Etablissement de la République (509-494 av. J.C.)

Etablissement de la république (509 av. J.C.)

Les patriciens avaient eu beaucoup à souffrir du dernier roi. Tarquin chassé, ils déclarèrent la royauté abolie et la remplacèrent par un gouvernement qui fut tout entier dans leurs mains. Deux d’entre eux, sous le nom de Consuls1, eurent le pouvoir, mais ne l’exercèrent qu’une année, de sorte que chaque patricien put espérer que lui-même ou un des siens arriverait à cette charge. Ce partage et la courte durée du commandement empêchaient en outre les nouveaux chefs de l’Etat de se rendre redoutables à l’ordre des patriciens. Pour intéresser le peuple à cette révolution aristocratique, on lui distribua les terres qui formaient le patrimoine du roi exilé.

1. Les consuls, premiers magistrats de la république, convoquaient et présidaient le sénat, faisaient les levées, commandaient les armées, et dans l’origine administraient les finances et la justice. Douze licteurs, portant chacun des faisceaux de baguettes du milieu desquelles sortait une hache, les précédaient pour leur ouvrir le passage au milieu de la foule ou exécuter leurs ordres, soit qu’il fallût battre de verges un coupable ou lui trancher la tête. Les consuls gouvernaient alternativement chacun pendant un mois; on désignait l’année par leur nom en disant, par exemple, tel fait s’est passé sous le consulat de Junius Brutus et de Tarquin Collatin.

Les fils de Brutus (509 av. J.C.)

Cependant les Tarquins ayant obtenu l’assistance des villes étrusques de Tarquinies et de Véies firent demander à Rome le rétablissement du roi ou du moins la restitution de ses domaines et des biens de ceux qui l’avaient suivi. Cette négociation cachait une intrigue. Car tandis que le sénat délibérait, les députés séduisaient un certain nombre de jeunes patriciens qui préféraient le service brillant d’un prince au règne des lois. Mais un esclave, nommé Vindex, découvrit le complot, et les coupables furent saisis : parmi eux se trouvèrent les deux fils de Brutus alors consul. Il étouffa dans son coeur les sentiments de la nature pour n’écouter que ses devoirs de juge et il ordonna le supplice de ses enfants.

Mort de Brutus (508 av. J.C.)

Après ce gage terrible donné à la liberté de son pays, Brutus lui sacrifia encore sa vie. Les Véiens et les Tarquiniens marchaient sur Rome, il alla à leur rencontre et apercevant à leur tête un des fils du roi, Aruns, il se précipita sur lui et tomba mortellement blessé. Mais il avait aussi percé de sa lance son adversaire. Les Etrusques vaincus s’enfuirent; le corps du consul fut ramené à Rome en grande pompe; et pour honorer le vengeur de Lucrèce, les matrones romaines portèrent durant une année le deuil de Brutus.

Valerius Publicola (509 av. J.C.)

Cette même année, la première de la république, le consul Publius Valerius proposa à l’assemblée du peuple et fit adopter une série de lois qui lui valurent le surnom de Publicola ou d’ami du peuple. On décréta la peine de mort contre quiconque aspirerait à la royauté. Les licteurs des consuls durent abaisser leurs faisceaux devant le peuple assemblé dans ses comices, et en ôter les haches dans l’intérieur de la ville. Enfin, il fut établi qu’un citoyen pourrait toujours en appeler à l’assemblée du peuple des jugements rendus par les magistrats.

Malgré tous ces services, Valerius devint un jour suspect. Il avait une maison en pierre bâtie au-dessus du Forum, sur le mont Capitole, et quelques-uns disaient qu’il voulait en faire une forteresse pour de là opprimer la liberté publique. En une nuit, Valerius la fit démolir.

Porsenna (507-506 av. J.C.)

Rome n’en avait pas fini avec Tarquin. Les Etrusques étaient maîtres alors d’une partie considérable de l’Italie. Ils virent dans la révolution qui venait de s’opérer chez les romains un moyen de se saisir de leur ville et de tout le pays latin. Porsenna, roi de Clusium, ayant pris en main la cause des bannis, ils accoururent en foule autour de ce puissant chef et Rome se vit menacée du plus grand péril qu’elle eût encore couru.

Horatius Coeles, Mucius Scaevola et Clélie (507 av. J.C.)

