La Rome royale (715-509 av. J.C.)

Numa : ses institutions religieuses

Prédécesseur: Romulus; Successeur: Tullus Hostillius; Règne: 715-673 av. J.C. date de naissance: 753 av. J.C. date de décès: 673 av. J.C.

Les Sabins et les romains ne purent d’abord s’entendre pour donner un successeur à Romulus, et, pendant une année, les sénateurs gouvernèrent tour à tour comme interrois. On convint à la fin que les romains feraient l’élection, mais qu’ils ne pourraient choisir qu’un Sabin. Une voix nomma Numa Pompilius; tous le proclamèrent, car on le regardait déjà comme le plus juste des hommes. Les historiens de Rome partagent entre ses deux premiers rois l’oeuvre de son organisation. Au premier ils attribuent les institutions politiques, au second les institutions religieuses. Ce serait Numa qui aurait réglé les fonctions des pontifes, gardiens du culte; des flamines, ministres des grands dieux; des augures, qui interprétaient, d’après le vol des oiseaux ou les entrailles des victimes, les volontés du ciel; des féciaux, qui prévenaient les guerres injustes, en allant, avant le combat, demander ou offrir aux ennemis des réparations légitimes; des vestales qui, choisies par le grand prêtre dans les plus nobles familles, conservaient le feu perpétuel, le Palladium et les dieux pénates; des saliens enfin qui gardaient un bouclier qu’on disait tombé du ciel. Il encouragea l’agriculture, réforma le calendrier, consacra les limites des propriétés par l’établissement du culte du dieu Terme, et éleva un temple à la Bonne Foi. Sous son règne aussi fut bâti le temple de Janus, dieu qu’on représentait avec deux visages, comme s’il regardait le passé et l’avenir. Les portes de ce temple devaient être fermées pendant la paix, ouvertes durant la guerre.

Le règne de ce prince fut pour Rome et pour les villes voisines une époque de paix et de bonheur. Aussi disait-on que la sagesse de Numa lui venait des dieux, et que la nymphe Egérie, avec laquelle il avait de longs entretiens dans le bois sacré d’Aricie, lui inspirait ses lois. Il mourut après un règne de quarante-trois ans, en l’année 673 av. J.C.

Tullus Hostillius : réunion des Albains aux romains

Prédécesseur: Numa Pompilius; Successeur: Ancus Marcius; Règne: 672-641 av. J.C.
date de décès: 641 av. J.C.

A Numa, prince pacifique, succéda le belliqueux Tullus Hostillius. Le fait le plus important de son règne fut la destruction d’Albe et la réunion des Albains aux romains. De mutuelles pillages avaient amené la guerre entre les deux peuples; mais longtemps les deux armées, d’ailleurs à peu près en force, n’osèrent engager une lutte sacrilège; Albe était la mère de Rome. Enfin on résolut de décider la querelle par un combat singulier, et de chaque côté l’on tira au sort trois champions : ce furent, pour Albe, les trois frères Curiaces; pour Rome, les trois Horaces. Dès le premier choc, les trois champions d’Albe sont blessés; mais deux des Horaces tombent morts, le troisième prend la fuite, et les Albains poussent des cris de joie, ils se croyaient déjà vainqueurs. La fuite d’Horace n’était qu’une ruse. Il était plus faible que ses trois adversaires réunis; mais étant resté sans blessure, il avait l’avantage sur chacun d’eux. En le poursuivant ils se séparent. Lui alors se retourne, court au premier, le tue; puis au second, qui fait encore moins de résistance : il égorge le dernier sans péril. Albe devient ainsi sujette.

Horace rentrait dans Rome fier de sa victoire, avec les dépouilles de ses trois ennemis, quand sa soeur Camille, fiancée à l’un des Curiaces, éclate en plaintes et en imprécations. Le farouche vainqueur ne peut maîtriser sa colère et la frappe de son épée. Condamné par les duumvirs, il n’échappe au dernier supplice qu’en faisant appel de ce jugement au peuple, qui le renvoie absous. Romulus avait répandu le sang de son frère dans le sillon qui marquait l’enceinte de Rome. Horace versa celui de sa soeur le jour qui fut comme la seconde fondation de la ville. Il y a partout du sang dans l’histoire de ce peuple héroïque et farouche. Albe fut détruite, sa population transportée à Rome sur le mont Coelius, et ses patriciens admis dans le sénat. Tullus Hostillius mourut peu de temps après, frappé de la foudre (641 av. J.C.).

