Habitations, ameublements, voitures, etc.

Le Romain connaissait peu la vie domestique : citoyen avant tout, quel que fût son rang, riche ou pauvre, patricien ou plébéien, illustre ou obscur, il passait la plus grande partie de ses journées sur le Forum, sous les portiques, au champ de Mars, dans les temples, au cirque, au théâtre, toujours occupé d’affaires publiques; beaucoup plus soucieux de questions politiques que des soins domestiques et de l’éducation de ses enfants, qu’il abandonnait à des esclaves s’il avait quelque fortune, et au hasard s’il n’avait rien. Il en résulte que l’intérieur des habitations ne devait pas présenter ces distributions commodes, cet ingénieux emploi de l’espace, cette délicatesse et ce bon goût d’ameublement que notre vie moderne, beaucoup plus sédentaire, beaucoup moins extérieure, nous a tant forcés de perfectionner. Les arts mécaniques, dont le développement se règle toujours sur celui de la civilisation, avaient fait d’admirables progrès pour tout ce qui concernait la vie publique, et étaient restés dans l’enfance pour les besoins du luxe intérieur; ainsi, sans parler de l’architecture qui crée les monuments, la partie matérielle de cet art, le talent de construire était parvenu à un degré merveilleux, et avait enfanté des chefs-d’oeuvres dont l’aspect aujourd’hui nous étonne et nous désespère: il faut des tremblements de terre pour renverser ce que Rome a bâti; mais ce que nous savons de l’intérieur des maisons romaines, ce que nous possédons de leur ameublement, nous prouve que ce peuple s’était peu occupé des jouissances domestiques. Dans le temps même du luxe le plus somptueux, lorsque le vrai caractère romain eut fait place aux voluptés asiatiques, la magnificence des plus riches particuliers ne consista qu’en pompeuses extravagances.

Rome, par la raison que nous avons dite ailleurs, était bâtie fort irrégulièrement; en outre, l’espace manquait au luxe; et si l’on considère que chaque famille un peu aisée occupait une maison entière, on comprendra que les habitations devaient avoir peu d’étendue. Elles avaient, en général, peu d’étages supérieurs : ce n’était que dans trois ou quatre quartiers, comme les Vélabres, les Carènes, les Esquilies, et dans les rues écartées du Quirinal, que les maisons s’élevaient plus haut, pour procurer sous les toits de petits logements au peuple. Nous n’avons pas de détails sur ces logements; mais ils devaient être bien étroits, bien mesquins; car cette partie de la population qu’il fallait amuser et nourrir, oisive par goût et par orgueil, vivait dehors, et ne rentrait au gîte que pour manger et dormir. Quant aux artisans, il leur fallait, comme partout, peu de place pour tout ce qui ne concernait pas l’exercice de leur métier.

Voici, au reste, la distribution d’une maison en général:

Peu d’apparence au dehors, une façade sur la rue, un toit en terrasse, mais pas de portique, ou fort rarement, et peu de fenêtres de ce côté; une porte à deux battans (fores), ouvrant en dedans : les descendans de Valérius Poplicola avaient seuls le privilége de les ouvrir en dehors; à cette porte était, comme chez nous, attachée une sonnette (tintinnabulum) qui sonnait pour avertir quand on voulait entrer; les serrures des portes s’adaptaient à volonté, à peu près comme nos cadenas, et restaient mobiles. En entrant, on trouvait, comme chez nous, le portier (janitor) dans sa loge, une baguette à la main, et enchaîné, pour la forme bien entendu, par le milieu du corps. Du vestibule, sous lequel il se tenait, on passait dans la pièce de réception, nommée atrium: cette pièce répondait assez à nos salons; elle servait cependant aussi d’antichambre, de salle d’attente pour ceux qui n’étaient pas admis dans l’intérieur des appartements; aussi, à cause de ces différents usages, était-elle divisée en plusieurs compartiments formés par des rideaux ou draperies. Là se tenaient les esclaves de luxe; là les clients venaient attendre le lever du patron; et, dans la partie la plus reculée, derrière le dernier rideau, celui-ci recevait les personnes qu’il honorait le plus. Autour de l’atrium régnait un long divan; et une espèce de lit plus élevé, semblable à nos canapés, était au fond, réservé pour le maître et ceux qu’il admettait à sa familiarité. C’était aussi dans l’atrium que l’on conservait les images des ancêtres quand on avait le droit d’images. Ces nobles figures de cire étaient ordinairement enfermées dans des étuis d’où elles sortaient aux jours solennels.

L’atrium avait la forme d’un carré-long : il est inutile de dire que c’est la pièce qu’on décorait le plus, quand on en avait les moyens, et que c’est là qu’on étalait les riches tapis, les pavés de mosaïque, les tentures de soie, les statues, les tableaux, les vases précieux, les bas-reliefs, les trophées, les récompenses militaires qu’on pouvait avoir reçues; là, sur une espèce d’autel, reposait la chaise d’ivoire, si le maître de la maison avait exercé quelque magistrature curule.

Bien que les Romains connussent le verre, ils n’avaient pas imaginé de faire des vitres; les fenêtres des riches étaient fermées avec de la toile ou pas du tout : c’était une raison pour qu’il y eût peu d’ouvertures aux maisons. Ce ne fut que du temps de Néron qu’on imagina de clore les fenêtres avec une sorte de pierre transparente, coupée en lames fort minces.

