Dioclétien et Constantin (285-392)

La Tétrarchie (285-313)

La situation de l’empire était redevenue déplorable. En Gaule, les habitants des campagnes, poussés à bout par la tyrannie des gouverneurs,
s’étaient révoltés sous le nom de Bagaudes; les Alamans avaient franchi le Danube; des pirates saxons et francs pillaient les côtes de la Bretagne et de
la Gaule.

Carausius, chargé de les combattre, partagea avec eux le butin et se proclama empereur.

Dioclétien ne pouvait suffire à tant d’ennemis; il se donna un collègue, Maximien, un de ses anciens compagnons d’armes (286).
Les dangers de l’empire croissant encore, les deux Augustes s’adjoignirent chacun un auxiliaire: deux Césars furent nommés, Galérius (Galère) et
Constance Chlore (292), qui restèrent subordonnés aux deux Augustes. L’empire eut alors quatre princes et quatre capitales. Rome fut délaissée pour
Nicomédie, Sirmium, Milan et Trêves. Le sénat ne fut plus consulté, et la création de nouveaux corps pour la garde des princes,
les Herculiens et les Joviens, mit fin à l’influence des prétoriens, en même temps que l’ambition des généraux se trouva contenue par quatre maisons
puissantes, ce qui rendit les usurpations militaires plus difficiles.

Grâce à ce partage, qu’on a appelé la tétrarchie, l’empire fut mieux défendu. Il conservait pourtant son unité, parce que Dioclétien
demeura le chef suprême de l’Etat. Ses collègues, surtout dans l’intérieur, ne purent rien faire que par ses ordres. Pour entourer d’un nouveau prestige l’autorité
impériale, il emprunta aux monarchies asiatiques toute leur pompe extérieure. Il prit le diadème, s’habilla de soie et d’or, et voulut que tous
ceux qui obtenaient la permission de l’approcher, l’adorassent à genoux.

Succès militaires de Dioclétien et de ses collègues (285-305)

Maximien rejeta les Germains au-delà du Rhin et comprima la révolte des Bagaudes. Constance Chlore chassa les Francs de la Gaule et vainquit, en Bretagne,
l’usurpateur Alectus, qui avait succédé à Carausius. Dioclétien renversa en Egypte un autre tyran, Achillée. Galérius (Galère) battit
plusieurs peuples du Danube, força les Perses de céder à l’empire la Mésopotamie, cinq provinces au-delà du Tigre, et la suzeraineté
sur l’Arménie et l’Ibérie.

Ere des martyrs (285-305)

Pendant que la Rome païenne célébrait ces victoires par un pompeux triomphe, un des derniers qu’elle ait vus, sa religion expirante fit contre le christianisme
un effort suprême. Galérius (Galère) avait arraché à Dioclétien un édit qui fermait les églises et défendait aux
chrétiens tout signe public de leur foi. L’édit fut affiché à Nicomédie, un chrétien le déchira.
Dans le même temps, un incendie éclata dans le palais impérial; on en accusa les chrétiens. Dioclétien ordonna une persécution qui
renouvela les tortures dans tout l’empire, excepté en Gaule, où régnait Constance Chlore. Ce fut la dernière et la plus cruelle : elle dura dix
ans, et fit appeler cette époque l’ère des martyrs.

En 305, Dioclétien, dégoûté du pouvoir, abdiqua et contraignit Maximien à suivre son exemple. Retiré dans une belle maison de
campagne près de Salone, l’ancien chef du monde y passa sa vieillesse dans de paisibles travaux, sans regretter l’empire. Un jour que Maximien le pressait de remonter sur le
trône: « Si tu pouvais voir », lui répondit-il, « quels beaux légumes je fais pousser moi-même, tu ne me parlerais pas de pareilles
fatigues. »
Il y mourut en 313.

Galère et Constance Chlore (305-306)

Les deux Césars, Galère et Constance, prirent le titre d’Augustes. Galère, qui prétendait être le chef suprême de l’Etat, nomma,
sans consulter son collègue, les deux nouveaux Césars, Maximien et Sévère. Constance mourut d’ailleurs peu de temps après, à
York (306). Il avait mérité le beau surnom de « Constance le Pauvre. » Telle était la simplicité de sa vie qu’il était obligé
d’emprunter de l’argenterie quand il donnait un repas.

