La troisième guerre punique (149-146 av. J.C.)

Injuste conduite de Rome envers Carthage. Massinissa et Caton (202-149 av. J.C.)

Après la bataille de Zama, les Romains avaient placé auprès de Carthage un ennemi implacable, le roi de Numidie, Massinissa. « Les Carthaginois », disait le Numide, « ne sont en Afrique que des étrangers; ils ont ravi à nos pères, le territoire qu’ils possèdent. » Et à chaque occasion favorable il leur enlevait une province. Carthage n’osa pas se défendre, car les Romains lui avaient interdit de faire aucune guerre sans leur permission. « Au moins », disaient ses députés au sénat, « décidez ce que vous voulez qu’on nous enlève. » C’était à la veille de la guerre contre Persée que ces plaintes arrivaient à Rome. Le sénat ne voulant pas se donner en ce moment un nouvel ennemi, parut s’indigner contre Massinissa. Il promit justice et des arbitres; mais il traîna l’affaire en longueur, et quand la victoire de Pydna eut rendu l’iniquité sans danger, il députa quelques commissaires parmi lesquels se trouvait Caton. Les Carthaginois refusèrent de se soumettre à un tribunal où leur ennemi avait d’avance gagné sa cause, et Massinissa garda ce qu’il avait usurpé. Mais Caton avait trouvé, avec surprise et colère, Carthage riche, peuplée, prospère. Quand le haineux vieillard revint à Rome, il laissa tomber dans la curie des figues qu’il tenait dans un pli de sa toge; et comme les sénateurs en admiraient la beauté: « La terre qui les porte », dit-il, « n’est qu’à trois journées de Rome »; depuis ce jour il ne cessa de répéter à la fin de ses discours: « Et, de plus, je pense qu’il faut détruire Carthage, delenda est Carthago. »

Guerre entre Massinissa et Carthage (154-149 av. J.C.)

Cette malheureuse cité était encore déchirée par trois factions: les amis de Rome, ceux de Massinissa et les patriotes. Les derniers, en 152 av. J.C., chassèrent les partisans du roi qui envahit aussitôt leurs terres. Cette fois, les Carthaginois envoyèrent 50000 hommes contre Massinissa. Scipion Emilien était alors en Afrique, il suivit les deux armées et du haut d’une colline, spectateur désintéressé, vit cent mille hommes s’égorger. Cette sanglante mêlée valait mieux qu’un combat de gladiateurs dans l’arène; le Romain se vanta d’avoir goûté un plaisir digne des dieux. Massinissa, âgé de quatre-vingt-huit ans, monté à cru sur un cheval rapide, s’était encore battu comme le plus brave soldat. L’armée carthaginoise fut exterminée.

Les Romains se hâtèrent d’entrer en lice pour ne pas laisser au vainqueur une si riche proie. En vain Carthage, qui n’avait usé que du droit de légitime défense, proscrivit les auteurs de la guerre, et envoya des ambassades à Rome. « Donnez satisfaction au peuple romain, » disaient les Pères Conscrits; et quand les députés demandaient quelle satisfaction: « Vous devez le savoir. » Ils ne purent obtenir d’autre réponse (149 av. J.C.).

Les Romains commencent la troisième guerre punique (149 av. J.C.)

Utique, voyant Carthage menacée, se donna aux Romains; c’était pour eux un port et une forteresse à trois lieues de Carthage. Aussitôt, les deux consuls Censorinus et Manilius partirent avec une flotte nombreuse et 80000 légionnaires. Des députés arrivent encore: « Les Carthaginois », disent-ils, « se remettent à la discrétion du peuple romain. » On leur promet la conservation de leurs lois, de leur liberté et de leur territoire; mais ils enverront à Lilybée en Sicile, 300 otages. Les otages livrés, les consuls déclarent que c’est en Afrique seulement qu’ils feront connaître leurs dernières intentions; et ils passent la mer avec leur formidable armée, sans que Carthage, assurée de la paix, envoie à leur rencontre une seule galère. Arrivés à Utique, ils demandent aux Carthaginois leurs armes. On leur apporte plus de 200000 armures, 2000 catapultes, et un nombre infini de traits de toute espèce. « Maintenant », disent-ils, « vous abandonnerez votre ville et vous irez vous établir à 10 milles dans les terres. » C’était une infâme perfidie. Les consuls y ajoutèrent la dérision. Censorinus leur vanta les avantages de la vie agricole, loin de cette mer trompeuse dont la vue nourrissait leurs regrets et de dangereuses espérances.