Quelquefois, à l’atrium se joignait l’aula, espèce de salon d’été, en plein air, avec une galerie autour. Sous cette galerie s’arrondissaient en demi-cercle de petits cabinets à six places, garnis de bancs de pierre ou de marbre, et qu’on appelait exhèdres (exhedro ou exhedria).

Au centre de la maison se trouvait aussi une petite cour à bassin, nommé impluvium, pour recevoir les eaux.

A l’atrium ou à l’aula, tenait la salle à manger, triclinium, que les riches décoraient avec tout le luxe imaginable. Son principal ornement était la table, ordinairement ronde ou oblongue, soutenue sur un seul pied, et en bois d’érable ou de citronnier; autour d’elle régnait un triple lit sur lequel les convives se couchaient pour manger : de là le nom de triclinium. Ce lit était couvert d’un tapis d’étoffe grossière (toral), sur lequel, aux jours de réception, on étendait de brillantes draperies (stragula); des coussins (pulvinaria, cubitalia) bordaient le lit du côté de la table, de manière que le convive, appuyant son coude gauche, et les jambes éloignées de la table, pût prendre les mets de la main droite. La salle à manger était aussi garnie de buffets et de consoles pour la commodité du service.

Il y avait à cette salle trois appendices nécessaires: la cuisine, mais elle était en général souterraine; la salle de bains (balineum), condition presque indispensable de toute maison bien ordonnée; et le lararium ou foyer, séjour des pénates, sanctuaire de l’hospitalité.

Les Romains connurent assez tard les cheminées; ils en avaient cependant du temps de Caton; on ne tarda même pas à construire des calorifères, c’est-à-dire que, par le moyen de conduits en briques, on faisait chauffer, avec le feu d’en bas, les étages supérieurs, car jamais on ne mit de cheminées dans les chambres à coucher.

Ces différentes pièces occupaient un côté de la maison; l’autre était consacré aux appartements qui fermaient à clef (concfavia); là se trouvait le cubiculum, chambre à coucher; là le gynecoeum, mot qu’on avait emprunté aux Grecs pour désigner l’appartement des femmes. Aucun étranger n’était admis dans cette partie des batiments, qui avait d’ailleurs sa porte dérobée pour communiquer au dehors (posticum).

Les esclaves logeaient sous les toits, en chambrée. Quelquefois la maison était surmontée d’un belvédere nommé (solarium), où l’on allait respirer le soir et chercher la vue et le soleil.

Quant aux jardins, ils étaient fort rares dans la ville, et l’on n’en voyait guère que dans les faubourgs: là seulement on pouvait appliquer ce vers d’Horace:

Nempê inter varias nutritur silra columnas

D’ailleurs, le goût des jardins s’introduisit fort tard chez ce peuple remuant; le repos et la promenade n’ont de charmes que pour l’homme qui réfléchit. Aux Romains, il fallait du mouvement et des exercices violents: leur seul repos était la culture des terres, qu’ils entendaient même assez mal. Ce fut lorsque le sol de l’Italie ne se divisa plus qu’en grandes propriétés, lorsque les riches, fatigués de donner en fermage leurs terres à des citoyens que le service militaire leur enlevait à chaque instant, eurent confié la culture à des esclaves, ce fut alors que, pour surveiller ces armées de travailleurs peu intéressés à leur oeuvre, on songea à se construire des villas, à s’y ménager un séjour agréable pour la belle saison, et l’art du jardin prit naissance. Mais ces jardins furent peu remarquables; dans les beaux sites de Tibur et de Tusculum, la nature seule en faisait les frais; ailleurs c’étaient des allées bien alignées, bordées de buis, et terminées par des berceaux où l’on allait chercher un peu d’ombre. Le vrai luxe des jardins ne commença qu’après les guerres civiles; mais alors la République était finie, et nous ne parlons pas des moeurs de l’empire.

Les villas, ou maisons de campagne, étaient plutôt construites dans un but de magnificence que dans des vues d’agrément; on y transportait à grands frais tout le luxe de la ville, et on cherchait, par l’étendue des bâtiments, à les faire ressembler à des villages entiers.

Les Romains paraissent avoir peu soigné aussi les moyens de transport. Le cheval fut longtemps leur unique véhicule pour se rendre soit à la guerre, soit dans leurs champs; pour le voyage on se servait de mulets. Le plaustrum n’était qu’une charrette à roues basses pour les travaux de la campagne. Plus tard, il fallut bien songer aux dames, qui ne voyagèrent jamais, comme nos châtelaines du moyen âge, sur des haquenées: on inventa des voitures suspendues, les unes découvertes (carpentum), les autres couvertes (pilentum).

Pilenlis matres in mollibus…

Virgile

On eut aussi, pour transporter le bagage et les esclaves, une sorte de grand fourgon (petorritum); quant aux esseda, aux carrus, c’étaient des charriots militaires pour les convois. On emprunta aussi aux Gaulois une espèce de cabriolet ou cariole à deux places (rheda), commode, à ce qu’il paraît, et assez douce, puisque Cicéron pouvait y écrire. Toutefois, il semble qu’en somme tous ces équipages fussent peu agréables, car le plus grand luxe consista toujours à se faire porter en litière par des esclaves. Là, on était à couvert, bien abrité du soleil et de la pluie, assis sur des coussins, et si l’on n’allait pas vite, au moins pouvait-on lire, rêver, dormir, et l’on était à l’abri des accidents.

Au reste, tout cela était proscrit dans la ville: les Dieux seuls et les vestales s’y promenaient en voiture, et les consuls en litière.