Six empereurs à la fois (306-313)

Après la mort de cet excellent prince, ses légions proclamèrent Auguste son fils Constantin. Dans le même temps, Rome, irritée de l’abandon
où les nouveaux princes la laissaient, se souleva, et les prétoriens saluèrent empereur Maxence, fils de Maximien. Maxence prit son père pour
collègue, en sorte que l’empire eut six Augustes à la fois.

Sévère périt le premier (307), puis le vieux Maximien qui, s’étant brouillé avec Maxence, se réfugia en Gaule, y conspira contre son gendre
Constantin et fut mis à mort (310). Galère, l’année suivante, fut emporté par ses débauches. Il laissait l’Orient à Licinius et à
Maximien (311). Maxence et Constantin se partageaient l’Occident, l’un en Italie, l’autre en Gaule.

En 312, Maxence provoqua Constantin, fut vaincu et se noya dans le Tibre (312). C’est pendant cette expédition que Constantin fit placer la croix sur ses
étendards. Il avait vu, disait-on, briller au ciel une croix avec ces mots : « Tu vaincras par ce signe. » Quelques mois après, Licinius, devenu le
beau-père et l’allié de Constantin, avait renversé Maximien (313).

Constantin et Licinius (313-323)

L’empire n’avait donc plus que deux maîtres. L’ambition les arma bientôt l’un contre l’autre : une première victoire valut à
Constantin la Macédoine, la Dacie et la Grèce (314). Au bout de neuf ans, il recommença la guerre, battit Licinius à Andrinople, puis à
Chalcédoine, le contraignit de se rendre, et lui ôta la pourpre et la vie (323). Ainsi, après dix-sept ans de désordres, qui avaient couvert le
monde de sang et de ruines, Constantin se trouva seul empereur.

Edit de milan (313)

Trois grands faits remplissent le règne de Constantin : l’établissement du christianisme comme religion dominante dans l’empire; la fondation de Constantinople; enfin la réorganisation administrative de l’Etat.

Constance Chlore avait protégé les chrétiens sans se déclarer pour eux. Son fils alla plus loin: il abandonna publiquement ses faux dieux et professa la religion nouvelle. Durant son expédition contre Maxence, il avait mis la croix sur son étendard, et, après son entrée dans Rome, il s’était fait dresser une statue tenant la croix à la main. En 313, il rendit à Milan un édit mémorable par lequel les chrétiens, outre la tolérance pour leur culte, obtenaient la restitution de tous leurs biens confisqués avec le droit d’entrer dans les charges et de bâtir des temples.

Bientôt il transmit aux prêtres tous les privilèges des pontifes païens, c’est-à-dire le droit d’asile pour leurs églises, et pour eux-mêmes l’exemption des charges publiques. Le repos du dimanche fut prescrit, grand bienfait pour les esclaves. Il reconnut la hiérarchie ecclésiastique, et ordonna que la décision des évêques aurait force de loi en matière civile, dans le cas où les deux parties auraient accepté l’arbitrage de leur pasteur. Il proscrivit les combats de gladiateurs, défendit le fouet et les tortures à l’égard des débiteurs insolvables de l’Etat, et lui qui, jadis, faisait jeter ses prisonniers aux bêtes de l’amphithéâtre, promit une somme d’argent à ses soldats pour chaque ennemi qu’ils lui amèneraient vivant.

Concile de Nicée (325)

La religion chrétienne était devenue la religion de l’Etat, mais l’empire était troublé par une hérésie formidable, celle des Ariens. Son auteur, Arius, prêtre d’Alexandrie, niait que le Christ fût Dieu, et sapait ainsi la religion jusque dans ses fondements. Pour rétablir la paix et l’unité, l’empereur convoqua un concile général ou oecuménique qui fut tenu à Nicée (325). Trois cent dix-huit évêques, prêtres ou diacres, s’y rendirent. C’était un grand spectacle que ces vénérables personnages, dont plusieurs portaient encore les traces du martyre, discutant les plus vastes questions que l’intelligence humaine puisse soulever, et arrêtant le symbole de foi que l’Eglise catholique professe encore aujourd’hui.

