La religion en Egypte (3150-525 av. J.C.)

Religion : fétichisme ou culte des animaux

L’Egypte était renommée dans l’antiquité comme la mère de la superstition. Nul peuple en effet ne dégrada autant l’idée de la divinité. Non seulement les Egyptiens avaient beaucoup de dieux, mais encore ils allaient les prendre bien bas, jusque parmi les animaux. L’ichneumon1, l’ibis2, l’épervier, le crocodile3, le chat, le boeuf étaient regardés comme des êtres divins, « de sorte », dit Bossuet, « qu’en Egypte tout était dieu, excepté Dieu lui-même. »

En outre, les dieux d’une ville n’étaient pas ceux d’une autre; de là des divisions et des querelles. Ainsi le crocodile était sacré pour les uns, les autres lui faisaient la guerre. A Thèbes et aux environs du lac Moeris, on choisissait un crocodile qu’on instruisait à se laisser toucher avec la main. On lui mettait des pendants d’oreilles d’or, et on lui attachait aux pieds de devant de petites chaînes ou bracelets. On le nourrissait avec la chair des victimes, et on lui donnait d’autres aliments prescrits par le rituel. Tant qu’il vivait, on en prenait le plus grand soin. Quand il mourait, on l’embaumait et on le mettait dans une caisse sacrée.

Les gens d’Eléphantine et des environs », dit Hérodote, « ne regardent point les crocodiles comme sacrés, et même ne se font aucun scrupule d’en manger. Pour les prendre, ils attachent un morceau de porc à un hameçon qu’ils laissent aller au milieu du fleuve tandis qu’eux, restant sur le bord, prennent un cochon de lait qu’ils battent pour le faire crier. Le crocodile s’approche du côté où il entend ces cris, rencontre sur son chemin le morceau de porc, et l’avale. Le pêcheur le tire à lui, et la première chose qu’il fait, après l’avoir mis à terre, c’est de lui couvrir les yeux de boue. Par ce moyen, il le tue facilement; autrement, il aurait beaucoup de peine.


Les hippopotames4 qu’on trouve dans le nome Paprémite sont sacrés; mais dans le reste de l’Egypte, on n’a pas pour eux de tels égards ». Près de Thèbes, les serpents jouissaient des honneurs divins. Ailleurs c’étaient les chats, vénérés sans doute pour les services qu’ils rendaient. Ils étaient après leur mort embaumés et solennellement enterrés à Bubaste; les éperviers, à Buto; les ibis, à Hermopolis.

« Si vous entrez dans un temple », dit saint Clément d’Alexandrie, « un prêtre s’avance d’un air grave, en chantant un hymne sacré; il soulève un peu le voile, comme pour vous montrer le dieu. Que voyez-vous? Un chat, un crocodile, un serpent ou quelque autre animal dangereux. Le dieu des Egyptiens paraît… c’est une bête sauvage se vautrant sur un tapis de pourpre. »

La loi faisait un devoir de nourrir un certain nombre de ces animaux, et des fonctionnaires publics étaient attachés à leur service. Si on en tuait quelqu’un de dessein prémédité, on était puni de mort; si la mort était le résultat d’un accident, on en était quitte pour l’amende qu’il plaisait aux prêtres de fixer. Mais pour un ibis ou un épervier, il n’y avait jamais de composition, le meurtrier ne pouvait éviter le dernier supplice. Sous les Ptolémées, un soldat romain tua par hasard un chat sacré; il fut mis en pièces par la population, malgré les prières du roi et le nom redouté de Rome.

1. Ichneumon, sorte de rat d’eau, long du museau à la queue de 50 centimètres, qui vit au bord des rivières et s’apprivoise aisément. On l’emploie à détruire les rats et les souris qui sont une des plaies de l’Egypte. Les anciens croyaient à tort qu’il était très friand des oeufs de crocodile.

2. Ibis, oiseau de l’ordre des échassiers, qui ressemble à la cigogne, mais est plus petit, n’ayant que la grosseur d’une poule. Il se nourrit de lézards, de serpents et de grenouilles. Il est migrateur. Son retour en Egypte concordait avec le débordement du Nil. Il était donc comme le messager de la norme nouvelle, et, à cause de cette coincidence, très vénéré.

