La conquête de l’Italie (343-265 av. J.C.)

Force que Rome trouve dans la paix intérieure (343 av. J.C.)

Les plébéiens venaient de conquérir l’égalité politique avec les patriciens. Qu’en résulta-t-il? Au dedans l’union, au dehors la force. C’est alors en effet, et alors seulement, que Rome n’étant plus distraite par les dissensions intestines, put tenter et accomplir la conquête de l’Italie. La guerre qui devait lui soumettre la Péninsule commence aussitôt que les troubles intérieurs sont finis, en 343 av. J.C.

Les Samnites (343 av. J.C.)

Habitant au milieu de l’Apennin un pays montagneux et rude, les Samnites se trouvaient naturellement endurcis aux fatigues de la guerre. Ils faisaient dans la campagne ce que les Eques avaient fait si longtemps dans le Latium, des courses continuelles qui désolaient les riches plaines étendues entre le pied des monts et la mer. Vers le milieu du IVe siècle avant notre ère, ils s’établirent sur le mont Tifata, d’où ils menaçaient Capoue. C’était la plus grande et la plus riche des villes de la Campanie, et la Campanie était le plus fertile terroir de l’Italie tout entière.

Première guerre Samnite : la prise de Capoue (343-342 av. J.C.)

Les Campaniens, battus, implorèrent le secours de Rome contre les Samnites. Mais le sénat repoussa leur demande. « Refuserez-vous », dirent les députés, « ce qui vous appartient? Capoue se donne à vous. » Le sénat accepta, et alors commença cette terrible lutte qui devait durer soixante-dix ans, mais qui donna à Rome l’Italie. Vainqueurs près du mont Gaurus et à Suessula, les Romains obligèrent les Samnites à leur céder la paisible possession de la Campanie. Ce succès retentit au loin. Carthage, déjà si puissante en Afrique, félicita le sénat de sa victoire, et renouvela l’alliance jurée entre les deux républiques quelque temps après l’expulsion des rois.

Guerre contre les Latins (340-338 av. J.C.)

Mais presque aussitôt éclata une guerre qui mit Rome à deux doigts de sa perte. Les Latins formaient la moitié de toutes les armées romaines et n’avaient aucune part au gouvernement de la république. Imitant l’exemple qu’avaient donné les plébéiens sur le Forum, ils vinrent réclamer l’égalité politique et demander qu’un des deux consuls et que la moitié des sénateurs fussent pris parmi eux. Le consul Manlius Imperiosus Torquatus, indigné, déclara qu’il poignarderait de sa main le premier Latin qui oserait venir siéger au sénat.

Manlius Imperiosus Torquatus (340 av. J.C.)

Après une telle réponse, les armes seules pouvaient décider. C’était pour Rome une guerre civile plutôt qu’une guerre étrangère. Mêmes armes, même langue, même tactique. Aussi, du côté des Romains, les précautions furent extrêmes et la discipline observée avec la dernière rigueur. Le fils du consul Manlius Imperiosus Torquatus, provoqué en combat singulier par un Latin, le tua. Manlius lui décerna d’abord les récompenses dues à sa valeur; mais il avait combattu sans ordre, il le fit décapiter.

Dévouement de Publius Décius Mus (340 av. J.C.)

Les Italiens croyaient que le sang d’une victime volontaire apaisait sûrement les dieux et donnait la victoire. A la bataille de Véséris, livrée près du mont Vésuve, le consul Publius Décius Mus voit ses soldats faiblir. Aussitôt il appelle les prêtres, leur ordonne de dévouer l’armée ennemie aux dieux infernaux; puis il se précipite seul, la tête couverte d’un voile, au plus épais des légions latines. Les Latins, à cette vue, s’épouvantent : les Romains, au contraire, se croient sûrs de vaincre et reprennent courage. La victoire est totale.

La soumission des Latins (338 av. J.C.)

Cette guerre contre les Latins se termina en 338 av. J.C. Afin de prévenir de nouvelles ligues, le sénat défendit aux habitants de toutes les villes latines de se réunir en assemblées générales, de former des alliances, de faire la guerre et de contracter mariage hors de leur territoire.

Seconde guerre contre les Samnites (329-305 av. J.C.)

Le Latium était soumis et la Campanie obéissait aux Romains. Les Samnites, effrayés de cette puissance, excitèrent en 327 av. J.C. un soulèvement dans une ville campanienne, Palépolis.