Fondation de Constantinople (330)

Le changement de religion amena un changement de capitale. C’est sur les rives du Bosphore, que Constantin voulut élever la nouvelle Rome, dans une admirable position, entre l’Europe et l’Asie (330). L’emplacement de Constantinople était si bien choisi que l’invasion barbare passa durant dix siècles au pied de ses murs avant de l’emporter.

Réorganisation administrative de l’Empire (323-339)

Achevant l’oeuvre ébauchée par Dioclétien, l’empereur sépara les fonctions militaires des fonctions civiles, afin que les deux ordres de fonctionnaires se fissent mutuellement équilibre. Il démembra les provinces et les commandements, pour que chacun de ses officiers ayant moins d’autorité et de force dans les mains, une révolte fût plus difficile.

Toutes ces charges donnèrent à ceux qui en furent investis des titres de noblesse personnelle et par conséquent non transmissibles. Les membres de la maison impériale furent très nobles; les illustres, les gouverneurs des provinces du premier ordre, remarquables; ceux du second ordre, des brillants. Il y eut les bons, les parfaits, etc.

Cette armée de fonctionnaires fut exemptée d’impôts et coûta beaucoup. Les dépenses s’accrurent donc au moment ou l’Etat avait plus que jamais besoin de toutes ses ressources pour ses armées, pour ses routes, pour ses forteresses des frontières. Il fallut demander davantage à l’impôt, quand la misère, résultat des désordres de l’anarchie militaire, des pillages des barbares et de la décadence de l’agriculture, s’était répandue jusqu’au coeur des plus riches provinces. Alors commença entre le fisc et les contribuables une guerre pleine de ruses et de violences, dont une des conséquences fut d’irriter les populations et d’éteindre jusqu’aux derniers restes du patriotisme.

Les dernières années de Constantin furent attristées par des malheurs domestiques et les sanglantes tragédies du palais impérial, où furent mis à mort, par ses ordres, son fils Crispus, l’impératrice Fausta, et le jeune Licinius, enfant de douze ans.

Fatigué un jour de l’avidité des courtisans, il leur disait : « Eussiez-vous tout l’or du monde, bientôt vous ne posséderez rien au-delà de cet étroit espace, si encore on vous le donne. » Et il traçait avec sa lance, sur le sable, les six pieds de terre, notre dernière demeure.

Meurtre des frères et des neveux de Constantin (339)

L’unité de l’empire rétablie par Constantin fut de nouveau rompue à sa mort. Il avait partagé ses Etats entre ses enfants et ses neveux. Ce partage, cause de rivalité entre les jeunes princes, leur devint funeste. Les soldats, excités sous main, massacrèrent les deux frères et sept neveux de Constantin. Ses trois fils furent proclamés Augustes après cette boucherie; Constance eut l’Orient, Constant l’Italie, et Constantin II la Gaule et l’Espagne.

Mort de ses fils Constantin (340) et Constant (350)

Le dernier, mécontent de son lot, voulut conquérir l’Italie et périt dans une bataille près d’Aquilée (340). Constant alla prendre possession de la Gaule; mais il ne put chasser les Francs qui s’étaient établis dans le Nord du pays. Un barbare, Magnence, souleva les gardes contre lui et le fit tuer (350).

Dans le même temps, Népotianus se faisait proclamer à Rome, et Vétranion était élu malgré lui par les légions d’Illyrie. Telle était déjà la grossièreté des moeurs que cet homme élevé aux plus grands emplois ne savait ni lire ni écrire.

Mort de l’usurpateur Magnence (353)

Constance chargea son cousin Gallus de veiller sur l’Orient, avec le titre de César, et marcha de sa personne contre les usurpateurs. Déjà Népotianus avait succombé sous les coups de Magnence. Vétranion abandonné de ses soldats, se trouva heureux de recevoir avec la vie une pension annuelle.

Il fut plus difficile de vaincre Magnence. L’empereur gagna la bataille de Mursa; mais cette journée désastreuse enleva à l’empire cinquante mille de ses meilleurs soldats. Quant à Magnence, il se perça de son épée (353).

