’empare de Rome et de l’Italie (49 av. J.C.)

Cette nouvelle surprit Rome comme un coup de foudre : Pompée se trouva pris au dépourvu. Nuls préparatifs, nulle mesure de défense. « En quelque endroit de l’Italie que je frappe du pied la terre », avait-il dit, « il en sortira des légions. – Frappe-donc la terre lui dit Favonius, le moment est venu. » Il lui fallut avouer son imprévoyance, reculer de Rome à Capoue, de Capoue à Brindes, de Brindes fuir en Grèce par-delà l’Adriatique. César se trouva, en quelques semaines, maître de Rome et de l’Italie.

Il soumet l’Espagne (49 av. J.C.)

En Espagne il y avait une armée pompéienne, César y courut. « Je vais », dit-il, « combattre une armée sans général; ensuite j’attaquerai un général sans armée. » La campagne fut laborieuse, mais c’était au milieu des difficultés que brillait le génie de César, les Pompéiens cernés furent contraints de mettre bas les armes.

Campagne en Epire (48 av. J.C.)

L’Espagne soumise, il prit Marseille en passant et revint en Italie. Peu de temps après, il était en Epire, ayant profité de l’hiver, qui retenait dans le port la flotte pompéienne, pour franchir l’Adriatique et débarquer avec 15000 hommes. Antoine devait lui amener le reste. Mais les jours s’écoulaient et Antoine n’arrivait pas. Peu accoutumé à ces lenteurs, César voulut aller lui-même chercher ses légions. Un soir, il sortit seul de son camp, monta sur une barque et ordonna au pilote de cingler vers la haute mer. Un vent contraire, qui souffla presque aussitôt, refoulait les vagues, et le pilote, effrayé par la tempête, refusait d’avancer. Alors se faisant connaître : « Que crains-tu? » lui dit-il, « tu portes César et sa fortune. » Il fallut cependant reculer devant la fureur des flots.

Antoine arrivé, César marcha vers Dyrrachium, entreprit d’y assiéger les Pompéiens plus nombreux que ses troupes, et éleva une ligne de fortifications qui n’avait pas moins de sept lieues de développement. Maîtres de la mer, les Pompéiens vivaient dans l’abondance. Les soldats de César en vinrent à broyer des racines pour en faire une sorte de pâte; et comme l’ennemi les raillait sur leur disette, ils lui jetaient de ces pains en criant « qu’ils mangeraient l’écorce des arbres plutôt que de lâcher Pompée. »

La bataille de Pharsale (48 av. J.C.)

Ils furent cependant obligés de renoncer à ce siège. Les vivres allaient leur manquer tout à fait, et le beau-père de Pompée, Scipion, arrivait d’Orient avec deux légions. César marcha à sa rencontre. Comme il l’avait prévu, Pompée le suivit et les deux armées se trouvèrent en présence près de Pharsale.

Pompée voulait encore éviter une action décisive; mais son entourage lui força la main. Ces jeunes nobles trouvaient la guerre bien longue : « Nous ne mangerons donc pas cette année de figues de Tusculum ? » disait Pavonius. Tous se croyaient si sûrs de vaincre qu’ils ne pensaient qu’à la manière dont ils exploiteraient la victoire.

L’infanterie pompéienne, forte de 45000 hommes, était deux fois plus nombreuse que celle de l’ennemi; mais Pompée comptait avant tout sur sa cavalerie. C’étaient 7000 hommes magnifiquement armés, et parmi eux l’élite des chevaliers romains. Ils s’étaient promis d’écraser, sous les pieds de leurs chevaux, la dixième légion, si fameuse depuis ses exploits dans les Gaules. Mais l’attaque imprévue de ces vieux soldats les déconcerta, ils tournèrent bride; l’infanterie dégarnie fut enveloppée et mise en déroute.

La mort de Pompée (48 av. J.C.)