3. Le crocodile rappelle le lézard par ses formes, mais atteint jusqu’à 10 mètres de longueur. Sa vie doit être très longue, car son accroissement est très lent. On n’en trouve plus que bien rarement au-dessous des cataractes.

4. Hippopotame, énorme quadrupède de 4 mètres de long sur 1 mètre 60 centimètres de haut, et pesant parfois 3000 kilogrammes. Il se nourrit de végétaux et de poissons, et vit dans les rivières de la zone intertropicale. Il est d’un naturel doux, mais sa colère est dangereuse, car il est presque invulnérable.

Le boeuf Apis

De tous ces dieux pris parmi les animaux, le plus fameux était le boeuf Apis. L’Egypte n’était pas assez heureuse pour en posséder toujours un, car Apis n’était pas un boeuf tout comme un autre. D’abord il fallait qu’il fût né d’un éclair qui, descendu du ciel, avait frappé une génisse. Comme on ne pouvait pas s’assurer facilement que cette condition avait été remplie, force était de s’en rapporter sur ce point aux prêtres. On interrogeait alors les autres signes auxquels se reconnaissait le boeuf divin. Il était nécessaire que son poil fût noir : il y a des boeufs de cette robe; qu’il portât sur le front une marque blanche triangulaire : cela encore, est fréquent. Mais voici qui était plus difficile; il devait avoir sur le dos la figure d’un aigle, sous la langue celle d’un scarabée, et les poils de la queue doubles.

Dès que les prêtres annonçaient que le boeuf miraculeux avait été découvert, l’Egypte entière était en liesse. On le menait au palais que Psammétichus lui avait fait construire, et depuis ce jour les prêtres le servaient avec toute la magnificence que comportait un tel hôte. Il ne lui était cependant pas permis de s’obstiner à vivre trop longtemps. S’il arrivait à sa vingt-cinquième année, ses adorateurs le noyaient dans le Nil avec la plus grande solennité, puis l’embaumaient, le pleuraient et lui cherchaient au milieu du deuil universel, un successeur. Cette attente était pleine d’anxiété et un temps de péril pour le gouvernement. Sous l’empereur Adrien (Hadrien), une révolte fut sur le point d’éclater dans Alexandrie parce que Apis tardait à se manifester.

Dieux à tête d’épervier, etc.

Apis, pour la foule, était le dieu même; pour les prêtres, il était le symbole d’Osiris. Les autres animaux sacrés étaient aussi la représentation vivante de certains dieux. De là, dans le culte et dans la représentation des divinités le rapprochement du dieu et de son symbole; on voyait partout des dieux à tête de chat, d’épervier ou d’hippopotame, des sphinx à tête de femme et corps de bon, etc.

Doctrines plus élevées des prêtres

La caste sacerdotale avait cependant des doctrines plus hautes que celles du peuple, et elle cherchait à se rendre compte des grandes questions que l’homme se pose toujours sur le monde et sur lui-même. Ainsi elle était arrivée déjà à l’idée de l’unité divine. A Thèbes, on adorait un dieu « qui n’avait pas eu de commencement et qui ne devait pas avoir de fin », et la statue d’Isis portait celte inscription : « Je suis tout ce qui fut, est et sera. Aucun mortel n’a jamais soulevé le voile qui me couvre, » c’est-à-dire, personne n’a pénétré encore l’essence de la divinité.

Immortalité de l’âme; peines et récompenses après la mort

Les prêtres enseignaient aussi l’immortalité de l’âme et avaient popularisé la croyance à des récompenses et à des châtiments futurs. Le soin pris par les Egyptiens pour la conservation des cadavres qu’on a retrouvés en grand nombre dans leurs tombeaux et qui existent sous le nom de momies dans nos musées, prouve qu’ils comptaient sur une vie à venir. « Les Égyptiens », dit Hérodote, « sont les premiers qui aient annoncé que l’âme de l’homme est immortelle; que quand le corps vient à périr, elle entre toujours dans celui de quelque animal, et qu’après avoir passé successivement dans toutes les espèces d’animaux terrestres, aquatiques et volatiles, elle rentre dans un corps d’homme. Ces diverses transmigrations des âmes se font dans l’espace de trois mille ans. » C’est la doctrine que partageaient l’Inde et une partie de l’antiquité; en Grèce même, Pythagore l’enseigna; on l’appelle la métempsycose.