Constance, seul empereur (353-364)

L’empire se retrouvait encore une fois sous un seul maître. Mais Constance vit bientôt s’élever de nouveaux usurpateurs. A peine avait-il prévenu la révolte de l’ambitieux Gallus en le faisant décapiter, que le Franc Sylvanus prit la pourpre à Cologne (355). Sylvanus renversé, il fallut pourvoir à la défense des frontières. Le Rhin, le Danube, et l’Orient étaient menacés à la fois. Constance se décida à créer César et à envoyer dans la Gaule le frère de Gallus, Julien, que sa soupçonneuse politique tenait relégué à Athènes.

Julien César (355-361)

Jeté sans expérience au milieu d’une guerre terrible, Julien, grâce aux conseils du préfet Salluste, se conduisit comme un vieux général. Deux peuples occupaient une partie de la Belgique, les Alamans et les Francs : il vainquit les premiers en plusieurs rencontres, notamment dans la grande bataille de Strasbourg, qui délivra des barbares tout le pays entre Bâle et Cologne (357). Quant aux seconds, il sut leur inspirer le respect de l’empire en battant quelques-unes de leurs bandes, et prit un grand nombre de ces barbares à sa solde. Il s’attacha aussi l’affection des Gallo-Romains, et montra les talents d’un administrateur habile, après avoir montré ceux d’un vaillant capitaine.

Révolte de Julien (360)

Mais ces succès portèrent ombrage à l’empereur, et il fit demander à Julien une partie de ses troupes, prétextant les nécessités de la guerre d’Orient contre les Perses. Effrayés de ce service lointain, les légions gauloises proclamèrent à Paris leur général Auguste. Julien résista en vain : on le contraignit d’accepter. Il voulut du moins négocier, et Constance qui n’avait pas d’héritier eut sans doute accepté ses offres, sans les menées des courtisans. Alors Julien prit l’offensive. Avant son départ, il battit encore les Barbares pour les empêcher de profiter de son absence, et par une marche hardie et rapide se porta en Illyrie. Heureusement pour l’empire menacé d’une nouvelle guerre civile, Constance mourut avant que les armées se rencontrassent, et appela à lui succéder son rival qui était le dernier membre de la famille de Constantin (361).

Règne de Julien (361-363)

Julien, surnommé l’Apostat, avait été élevé dans la religion chrétienne et en avait suivi d’abord tous les rites. Mais, sitôt qu’il fut monté sur le trône, il professa publiquement l’ancien culte et rouvrit les temples païens.

Les sophistes triomphèrent en voyant leurs dieux adorés par un descendant de Constantin. Mais la faveur du prince ne suffit pas pour rendre la vie au paganisme frappé de mort, et son exemple fut sans influence sur une société définitivement conquise à l’Evangile. Au moins Julien n’ajouta pas à la faute de méconnaître le christianisme, celle de le persécuter violemment: « Je ne veux pas », écrivait-il, « qu’on fasse mourir les Galiléens (c’est ainsi qu’il appelait les chrétiens), ni qu’on les frappe injustement, ni qu’on les maltraite en quelque manière que ce soit; mais je veux absolument qu’on leur préfère les adorateurs des dieux. »

Pour rendre plus dangereuse la guerre indirecte qu’il leur faisait, il leur ferma les écoles, ce qui était une injustice. Il eût sans doute expié cruellement cette politique s’il eût régné plus longtemps.

Mais il voulut venger sur les Perses les longues injures de l’empire : l’expédition n’en fut pas heureuse. Le manque de vivres contraignit l’armée à battre en retraite, et l’empereur fut blessé mortellement. Il mourut en s’entretenant avec ses amis de l’immortalité promise à l’âme du juste. Il avait trente-deux ans et n’avait régné que vingt et un mois (363).

Jovien (363-364)

L’armée était dans une situation périlleuse; elle se hâta de proclamer un empereur. Jovien, un des généraux, fut choisi. Son règne de huit mois n’est célèbre que par le traité honteux qu’il conclut avec le roi de Perse, Sapor, auquel on abandonna les cinq provinces au-delà du Tigre, avec quinze places fortes, dont Nisibe et Singara, les boulevards de l’empire. Jovien était chrétien, la faveur impériale cessant de soutenir le paganisme, il tomba pour ne plus se relever (364).