Pompée, dès le moment où il avait vu sa cavalerie repoussée, s’était retiré dans sa tente, désespéré et inactif. Tout à coup il entend des clameurs qui s’approchent: « Quoi! » s’écria-t-il, « jusque dans mon camp ! » et jetant les insignes du commandement il sauta sur un cheval et s’enfuit. Il s’embarqua sur un vaisseau qu’il trouva aux bouches du Pénée, et se rendit, avec sa femme Cornélie, en Egypte, dont le roi lui devait sa couronne. Les ministres de ce prince ne voulurent pas unir leur destinée à celle d’un vaincu. Une barque fut envoyée au vaisseau sous prétexte de conduire le général auprès du roi. Pompée y descendit. Il s’y trouvait deux centurions romains, soldats de fortune, au service de Ptolémée. Du haut de sa galère, Cornélie suivait des yeux la barque qui déjà touchait au rivage; tout à coup elle jeta un grand cri. Un des soldats, passant derrière son époux venait de le frapper d’un coup d’épée, l’autre acheva le meurtre. Quand Pompée fut tombé, ils lui coupèrent la tête et jetèrent hors de la barque sur le rivage le corps dépouillé. Le lendemain, son affranchi Philippe et un pauvre vieillard ramassèrent les débris d’un bateau pêcheur pour lui faire un bûcher. De la pleine mer un autre vaincu de Pharsale, Lentulus, aperçut la flamme. « Quel est celui », dit-il, « qui est venu terminer ici sa destinée et se reposer de ses travaux? » Il débarqua et eut le même sort (48 av. J.C.).

La guerre d’Alexandrie (48-47 av. J.C.)

Quelques jours après, César arriva devant Alexandrie. Théodote lui présenta la tête de Pompée; il détourna les yeux avec horreur et plaignit cette triste fin d’un homme fameux. Les ministres du roi d’Egypte, qui avaient commis l’attentat, furent blessés de la manière dont César accueillait leur crime, et le voyant mal accompagné (il n’avait amené que 4000 hommes), osèrent l’attaquer. César resta six mois comme assiégé dans Alexandrie. Enfin il reçut quelques renforts qui lui permirent de prendre l’offensive, et il détruisit l’armée égyptienne dans une seule bataille. Le roi se noya dans le Nil en fuyant. César donna sa couronne à Cléopatre (47 av. J.C.).

Guerre d’Asie et retour à Rome; César dictateur (47 av. J.C.)

D’Egypte, César alla en Asie combattre Pharnace. Ce fils de Mithridate avait profité de la guerre civile pour envahir la Cappadoce : César termina tout en cinq jours. « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, » écrivait-il à un ami.

Après vingt mois d’absence, il rentra à Rome où le sénat lui avait décerné la dictature. Contre l’attente de beaucoup, son retour ne fut marqué par aucune proscription. Seulement il confisqua les biens de ceux qui portaient encore les armes contre lui, et fit vendre à l’encan ceux de Pompée.

La bataille de Thapsus (46 av. J.C.)

Les principaux chefs pompéiens, Labiénus, Caton, Afranius, s’étaient réfugiés en Afrique après la bataille de Pharsale et y avaient réuni de grandes forces. Juba, roi de Mauritanie, s’était joint à eux. César alla les y chercher et les força d’accepter une bataille décisive près de Thapsus. Ils furent complètement battus. Tous les chefs périrent ou se tuèrent pour ne pas tomber vivants entre ses mains, à l’exception de Sextus Pompée qui se sauva en Espagne, où son frère s’était déjà rendu.

La mort de Caton (46 av. J.C.)