Les Etrusques, ayant chassé les romains du Janicule que le Tibre sépare de la ville, on vit Horatius Cocles défendre seul le pont Sublicius contre l’armée entière des Etrusques. Il donna ainsi le temps à ses compagnons de couper le pont derrière lui. Cela fait et la communication avec Rome étant interceptée, il se jeta tout entier dans le fleuve, et le traversa à la nage sous une grêle de traits. Un autre romain, Mucius Scaevola résolut, pour mettre fin à la guerre, d’aller poignarder Porsenna dans son camp. Il revêt un costume étrusque et pénètre dans la tente royale. Deux hommes richement vêtus s’y trouvaient, mais l’un était entouré de plus de monde. Mucius s’approche et le frappe. C’était le secrétaire qui distribuait la solde aux troupes. Conduit devant Porsenna, on l’interroge.

« Trois cents jeunes patriciens », répond-il, « ont fait le serment de tuer le roi étrusque et tous tenteront l’entreprise jusqu’à ce que l’un d’eux réussisse ». Porsenna admire et s’effraye. Il renonce à continuer une telle guerre et fait la paix avec ce peuple indomptable. Il veut pour otages dix jeunes garçons et dix jeunes filles. Parmi celles-ci, se trouve Clélie qui s’indigne d’être aux mains de l’ennemi de son peuple. Elle persuade ses compagnes de risquer tous les périls pour recouvrer leur liberté; elles s’échappent du camp, bravent la poursuite des Etrusques et leurs flèches, se jettent dans le Tibre et le traversent à la nage. Rome reconnaissante dressa une statue équestre à Clélie et donna à Mucius qu’on appela le Gaucher (Scaevola) autant de terres qu’il pourrait en entourer en un jour par le sillon d’une charrue. Horatius Coclès reçut aussi un vaste domaine, et dans une grande disette tous les citoyens prirent sur leur nécessaire pour subvenir à ses besoins.

Mais ces brillants récits cachent une défaite. Rome, au contraire, prise par Porsenna fut soumise par lui aux plus dures conditions. Elle ne fut tirée de la servitude qu’après que l’armée étrusque eut essuyé un grand désastre dans le Latium.

La dictature (496 av. J.C.)

A peine délivrée des Etrusques, Rome eut à combattre les Sabins. Elle en triompha; mais ces guerres continuelles, que les soldats romains étaient obligés de faire à leurs frais, épuisaient leurs ressources. Ils contractaient bientôt des dettes, et comme l’intérêt de l’argent était alors à un taux énorme, l’usure ruinait les plébéiens et la ruine les menait à l’esclavage, même à la mort; car une loi cruelle reconnaissait au créancier le droit de faire du débiteur insolvable, son esclave. S’il y avait plusieurs créanciers, ils pouvaient vendre le débiteur pour se partager le prix, ou même le tuer et couper son corps dont chacun prenait un morceau.

Les plébéiens demandèrent d’abord que le sénat soulageât leur misère en déclarant les dettes abolies, puis n’ayant rien obtenu, ils refusèrent de servir dans les légions. Pour vaincre cette résistance, le sénat créa une magistrature extraordinaire, investie de pouvoirs illimités. Ce fut la dictature.

Le dictateur, qu’on appelait aussi le Maître du peuple, marchait précédé de vingt-quatre licteurs qui dans Rome même gardaient les haches dans les faisceaux. Il avait droit de vie et de mort sur tous les citoyens. Son autorité surpassait assurément celle des anciens rois : mais on décréta qu’il ne resterait en charge que six mois.

La bataille du lac Régille (496 av. J.C.)

Abandonné par Porsenna, Tarquin avait soulevé le Latium, grâce à l’appui de son gendre Octavius Mamilius, dictateur de Tusculum. Rome se trouva de nouveau en péril. Ce fut le prétexte que prirent les patriciens pour instituer la dictature. Le peuple effrayé s’enrôla et marcha contre les Latins. L’action s’engagea près du lac Régille (496 av. J.C.).

Le récit de cette campagne a été rempli par la tradition de circonstances merveilleuses. On avait vu, disait-on, deux jeunes guerriers, d’une haute stature, montés sur des chevaux blancs, marcher à la tête des légions, et, les premiers, franchir les retranchements ennemis. Mais quand le dictateur, Aulus Postumius, voulut leur donner les colliers d’or et les riches présents promis à ceux qui entreraient les premiers dans le camp royal, ils avaient disparu. Le soir même on vit à Rome deux héros, couverts de sang et de poussière, qui lavèrent leurs armes à la fontaine de Juturne et annoncèrent au peuple la victoire. C’étaient Castor et Pollux.

Mort de Tarquin (495 av. J.C.)

La victoire fut sanglante. Des deux côtés la plupart des chefs périrent. Le dernier fils de Tarquin succomba. Le vieux roi lui même, blessé d’un coup de lance, ne survécut que pour aller achever une vieillesse misérable auprès d’Aristodème, tyran de Cume (495 av. J.C.).