Valentinien et Valens, partage de l’empire (364)

Ce fut encore l’armée qui, après la mort de Jovien, nomma l’empereur. Le choix tomba sur un Pannonien, dur et d’esprit peu cultivé, mais soldat brave et capable. Il se donna pour collègue son frère Valens, et lui laissa l’Orient, prenant pour lui la tâche de défendre l’Occident.

De ce Côté, l’empire était menacé sur tous les points, les Francs, les Alamans, et les Burgondes, avaient franchi le Rhin, les Quades et les Sarmates le Danube. En Bretagne, les Pictes et les Scots ne cessaient de descendre de leurs montagnes. En Afrique, un chef maure, Firmus, s’était révolté. Valentinien, aidé par d’habiles généraux, fit tête au péril. Vainqueur des Alamans à Châlons, il les défit une seconde fois près de Sallzbach, et força leur roi à solliciter la paix (368). Pendant ce temps, le comte Théodose délivrait les Bretons du pillage des Pictes. Après avoir affermi dans l’île la domination romaine, il alla comprimer en Afrique la révolte de Firmus.

Valentinien n’eut pas moins de succès sur le Danube. Malheureusement pour l’empire, il mourut dans son expédition contre les Quades. Ces peuples lui avaient envoyé une humble ambassade. Il parla aux députés avec tant d’emportement qu’un vaisseau se brisa dans sa poitrine; quelques minutes après il expirait. Ses deux fils lui succédèrent, Gratien dans les Gaules, Valentinien en Italie (375).

Les Huns (364)

Cette année même commença l’invasion des barbares, qui fut décidée par les Huns. Ces derniers étaient un peuple mongol, venu des steppes de l’Asie centrale. Voici le portrait qu’en a tracé un historien contemporain. « Les Huns sont les barbares les plus hideux qu’on puisse voir. Gros et courts, avec un col épais et petit, ils ressemblent moins à des hommes qu’à des monstres. On dirait ces poteaux grossièrement taillés qui soutiennent les rampes des garde-fous. Leur visage est sans barbe, et sillonné d’affreuses découpures. Des racines et de la viande de toute espèce, meurtrie sous la selle de leurs chevaux, voilà toute leur nourriture. Ils s’habillent de petits jupons en laine ou faits de peaux de rats cousues ensemble : ils se couvrent la tête avec un large bonnet, et les cuisses avec une peau de bouc. Ils sont toujours à cheval; ils y boivent, ils y mangent, ils y traitent toutes leurs affaires. Ils commencent la bataille avec des hurlements effroyables, arrivent comme l’éclair, se dispersent de même, et reviennent presque aussitôt à la charge. Ils se servent de lances; de plus près, ils combattent avec le sabre : l’ennemi est-il en déroute, ils lui jettent le lacet et l’entraînent à eux. »

Tel était le peuple qui vint alors fondre sur l’Europe, et dont l’invasion détermina un déplacement général des tribus barbares, depuis l’Oural jusqu’au Rhin, tout le long des frontières septentrionales de l’empire. Après avoir franchi l’Oural et subjugué les Alains, établis entre la Volga et la mer Noire, les Huns débouchèrent dans les vastes plaines de la Sarmatie et se trouvèrent en face du royaume des Goths.

Les Goths admis dans l’empire (376)

Ceux-ci, descendus peu à peu de l’Oder sur le Danube et le Pont-Euxin, étaient alors établis entre la Theiss et le Don. Ils étaient partagés en deux branches principales, les Ostrogoths (Goths de l’est) et les Visigoths (Goths de l’ouest), séparées par le fleuve Dniester, mais réunies sous une même domination par Hermanrich. Ce puissant Etat ne soutint pas le choc des Huns. Le vieil Hermanrich, malgré ses cent dix ans, fit de grands préparatifs, mais ne put réussir à entraîner les tribus vassales, et, désespéré, se perça de son épée. Son successeur fut vaincu et tué. Alors les Goths de l’est se soumirent aux vainqueurs. Quant à ceux de l’ouest, ils vinrent chercher asile sur les terres de l’empire (375).