Caton commandait à Utique; il était bien résolu à ne pas survivre à la ruine de la liberté romaine, mais il s’occupa avant tout d’assurer la fuite de ceux qui s’étaient retirés dans la ville. Il fit fermer toutes les portes, excepté celles du port, donna des vaisseaux à ceux qui en manquaient et veilla à ce que tout se fît avec ordre. Après le bain, il soupa en compagnie nombreuse, et quand il eut congédié ses convives, il se retira et lut dans son lit le dialogue de Platon sur l’immortalité de l’âme. Il s’interrompit après quelques pages pour chercher son épée; ne la trouvant pas, il appela ses esclaves pour la leur demander et frappa un d’eux si violemment que sa main en fut ensanglantée. Son fils entra fondant en larmes avec ses amis. Caton lui dit d’un ton sévère: « Tu m’enlèves mes armes pour me livrer sans défense : que ne me fais-tu lier aussi les mains derrière le dos? Ai-je besoin d’un glaive pour m’ôter la vie ? » On lui envoya son épée par un enfant : « Maintenant je suis mon maître, » dit-il. Alors il reprit le Phédon, le relut deux fois en entier, et s’endormit d’un profond sommeil.

Comme les oiseaux commençaient à chanter, dit son biographe, il se réveilla, prit son épée, et se l’enfonça au-dessous de la poitrine. En luttant contre la douleur, il tomba de son lit. A ce bruit, on accourut, ses entrailles lui sortaient du corps, et il regardait fixement. La blessure cependant n’était pas mortelle. Un médecin la banda; mais, dès qu’il eut repris ses sens, il arracha l’appareil, rouvrit la plaie et expira sur-le-champ. « Oh! Caton », s’écria César en apprenant cette fin, « tu m’as envié la gloire de te sauver la vie. »

Les triomphes de César (46 av. J.C.)

Au retour, César célébra quatre triomphes: sur les Gaulois, l’Egypte, Pharnace et Juba. Ni Pharsale, ni Thapsus n’étaient nommées, comme s’il n’y avait eu que des guerres étrangères : parmi les captifs on ne voyait pas un Romain. Après le triomphe il donna des fêtes splendides, des spectacles de toute sorte et distribua du blé, de l’argent, des terres. Un jour il y eut un prodigieux festin : vingt-deux mille tables à trois lits1 furent servies au peuple entier.

1. Les Romains ne mangeaient pas assis, comme nous, mais à demi-couchés sur des lits qui recevaient chacun plusieurs convives, ordinairement trois.

La bataille de Munda (45 av. J.C.)

La bataille de Thapsus ne fut pas la dernière résistance des républicains. Ceux qui s’étaient échappés d’Afrique avaient trouvé un refuge dans l’ancienne province de Pompée.

L’Espagne était en feu. Les deux fils de Pompée, Cnéus et Sextus, venaient d’y relever le drapeau du parti et avaient déjà réuni treize légions. En vingt-sept jours César arrive de Rome à Cordoue, et remporte près de Munda la dernière de ses victoires. Cnéus atteint dans sa fuite fut tué : Sextus réussit à échapper à toutes les recherches en se tenant caché dans les Pyrénées (45 av. J.C.).

Puissance de César (44 av. J.C.)

Le parti pompéien n’avait plus ni chefs ni soldats, et César n’avait plus d’adversaire; il était maître de Rome.

Le sénat, devenu son instrument docile, le nomma dictateur à vie, et lui donna, sous le nom latin d’imperator, qui signifie général victorieux, et dont nous avons fait empereur, la puissance militaire. – Finances, armées, justice, religion, tout se trouvait dans ses mains. De fait, il était roi : il voulut en porter le nom. Un jour, lors de la fête des Lupercales, Antoine lui offrit le diadème en le saluant du titre de roi : mais le peuple fit entendre des murmures. César repoussa, non sans regret, cet insigne encore odieux aux Romains. « Je ne m’appelle pas roi », dit-il, « mais César. » Et le Forum retentit d’applaudissements.

Le dictateur comprit que, pour faire oublier le nom de république, il fallait éblouir les esprits par l’éclat de nouvelles victoires. Il résolut de venger Crassus sur les Parthes, de suivre jusqu’à l’Indus les traces du conquérant macédonien, et de revenir à Rome à travers la Scythie et les pays des Germains domptés. Après avoir soumis le monde, César se proposait d’unir tous les peuples dans la même vie politique et morale, en leur donnant à tous les lois, la langue et la civilisation de Rome.

La mort de César (44 av. J.C.)