Ancus Marcius : la fondation d’Ostie

Prédécesseur: Tullus Hostillius; Successeur: Tarquin l'Ancien; Règne: 641-616 av. J.C. date de décès: 616 av. J.C.

Son successeur, le Sabin Ancus Marcius, qu’on dit petit-fils de Numa, encouragea l’agriculture, à l’exemple de son aïeul, et rétablit la religion négligée. Il vainquit les Latins, leur prit quatre villes, en transporta les habitants à Rome et les établit sur le mont Aventin. A la suite de ces victoires, le territoire de Rome s’étendit jusqu’à la mer. Ancus fonda le port d’Ostie à l’embouchure du Tibre et construisit en bois, sur ce fleuve, le pont Sublicius. Pour couvrir Rome contre les attaques des Etrusques, il fortifia le Janicule, colline qui s’élevait sur la rive droite du Tibre, et creusa dans le mont Capitole la première prison qu’ait eue Rome.

Tarquin l’Ancien

Prédécesseur: Ancus Marcius; Successeur: Servius Tullius; Règne: 616-575 av. J.C. date de décès: 575 av. J.C.

Ancus eut pour successeur Tarquin, surnommé l’ancien. C’était un homme riche et puissant, Grec d’origine, mais dont le père, Démarate de Corinthe, s’était établi dans la ville étrusque de Tarquinies. Tarquin avait su gagner la confiance d’Ancus, qui lui laissa la tutelle de ses deux fils, et l’affection du peuple qui le proclama roi.

Dans l’Etrurie, la Toscane actuelle, Tarquin avait vu un peuple qui était déjà arrivé à un degré de civilisation, et dont la richesse se montrait dans les grands travaux qu’il exécutait, comme dans la magnificence des cérémonies religieuses ou politiques qu’il avait instituées. Tarquin voulut transporter à Rome ces pompes et ces usages. Il prit, comme les chefs étrusques, la robe de pourpre; il se fit, comme eux, précéder de licteurs armés de faisceaux, ou s’assit sur une chaise curule, et, après ses victoires sur les Sabins, fit dans Rome une entrée triomphale sur un char tiré par quatre chevaux blancs.

Il fit venir des ouvriers étrusques qui desséchèrent le Forum et l’entourèrent de portiques, de sorte que ce qui n’était qu’une plaine marécageuse devint un magnifique lieu de promenade et de réunion. La ville fut ceinte d’une muraille en pierres, et on voit de vastes égouts construits pour débarrasser les lieux bas de leurs eaux stagnantes. Enfin on jeta les fondements du Capitole. Les dieux de l’Etrurie pénétrèrent dans Rome comme ses artistes, non pas toutefois sans résistance de la part des anciennes divinités : la Jeunesse et le dieu Terme refusèrent, disait-on, d’abandonner le mont Capitole aux nouveaux Vénus, Jupiter, Junon et Minerve.

Une science florissait chez les étrusques bien plus qu’à Rome, celle des augures, qui enseignaient qu’on pouvait reconnaître la volonté des dieux dans les phénomènes de la nature. Tarquin appela un certain nombre de ces prêtres chargés de donner le sens des signes, et, pour accroître aux yeux du peuple l’autorité de leurs paroles, il ménagea la scène suivante :« Augure », dit-il un jour à Navius au milieu d’une assemblée, « la chose à laquelle je pense peut-elle se faire ? Oui », répondit l’augure, après avoir observé le ciel. « Coupe donc ce caillou avec un rasoir ». L’augure le prit et le coupa. Dès lors personne n’osa douter de la science des augures. Grâce à leurs leçons, les romains ne tardèrent pas à devenir le peuple le plus superstitieux de l’univers. Les moindres accidents semblaient des avertissements célestes. Un faux pas, un bruit inaccoutumé, une tristesse subite et involontaire, le pétillement de la flamme, les mugissements de la victime immolée sur l’autel, son agonie lente et rapide, la couleur et la forme des entrailles, tout fut présage pour l’Etat comme pour l’individu; et la grosseur du foie d’une victime, ou l’appétit inégal des poulets sacrés influencèrent souvent les décisions les plus graves.