Valens, qui régnait en Orient depuis 364, leur permit de s’établir au sud du Danube, dans les deux Moesies, en leur imposant pour conditions d’embrasser l’arianisme, de livrer leurs armes et de donner comme otages une partie de leurs enfants, qui furent répandus en Asie Mineure.

Invasion des Visigoths – Bataille d’Andrinople (378)

Les barbares promirent tout ce qu’on voulut; mais bientôt, poussés à bout par les exactions et les violences des officiers impériaux, ils se soulevèrent et se jetèrent sur la Thrace.

Valens, sans attendre les secours que Gratien lui amenait, leur livra bataille près d’Andrinople. Ce fut une défaite aussi complète et plus désastreuse que celle de Cannes. Un tiers à peine de l’armée romaine s’échappa; l’empereur lui-même, blessé grièvement, fut porté dans une cabane à laquelle les barbares mirent le feu, et il périt dans les flammes (378).

Théodose (379-395)

Les armes romaines étaient plus heureuses en Occident, où Gratien avait battu les Alamans. Ce jeune prince se sentit néanmoins trop faible pour réunir la couronne d’Orient à celle qu’il portait déjà. Il rappela d’Espagne le fils du valeureux comte Théodose, et lui donna le titre d’Auguste (379).

Théodose se mit hardiment à l’oeuvre. Il avait à refaire une armée, surtout à relever le courage des soldats : il y réussit en leur fournissant l’occasion de livrer mille petits combats où, grâce à la supériorité du nombre, de la discipline et des armes, ils eurent presque toujours l’avantage. Fatigués, affamés, épuisés, les Goths traitèrent. Théodose consentit à leur donner des terres en Thrace et en Moesie, mais avec la charge de défendre le passage du Danube.

Quarante mille d’entre eux furent admis dans les troupes impériales (382).

Meurtre de Gratien (383)

Au prix de ces dangereux sacrifices, l’Orient put jouir de quelque repos. Il n’en fut pas ainsi de l’Occident. Irritée de la préférence que Gratien témoignait pour les barbares, les légions de Bretagne se soulevèrent et proclamèrent empereur leur chef Maxime. Gratien, abandonné par l’armée des Gaules, fut mis à mort (383). Les périls de la situation forcèrent Théodose à traiter. Il reconnut l’usurpateur maître de la préfecture des Gaules. Maxime ne s’en contenta pas : il essaya d’enlever l’Italie au frère de Gratien, Valentinien II. Théodose alors prit les armes, fut vainqueur sur les bords de la Save; et Maxime, livré par ses propres soldats, subit le dernier supplice (388).

Meurtre de Valentinien II (398)

A peine remonté sur le trône, Valentinien périt de la main du Franc Arbogast, qui revêtit de la pourpre le rhéteur Eugène (392). Théodose accourut aussitôt et par une seule bataille, livrée près d’Aquilée, mit fin à cette usurpation. Eugène, fait prisonnier, fut mis à mort; Arbogast se tua lui-même (394). Cette fois, le vainqueur garda sa conquête.

Théodose doit moins à ses victoires qu’à son zèle pour la foi orthodoxe, le nom de grand que lui a décerné l’histoire. Il délivra l’Eglise de l’hérésie arienne, comme il avait délivré l’empire des barbares et des tyrans. Un grand acte l’honore. Le peuple de Thessalonique avait, dans une sédition, tué le gouverneur et plusieurs officiers impériaux. Théodose, s’abandonnant à une violente colère, donna des ordres qui coûtèrent la vie à sept mille personnes. Ce massacre excita dans tout l’empire un sentiment d’horreur. Lorsque Théodose se présenta quelque temps après aux portes de la cathédrale de Milan, Saint Ambroise eut le courage de l’arrêter : il lui reprocha son crime en présence de tout le peuple, et lui interdit l’entrée de l’église. L’empereur accepta la pénitence publique que l’évêque lui imposa, et pendant huit mois ne dépassa pas le seuil du temple.

Avant de mourir (395), Théodose partagea l’empire entre ses deux fils, Arcadius et Honorius, partage définitif auquel l’empire d’Occident ne survécut que quatre-vingt-un ans passés dans la honte et la misère.