Le Proconsulat (327 av. J.C.)

La guerre languit d’abord et les opérations militaires se concentrèrent autour de cette ville (Palépolis), que les Romains assiégèrent. Pour en continuer le siège, le consul Publilius Philo fut prorogé dans son commandement sous le titre nouveau de proconsul. C’était une innovation importante qui permettait aux consuls romains de conserver, après l’expiration de leurs fonctions annuelles, le commandement de leur armée, et d’exécuter eux-mêmes les plans qu’ils avaient conçus. Palépolis prise, une guerre longue et terrible commença.

Papirius Cursor et Fabius (324 av. J.C.)

En 324 av. J.C., Papirius Cursor était dictateur : son maître de la cavalerie, Quintus Maximus Rullianus Fabius, combattit sans son ordre et vainquit. Il aurait eu le sort du jeune Manlius, mis à mort par son père pour avoir enfreint la discipline, s’il ne s’était enfui à Rome, où le sénat et les tribuns intercédèrent pour lui. Papirius résistait au nom de la discipline violée; mais le peuple ayant demandé grâce, le dictateur céda aux prières. De retour au camp, Papirius battit les Samnites et leur accorda une trêve d’un an.

Les Fourches-Caudines (321 av. J.C.)

La trêve n’était pas expirée que déjà les Samnites, commandés par Pontius Herennius, surent attirer les Romains dans un défilé qu’on nommait les Fourches-Caudines, les enveloppèrent de toutes parts, et firent passer quatre légions sous le joug. Il aurait mieux valu les anéantir ou les renvoyer honorablement que de leur infliger cette humiliation; elle ne servait qu’à mettre dans leurs coeurs le désir de la vengeance. Le sénat ne voulut pas ratifier un traité que les consuls n’avaient pas eu le droit de signer au nom de Rome, et les livra aux Samnites, mais en gardant les soldats. C’était une perfidie. « Rompez le traité », disait Pontius; « mais alors renvoyez vos légions aux Fourches-Caudines! »

Conquête de l’Apulie (320 av. J.C.)

Le sénat n’eut garde de le faire, et ces mêmes légions, mieux conduites par Publilius Philo, battirent les Samnites, pénétrèrent de l’autre côté de l’Apennin dans l’Apulie, et retrouvèrent dans Lucérie les 600 otages, les armes et les enseignes perdues à Caudium. Pontius Herennius fut pris lui-même et passa sous le joug avec 7000 des siens (320 av. J.C.).

Fabius nomme dictateur son ennemi Papirius Cursor (309 av. J.C.)

Onze ans plus tard, les Romains faillirent trouver dans le Samnium de nouvelles Fourches-Caudines, et ne se tirèrent de ce mauvais pas qu’après un sanglant combat. Il fallait pour réparer cet échec un dictateur qui, réunissant tous les pouvoirs, réunit aussi toutes les forces. Le sénat désirait Papirius Cursor. Mais c’était au consul qu’appartenait le droit de choisir, et le consul était Fabius. On pouvait craindre que le souvenir d’une ancienne injure ne l’emportât chez lui sur le sentiment du bien public. On chargea donc des consulaires de lui porter le décret du sénat. Il les écouta en silence, les yeux à terre, et se retira sans rien dire, laissant tout le monde dans l’incertitude. Tout un jour il hésita, mais le patriotisme l’emportant, au milieu de la nuit il nomma Papirius. Et comme les députés le félicitaient à l’envie d’avoir pu se vaincre lui-même, il ne leur répondit rien, montrant par ce silence expressif qu’il avait pu sacrifier à la patrie ses ressentiments, mais non les oublier.

La soumission des Samnites (305 av. J.C.)

Celle noble résolution fut d’ailleurs récompensée par la victoire : Papirius accabla les Samnites, tandis que les Ombriens et les Etrusques, qui avaient pris parti pour eux, étaient vaincus près de Pérouse par Fabius. En 305 av. J.C., les Samnites demandèrent la paix, en reconnaissant, comme on disait alors, la majesté du peuple romain, ce qui voulait dire que les Samnites acceptaient la suprématie de Rome.

La soumission des Herniques et des Eques (304 av. J.C.)