Mais la mort interrompit ces vastes projets : l’Alexandre de l’Occident n’eut pas plus que l’autre le temps d’achever son oeuvre. Depuis plusieurs mois une conspiration était formée; Cassius en était le chef. Il avait entraîné Brutus, neveu et gendre de Caton et qui semblait avoir hérité de sa rigidité inflexible comme de sa vertu. César l’avait épargné à Pharsale et lui avait confié l’important gouvernement de la Gaule Cisalpine: mais Brutus, tout en aimant celui que les grands appelaient un tyran, détestait la tyrannie.

Cassius, pour l’entraîner, dut lui montrer qu’il était la seule espérance de la noblesse romaine, et écrire sur le tribunal où il siégeait comme préteur : « Tu dors, Brutus, non, tu n’es plus Brutus ! » Brutus céda: il se crut l’instrument nécessaire d’une vengeance légitime. Son nom en gagna d’autres que pour la plupart César avait comblés de faveurs. Cicéron, quoique lié avec les principaux conjurés, ignora tout.

Les avis ne manquèrent pas à César; on lui parla d’un complot où Brutus était entré.

« Brutus », dit-il en se touchant, « attendra bien la fin de ce corps misérable. » Cependant, un jour qu’on dirigeait ses soupçons sur les deux consuls Dolabella et Antoine: « Ce ne sont pas ces hommes si bons convives que je redoute, mais les gens au visage blême et maigre. » Il voulait désigner Cassius et Brutus. Le maintien calme de Brutus ne trompait pas non plus sa femme Porcia; on sait que pour éprouver ses forces, avant de lui demander son secret, elle se fit à la cuisse une profonde blessure.

On racontait aussi des prodiges, des feux aperçus au ciel, des bruits nocturnes, etc. César s’impatientait de ces continuelles menaces et refusait d’y croire, au moins d’y penser. « Rome », disait-il, « est plus intéressée que moi-même à ma vie; » et il avait renvoyé sa garde espagnole.

Le jour des ides (15 mars 44 av. J.C.), les conjurés se rendirent de bonne heure au sénat. Les devins avaient défendu à César de sortir. Décimus Brutus lui fit honte de céder à ces vagues terreurs, et, lui prenant la main, l’entraîna sur la route. Un Grec, Artémidore de Cuide, lui remit tout le plan de la conjuration : « Lisez », lui dit-il, « cet écrit, seul et promptement; » il n’en put trouver le temps.

Les conjurés eurent d’autres sujets d’inquiétude. Un sénateur, Popilius Lénas, ayant salué Brutus et Cassius d’un air plus empressé qu’il ne faisait ordinairement, leur dit à l’oreille : « Je prie les dieux qu’ils donnent une favorable issue au dessein que vous méditez; mais je vous conseille de ne pas perdre un moment, car l’affaire n’est plus secrète; » et peu après ils le virent avoir avec César un long entretien auquel le dictateur paraissait donner la plus grande attention. Déjà Cassius et quelques autres mettaient la main sous leurs robes pour en tirer leurs poignards et s’en frapper eux-mêmes, lorsque Brutus reconnut aux gestes de Lénas qu’il s’agissait, entre César et lui, d’une prière très-vive, plutôt que d’une accusation.

Quand César entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur; dès qu’il fut assis, les conjurés, se pressant autour de lui, firent avancer Tullius Cimber pour lui demander le rappel de son frère. Ils joignirent leurs prières aux siennes, et, comme ils insistaient, il se leva pour les repousser de force. Alors, Tullius lui arrachant sa toge, Casca lui porta un premier coup le long de l’épaule, César saisit la poignée de l’arme en s’écriant: « Scélérat que fais-tu? Mais, dès qu’il vit Brutus lever le poignard sur lui, il quitta la main de Casca, se couvrit la tête de sa robe, et livra son corps au fer des conjurés. Comme ils le frappaient tous à la fois, Brutus reçut une blessure à la main, et tous les autres furent couverts de son sang.