Tarquin régnait depuis trente-huit ans, lorsqu’un jour, deux pâtres, apostés par les fils Ancus Marcius, feignirent de se prendre de querelle dans le voisinage de la demeure royale. Appelés devant le roi, l’un deux profita du moment où le prince écoutait son adversaire, pour lui fendre la tête d’un coup de hache. Tarquin tomba mort. Mais la reine Tanaquil fit aussitôt fermer les portes du palais, puis elle déclara au peuple que la blessure du roi était légère, et qu’il chargeait son gendre Servius Tullius de gouverner à sa place. Elle eut ainsi le temps de disposer le sénat à accepter Servius, et lorsqu’il fallut avouer la mort de Tarquin, elle fit proclamer son protégé sans l’assentiment de l’assemblée des curies.

Servius Tullius

Prédécesseur: Tarquin l'Ancien; Successeur: Tarquin le Superbe; Règne: 575-535 av. J.C. date de décès: 535 av. J.C.

Servius était le fils d’une esclave. Sa mère, femme du roi de Corniculum, était tombée au pouvoir des romains, après la prise de cette ville, et fut réduite par le droit de la guerre à servir un maître, après avoir été reine. De là ce nom de Servius qui dans la langue latine rappelle la condition d’esclave. Mais l’enfance de Servius fut marquée par des prodiges, signes manifestes de la faveur divine. On vit une flamme voltiger autour de sa tête pendant qu’il dormait, et s’éteindre quand il se réveilla. Témoin de ce prodige, la reine Tanaquil prit en vive affection le protégé des dieux : après la mort de Tarquin elle lui assura la royauté.

Servius donna à Rome l’étendue qu’elle eut sous la république, en réunissant à la ville, par une muraille, le Viminal, l’Esquilin et le Quirinal; puis il la partagea en quatre quartiers ou tribus urbaines; chaque quartier ayant son tribun, qui dressait les listes pour les contributions et le service militaire. Le territoire fut divisé en vingt-six cantons nommés aussi tribus, et tout le peuple d’après la fortune de chaque citoyen, en six classes et en cent quatre-vingt-treize centuries.

Au dehors, Servius conclut une alliance avec les trente villes latines, et pour mieux en serrer les noeuds, on éleva, à frais commun, un temple à Diane sur le mont Aventin. Une guerre contre les Véiens et les Etrusques se termina, pour Rome, par un accroissement de territoire; mais la distribution de ces terres que Servius fit aux pauvres augmenta encore la haine des patriciens, dont il avait, par ses lois, considérablement diminué la puissance. Aussi favorisèrent-ils la conspiration qui se forma contre le roi populaire.

Les deux filles de Servius avaient épousé les deux fils de Tarquin l’Ancien, Lucius et Aruns. Mais l’ambitieuse Tullie avait été fiancée à Aruns, le plus doux des deux frères, et sa soeur à Lucius, qui mérita par son orgueil et sa cruauté, le surnom de Superbe (Tarquin le Superbe). Tullie et Lucius ne tardèrent pas à se comprendre, et à unir leurs criminelles espérances. Tullie se débarrassa par le poison, son marie et sa soeur, pour épouser Lucius. Accablé de douleur, Servius voulut déposer la couronne et établir le gouvernement républicain. Ce fut le prétexte qu’offrit Lucius aux patriciens pour le renverser. Un jour, tandis que le peuple était aux champs pour la moisson, Lucius parut dans le sénat revêtu des insignes de la royauté, précipita le vieux roi du haut des degrés en pierre qui conduisaient à la curie, et le fit tuer par ses affidés; Tullie, accourant pour saluer roi son époux, fit rouler son char sur le corps sanglant de son père. La rue en garda le nom de via Scelerata. Mais le peuple n’oublia pas celui qui avait voulu fonder les libertés plébéiennes, et chaque année il fêtait la naissance du bon roi Servius.

Tarquin le Superbe

Prédécesseur: Servius Tullius; Successeur: Avènement de la République; Règne: 535-509 av. J.C. date de décès: 495 av. J.C.

Au roi succéda le tyran. Entouré d’une garde de mercenaires, et secondé par une partie des sénateurs qu’il avait gagnés, Tarquin gouverna sans souci des lois : dépouillant les uns de leurs biens, bannissant les autres, et punissant de mort tous ceux qui lui inspiraient des craintes. Pour affermir son pouvoir, il s’allia avec des étrangers et donna sa fille à Mamilius, dictateur de Tusculum. Les Latins n’étaient que des alliés : il en fit des sujets et les contraignit d’obéir. La ville latine de Gabies menaçait de se révolter, malgré la présence d’un des fils du roi. Celui-ci effrayé fit demander conseil à son père. Tarquin ne répondit pas; mais il mena l’envoyé dans le jardin du palais, et en se promenant, il abattait avec une baguette la tête des pavots qui s’élevaient au-dessus des autres. Le fils comprit ce terrible apologue, et fit mettre à mort les plus notables citoyens de Gabies.