Ces victoires furent suivies de la défaite et de la soumission, cette fois définitive, des Herniques et des Eques. Ces peuples, plus dangereux par leur voisinage que par leurs forces, furent pour jamais attachés à la fortune de Rome. On leur donna le titre et les droits de citoyens romains (300 av. J.C.).

La puissance de Rome en l’an 300 av. J.C.

Les peuples du Latium étaient soumis; Rome n’avait donc plus d’ennemis à ses portes. Les montagnards du Samnium avaient demandé la paix et de nombreuses garnisons romaines établies des deux côtés de l’Apennin, dans la Campanie et en Apulie, tenaient ces belliqueuses peuplades enfermées dans leurs montagnes. Tout ce que peuvent suggérer des mesures de prudence l’habileté militaire et l’adresse politique, le sénat l’avait fait; et, chose rare dans l’antiquité, il avait cherché à assurer par la clémence l’oeuvre de la force. Il croyait donc la tâche de la conquête sinon finie du moins bien avancée, quand tout fut remis en question et jusqu’à l’existence même de Rome.

Coalisation des peuples Italiens contre Rome (300-295 av. J.C.)

Un immense péril lui fut en effet tout à coup révélé. Les chefs samnites avaient préparé dans le secret un soulèvement général et la moitié de l’Italie s’armait pour eux: Etrusques, Ombriens, Sabins, surtout les terribles Gaulois. A Rome, quand ces nouvelles y parvinrent, les tribunaux furent aussitôt fermés : on enrôla tous les hommes valides et l’on porta Fabius et Décius au consulat.

Bataille de Sentinum (295 av. J.C.); dévouement du second Décius

Près de cent mille soldats furent mis sur pied. Mais les Gaulois détruisent toute une légion près de Camérinum et s’ouvrent le passage de l’Apennin. S’ils parviennent à opérer leur jonction avec les Ombriens et les Etrusques, c’en est fait sans doute de l’armée consulaire. Heureusement Fabius, par une diversion, rappelle les Etrusques à la défense de leurs foyers et court chercher l’armée des Gaulois et des Samnites. Il la rencontre dans les plaines de Sentinum. Le choc fut terrible : déjà sept mille hommes de l’aile gauche, commandée par Décius, avaient péri, quand le consul, à l’exemple de son père, se dévoua. « Que devant moi », s’écria-t-il, « après avoir prononcé la formule sacrée, se précipitent la terreur et la fuite, le sang et la mort, qu’un souffle de destruction anéantisse les armes ennemies. » Et il se lança au plus épais de la mêlée. Mais les Gaulois étaient inaccessibles aux terreurs religieuses qui avaient épouvanté les Latins, et l’aile gauche allait être écrasée tout entière, si Fabius, vainqueur des Samnites, à l’aile droite, n’était pas accouru. Entourés, les Gaulois reculèrent, sans désordre pourtant, et regagnèrent leur pays.

Victoire d’Aquilonie (293 av. J.C.)

La Coalition était dissoute, mais la guerre n’était pas terminée: elle se trouva seulement renfermée dans le Samnium. Ovius Paccius réunit 40000 guerriers samnites, et choisit parmi eux 16000 hommes qui jurèrent par les serments les plus terribles de vaincre ou de mourir. Ils tinrent parole : 30000 Samnites restèrent sur le champ de bataille d’Aquilonie (Aquilonia).

Soumission définitive des Samnites (290 av. J.C.)

Enfin, en l’année 290 av. J.C., Curius Dentatus imposa aux Samnites un traité de paix qui les rangeait parmi les alliés de Rome. « J’ai conquis », disait-il, « tant de pays, que ces régions ne seraient plus qu’une immense solitude, si j’avais pour les peupler moins de prisonniers. J’ai soumis tant d’hommes, que nous ne saurions les nourrir, si j’avais conquis moins de terres. » Il obtint deux fois dans la même année les honneurs du triomphe, distinction sans exemple qui annonce l’importance des services rendus par ce grand homme. La guerre samnite était terminée.

Ecrasement des Sénons (283 av. J.C.)

Quelques années plus tard, les Etrusques acceptèrent la paix. Quant aux Gaulois Sénons ils furent anéantis. Les Romains se vantèrent d’avoir repris la rançon du Capitole et de n’avoir pas laissé vivant un seul de ceux qui pouvaient se glorifier de compter parmi leurs ancêtres les vainqueurs de l’Allia.