Embaumement des corps

On voit encore aujourd’hui sur les monuments dont l’Egypte est couverte ou sur les manuscrits qui ont été trouvés avec les momies, la représentation des scènes diverses de ce grand voyage. « Quand il meurt un homme de considération », dit Hérodote, « toutes les femmes de sa maison se couvrent de boue la tête et même le visage; elles se frappent la poitrine et parcourent la ville accompagnées de leurs parentes. Les hommes font de même de leur côté. Après cette cérémonie, on porte le corps aux embaumeurs. Il y a en Egypte certaines personnes que la loi a chargées des embaumements. Quand on leur apporte un corps, ils montrent aux porteurs des modèles de morts en bois peints et de prix différents. Quand on est convenu du modèle et du prix, les parents se retirent, et les embaumeurs se mettent à l’oeuvre. Voici comment ils procèdent à l’embaumement le plus précieux :

D’abord ils tirent la cervelle par les narines, en partie par un fer recourbé, en partie au moyen de drogues qu’ils introduisent dans la tête. Ils font ensuite une incision dans le ventre avec une pierre d’Ethiopie tranchante; ils tirent par cette ouverture les intestins, les nettoient et les lavent avec du vin de palmier; les passent encore dans des aromates broyés; ensuite, remplissent le ventre de myrrhe pure broyée, de cannelle et d’autres parfums, l’encens excepté; puis le recousent. Cela fait, ils salent le corps en le couvrant de natron (le natron est du sesquicarbonate de sonde naturel) pendant 70 jours. Il n’est pas permis de le laisser séjourner plus longtemps dans le sel. Ces 70 jours écoulés, ils lavent le corps et l’enveloppent entièrement de bandes de toile de coton, enduite d’une certaine colle.

Les parents retirent le corps, le placent dans un étui en bois, qu’ils mettent ensuite en une salle destinée à cet usage, dressé tout droit contre la muraille. On peut voir dans nos musées grand nombre de ces momies, ou du moins des boites qui les contenaient ».

Le jugement des morts

Après l’embaumement avait lieu le jugement public. Diodore de Sicile, qui visita l’Egypte, comme Hérodote, raconte ainsi cette cérémonie qui pouvait être d’un grand effet moral. « Lorsque le corps est prêt à être enseveli, les parents en préviennent les juges, les proches et les amis du défunt; ils leur indiquent le jour des funérailles par cette formule : Un tel doit passer le lac de la province où il est mort. » Aussi tôt les juges, au nombre de plus de quarante, arrivent et s’asseyent dans un hémicycle placé au-delà du lac. Avant de mettre sur la barque qui doit transporter la caisse qui contient le mort, chacun a le droit de porter contre lui des accusations. Si l’un des accusateurs parvient à prouver que le défunt a mené une mauvaise vie, les juges rendent un arrêt qui le prive de la sépulture légale. Si l’accusation est injuste, celui qui la porte est condamné à de fortes amendes. Si aucun accusateur ne se présente, ou que l’accusation paraisse calomnieuse, les parents quittent le deuil, font l’éloge du mort, invoquent les dieux infernaux et les supplient de l’admettre dans la demeure réservée aux hommes pieux. La foule y joint ses acclamations accompagnées de voeux pour que le défunt jouisse aux enfers de la vie éternelle, dans la société des bons. Le jugement des morts s’appliquait même aux rois. Quelques-uns furent privés de sépulture.

La pesée des âmes

Cette Scène était la représentation sur la terre de ce que les Egyptiens croyaient qu’il se passait dans le séjour des ombres, appelé par eux l’Amenthi. Là, devant Osiris, se faisaient, disaient-ils, la pesée des âmes. Quarante-deux juges divins examinaient les motifs de toutes les actions, et ces actions mêmes étaient pesées par certains dieux. Celui qui représentait la sagesse divine, Toth, écrivait le résultat. Alors Osiris récompensait l’âme fidèle en l’appelant dans un monde meilleur ou la punissait de ses fautes en la renvoyant sur la terre dans le corps de quelque animal. Un manuscrit en papyrus représente une de ces âmes qui, après le jugement dans l’Amenthi, ayant été convaincue de gloutonnerie, est forcée d’entrer dans le corps d’une truie et de recommencer une nouvelle vie sous cette forme.