Le siège de Carthage (147-146 av. J.C.)

L’indignation réveilla ce peuple immense. Les patriotes ressaisirent le pouvoir; les partisans de Rome furent massacrés; on ferma les portes; les temples furent transformés en ateliers. Nuit et jour on fabriqua des armes; les femmes donnèrent leur chevelure pour faire des cordages; les esclaves furent affranchis et enrôlés; et Hasdrubal, un des chefs du parti populaire, tint la campagne avec 20000 hommes qu’il n’avait pas voulu désarmer. Lorsque les consuls s’avancèrent pour prendre possession de la ville, ils trouvèrent les murs garnis de défenseurs, échouèrent dans trois attaques, et virent leurs machines et une partie de leur flotte incendiées. Derrière eux les campagnes se soulevaient, et Asdrubal réunissait, dans son camp de Néphéris, jusqu’à 70000 hommes.

Scipion Aemilien (146 av. J.C.)

Dans cette armée servait, comme tribun légionnaire, Scipion Emilien, fils de Paul-Emile et petit-fils de Scipion l’Africain. Il avait leurs vertus et leurs talents. Un jour une colonne d’attaque se trouvait compromise, et aurait été massacrée s’il ne l’avait dégagée avec des troupes de réserve. Une autre fois, en se portant rapidement sur les derrières de l’ennemi, il sauva le camp de Manilius. L’armée lui dut encore son salut dans une expédition dirigée contre Asdrubal et qui avait été mal conduite. D’autres services augmentèrent son crédit sur les soldats et sa renommée à Rome. Il gagna un général carthaginois qui passa dans le camp romain avec 2000 cavaliers. Il dissipa la jalousie et les soupçons de Massinissa, qui commençait à croire qu’après la ruine de Carthage viendrait la sienne. Au moment, d’expirer, le vieux roi chargea Scipion de partager ses Etats entre ses trois fils.

Dernières attaques: combat de six jours (146 av. J.C.)

Laissant la famine faire d’affreux ravages dans la ville, il alla durant l’hiver forcer le camp de Néphéris. La destruction de cette armée, seul espoir qui restait aux Carthaginois, décida les villes voisines à lui ouvrir leurs portes. Au retour du printemps, il reprit avec activité les opérations contre Carthage et enleva la muraille qui en ceignait le port. Les Romains étaient dans la ville; mais pour arriver jusqu’à la forteresse Byrsa, placée au centre, il fallut traverser de longues rues étroites, où les Carthaginois retranchés dans les maisons firent une résistance acharnée. L’armée mit six jours et six nuits à atteindre la citadelle. Sur la promesse qu’ils auraient la vie sauve, 50000 hommes en sortirent; il y restait 1100 transfuges, réfugiés avec Asdrubal au sommet de la citadelle dans le temple d’Esculape. Jusqu’alors Asdrubal avait dirigé la défense avec habileté et courage. Un moment de faiblesse le déshonora, il vint demander la vie à Scipion, qui le montra aux transfuges prosterné à ses pieds. Sa femme n’avait pas voulu le suivre. Elle monta au sommet du temple, parée de ses plus beaux vêtements et s’adressant à Scipion: « Souviens-toi », s’écria-t-elle, « de punir cet infâme qui a trahi sa patrie, ses dieux, sa femme et ses enfants. O le plus vil des hommes, va orner le triomphe de ton vainqueur et recevoir à Rome le prix de ta lâcheté. » A ces mots elle égorgea ses deux enfants et se précipita elle-même au milieu de l’incendie que les transfuges avaient allumé.

Destruction de la ville (146 av. J.C.)

Scipion abandonna au pillage ces ruines fumantes, et des commissaires envoyés par le sénat firent du territoire carthaginois une province. Ils renversèrent ce qui était encore debout dans la ville; et par les plus terribles imprécations vouèrent à une éternelle solitude la place où Carthage avait été. Du haut d’une colline, Scipion voyait s’accomplir l’oeuvre de destruction. En face de cet empire écroulé, de ce peuple anéanti, de cette immense cité où il n’allait bientôt plus rester pierre sur pierre, il se sentit ému; et au lieu de l’ivresse de la victoire, une mélancolique pensée le saisit. Il songea à l’avenir de Rome et l’historien Polybe l’entendit tristement répéter ce vers d’Homère: « Un jour aussi verra tomber Troie, la cité sainte, et Priam, et son peuple invincible. »