La guerre de Pyrrhus (280-272 av. J.C.)

Tarente, malgré sa mollesse, se croyait l’égale de Rome et osa la provoquer. Mais quand elle vit cette guerre qu’elle avait appelée s’approcher de ses murs, elle s’effraya et se hâta d’implorer le secours de Pyrrhus roi d’Epire. Arrivé à Tarente avec 25000 hommes, Pyrrhus fait fermer les bains, les théâtres, tous les lieux de plaisir; il force les Tarentins à s’armer et les exerce comme ses mercenaires. Ils avaient cru que le roi se battrait pour eux: beaucoup s’enfuirent.

Bataille d’Héraclée (280 av. J.C.)

Cependant le consul Laevinus était arrivé près de Tarente. Pyrrhus offrit de négocier : les Romains repoussèrent toute proposition. Ils ne voulaient déjà plus admettre qu’un roi étranger intervînt dans les affaires de l’Italie. Il fallut, combattre. Les deux armées en vinrent aux mains près d’Héraclée. Les éléphants, dont les Grecs se servaient à la guerre depuis les conquêtes d’Alexandre, jetèrent le désordre dans les rangs des Romains qui ne connaissaient pas encore ces animaux. 15000 légionnaires restèrent sur le champ de bataille. Mais Pyrrhus avait perdu 13000 soldats. « Encore une pareille victoire », disait-il, « et il me faudra retourner seul en Epire ».

Cinéas à Rome (280 av. J.C.)

Aussi chargea-t-il Cinéas, dont l’éloquence lui avait gagné plus de villes que la force des armes, d’aller à Rome offrir une paix honorable. Cet homme habile emporta des présents pour les sénateurs et pour leurs femmes. Mais il ne trouva personne qui se laissât gagner. Cependant le sénat inclinait à la paix, lorsque le vieil Appius s’écria : « Que Pyrrhus sorte d’abord de l’Italie et nous pourrons après écouter ses ambassadeurs ». Cinéas reçut l’ordre de quitter Rome le jour même. « Le sénat », disait-il au retour, « m’a paru une assemblée de rois. Quant aux Romains, leur nombre est infini comme leur courage ».

Bataille d’Asculum ou Asculum (279 av. J.C.)

Puisque Rome ne voulait pas traiter, il fallait bien continuer la guerre. Pyrrhus tenta un coup de main hardi; il marcha rapidement sur Rome : il croyait la surprendre; il faillit lui-même être enveloppé et recula jusqu’en Apulie où il assiégea Asculum : les Romains l’y suivirent, et pour sauver la place livrèrent bataille. Le consul Décius imita l’exemple de son père et de son aïeul; il se dévoua. Les Romains n’en furent pas moins battus, mais comme ils pouvaient l’être, c’est-à-dire en faisant acheter chèrement la victoire.

Pyrrhus en Sicile (278 av. J.C.)

Pyrrhus, dégoûté d’une guerre si difficile, chercha un prétexte honorable pour en sortir. Fabricius l’ayant averti que son médecin Philippe voulait l’empoisonner, il renvoya sans rançon tous ses prisonniers romains. Puis, laissant une garnison à Tarente et à Locres, il passa en Sicile où les Grecs l’appelaient contre les Carthaginois. Là aussi, après quelques succès, vinrent la mésintelligence avec les alliés et l’ennui d’une guerre qui ne finissait pas. Le roi, qui ne persistait jamais longtemps dans les mêmes desseins, repassa en Italie; le consul Curius Dentatus l’y attendait.

Bataille de Bénévent (275 av. J.C.)

Les légionnaires avaient eu le temps de se familiariser avec les éléphants; ils savaient les éloigner soit à coups de traits, soit par des brandons enflammés. Pyrrhus fut battu près de Bénévent. Il quitta alors l’Italie, et Tarente capitula (272 av. J.C.). Quelques mouvements sans importance parmi les populations italiennes furent aisément réprimés par les légions (265 av. J.C.), et la péninsule se trouva soumise et pacifiée depuis la Macra jusqu’au détroit de Messine.

Le nom de Rome se répandait déjà au loin. Un des successeurs d’Alexandre, le roi d’Egypte, Ptolémée Philadelphe, sollicita l’alliance de la république (273 av. J.C.).