Comme son père, Tarquin aimait la magnificence. Il appela d’habiles ouvriers étrusques et acheva les égouts et le Capitole. En creusant dans le sol pour jeter les fondements de cet édifice, on trouva une tête qui semblait fraîchement coupée. Le roi l’avait fait placer là pour fournir aux augures l’occasion de déclarer que ce mystère signifiait que le nouveau temple serait la tête du monde.

Au-dessous du Capitole, on renferma dans un coffre de pierre les livres sibyllins, recueil de phrases obscures où l’on s’ingéniait à trouver un sens prophétique. Une prophétesse, la sibylle de Cumes, était venue, sous les traits d’une vieille femme, offrir au roi de lui vendre neuf livres. Sur son refus, elle en brûla trois et revint demander la même somme pour les six autres. Un second refus lui en fit brûler trois encore. Tarquin, étonné, acheta ceux qui restaient au prix qu’elle voulut, et les confia à la garde de deux patriciens.

Cependant des signes menaçants effrayèrent la famille royale. Afin de connaître les moyens d’apaiser les dieux, Tarquin envoya consulter l’oracle de Delphes, dont la réputation avait pénétré jusqu’en Italie. Les députés étaient ses deux fils et son neveu Brutus qui contrefaisait l’insensé, pour échapper aux craintes soupçonneuses du tyran. Quand le dieu eut répondu, les jeunes gens demandèrent lequel des fils du roi le remplacerait sur le trône : « Celui-là », dit la Pythie, « qui embrassera le premier sa mère. » Brutus comprit le sens caché de l’oracle : il se laissa tomber et baisa la terre, notre mère commune. Déjà, pour toute offrande, il avait remis aux prêtres un bâton grossier. Les princes riaient de l’offrande du pauvre fou, mais le bois était creux et Brutus y avait introduit un lingot d’or. Les prêtres comprirent ce que Brutus cachait sous l’enveloppe de la folie, son génie et ses espérances.

A leur retour, ils trouvèrent Tarquin sous les murs d’Ardée, capitale des Rutules. Les opérations traînaient en longueur, et les jeunes princes cherchaient à tromper par des fêtes et des jeux les ennuis du siège. Un jour ils disputèrent sur le mérite de leurs femmes : un d’eux proposa pour en juger d’aller les surprendre dans leurs demeures. On monte à cheval, on court à Rome, et on trouve les filles du roi au milieu des plaisirs; mais à Collatie, Lucrèce, épouse de Tarquin Collatin (Lucius Tarquinius Collatinus), filait au milieu de ses femmes et veillait aux soins domestiques. Tout d’une voix, elle fut proclamée la plus sage. Cette vertu fit naître une pensée coupable dans le coeur de Sextus Tarquin, un des fils du roi. Il revint seul et armé. Il viola Lucrèce. Elle se tua pour ne pas survivre à un déshonneur involontaire.

Le sang de la chaste victime retomba sur la tête des Tarquins. Brutus, en apprenant l’attentat, juge que le moment est venu de renverser cette tyrannie abominable. Il porte le corps sanglant de Lucrèce à Rome, il appelle à la vengeance le sénat que Tarquin a décimé, le peuple qu’il a accablé, pour ses constructions, d’odieuses corvées, et un sénatus-consulte proclame la déchéance du roi, son exil et celui de tous les siens. Puis il court au camp, soulève l’armée, et Tarquin est réduit à fuir chez les Etrusques. Cette même année, Athènes se délivrait de la tyrannie des Pisistratides1

1. Synchronismes : A Athènes, tentative de Cylon, 642- destitution de Ninive, 606;- archontat de Solon, 595;- fin du royaume de Juda, 587;- Pisistrate se saisit du pouvoir à Athènes, 560;- Cyrus renverse Crésus, roi de Lydie, 546;- Cyrus prend Babylone, 538;- mort de Cyrus, 529;- mort de Pisistrate, 527;- conquête de l’Egypte par les Perses, 525;- Darius devient roi des Perses, 524.