Le sénat

Sous le point de vue social, et dans les rapports d’individus à individus, il n’y avait que deux classes dans la république, les patriciens et les plébéiens. La naissance seule réglait cette différence, que rien, par conséquent, ne pouvait ni modifier ni détruire.

Sous le point de vue politique, comme cette distinction, avec le temps, avait fini par s’effacer à peu près, puisque chacun, patricien ou plébéien, pouvait parvenir aux honneurs, il ne restait plus d’autre séparation que celle des gouvernants et des gouvernés. Dans la première classe étaient le sénat et tous les magistrats; dans la seconde, le peuple, c’est à dire ceux qui n’exerçaient leur part de pouvoir législatif, sans participer au pouvoir exécutif, au gouvernement. Ce sont ces deux ordres qu’on désignait par la formule : Senatus populusque romanus. S.P.Q.R.

Ainsi, on pouvait être plébéien et sénateur, comme on pouvait être patricien et faire partie du peuple. Populus signifie tout ce qui n’est ni sénateur ni magistrat, et plebs tout ce qui n’est pas patricien1.

Quant aux chevaliers, il ne faut pas s’en inquiéter, et l’on a eu tort de les annexer, comme un ordre intermédiaire, au sénat et au peuple. Cette qualification de troisième ordre ne leur fut donnée qu’après le consulat de Cicéron, et n’apporta aucun changement dans la constitution politique de Rome.

Le sénat

Le sénat gouvernait l’administration des finances, de la guerre, des cultes, des provinces, des colonies, le droit de proposer et de préparer les lois, de les sanctionner, de recevoir et d’envoyer des ambassadeurs, de traiter avec les rois et les alliés. La seule exception à ce pouvoir, c’est qu’il ne nommait pas les magistrats. Les sénateurs se distinguaient du peuple, en ce que, sous la toge, vêtement commun à tous les citoyens, ils portaient une tunique ornée de pourpre, et qu’on appelait laticlave. La forme et la place de ces broderies étaient des bandes de pourpre, terminées en pointe comme des clous, et qui s’allongeaient des bords de la tunique vers le milieu de ce vêtement. Ils portaient aussi une chaussure noire, montant jusqu’au milieu de la jambe, avec un croissant d’argent sur le haut du pied.

Au théâtre, les sénateurs siégeaient à l’orchestre : là se bornaient leurs distinctions.

L’origine du sénat se confond avec celle de Rome, puisque c’est à Romulus, qu’on en attribue la création. Les cent pères ajoutés par Tarquin portèrent le nombre de sénateurs à trois cents, et ce nombre ne paraît pas avoir varié jusqu’à Sylla, qui le doubla. Jules César l’augmenta beaucoup encore pour discréditer cette compagnie, et Auguste, dans une pensée contraire, la ramena au nombre de six cents.

Sous la république, la présence de cent sénateurs suffisait pour rendre valables les délibérations du sénat.

Ce corps s’assemblait régulièrement trois fois par mois, aux calendes, aux nones et aux ides; mais en tout temps, les consuls avaient le droit de le convoquer. Ce droit, en leur absence, appartenait au préteur. Les tribuns l’avaient en tout temps. Il s’ensuit que les dictateurs, et les magistrats qui succédèrent temporairement aux consuls, comme les décemvirs et les tribuns militaires, jouirent aussi de ce privilège.

Tout sénateur au-dessous de soixante ans était puni d’une amende s’il manquait à la séance.

Le mois d’avril et une partie de septembre étaient ordinairement consacrés aux vacances.

Le lieu des séances variait : c’était, d’ailleurs, toujours un temple ou un monument consacré par les augures. Dans deux circonstances seulement, l’assemblée se tenait hors de la ville, dans les temples de Bellone ou d’Apollon. C’était lorsque le sénat donnait audience aux généraux qui sollicitaient le triomphe, ou aux ambassadeurs envoyés par un ennemi.

Avant l’assemblée, on faisait un sacrifice, et on prenait les auspices.

Le consul en charge, ou, en son absence, le préteur, présidait l’assemblée, exposait les affaires et ouvrait la discussion; il recueillait les avis, en commençant toujours par le prince du sénat. On donnait ce nom à celui que les censeurs avaient porté le premier sur la liste des sénateurs en la dressant. C’était presque toujours un ancien consulaire, ou un personnage recommandable par d’éminents services.

Il prenait ensuite l’avis de son collègue, s’il était présent, puis celui des consuls désignés2, celui des magistrats de l’année qui avaient droit de séance; enfin, celui des anciens fonctionnaires; il suivait ensuite l’ordre qu’il jugeait convenable pour recueillir les avis ou provoquer les opinions. La parole était libre, et l’orateur ne pouvait être interrompu. Il devait parler debout. Les sénateurs qui ne croyaient pas devoir émettre leur avis et ceux que le président ne consultait pas, exprimait leur vote (pedibus) en passant du côté de celui dont ils adoptaient l’opinion.

La décision prise, le consul congédiait l’assemblée par ces mots : non vos tenemus, paires conscripti3; puis il veillait à la rédaction du sénatus-consulte.

Cet acte devait exprimer le temps, le lieu de la délibération, le nom des membres présents, la proposition avec le nom de son auteur, puis le texte du décret. Il était ensuite déposé au trésor public, dans le temple de Saturne.

Les plébéiens et patriciens avaient droit égal au rang de sénateur : c’était là le but de toutes les ambitions.

C’étaient les censeurs qui, en faisant la clôture du lustre, dressaient la liste du sénat, et donnaient entrée dans ce corps, comme ils pouvaient en exclure. L’admission avait lieu par la simple publication du nom, comme l’exclusion par l’omission du nom. Sauf cette dernière chance, que ses conditions rendaient fort rare, une fois nommé sénateur, on l’était pour toute sa vie.

Au reste, ce pouvoir des censeurs, qui, au premier coup d’oeil, semble immense, n’était pas purement arbitraire. Les conditions auxquelles il devait se soumettre ne se développèrent qu’avec le temps, surtout depuis la loi Ovinia, les censeurs furent obligés d’inscrire sur le rôle du sénat :
– ceux qui avaient exercé quelque magistrature;
– ceux qui avaient obtenu la couronne civique;
– les personnages les plus influents de chaque tribu, soit par leur naissance, soit par leurs
services, soit par leurs richesses.
A ces conditions qui donnaient accès au sénat, s’en joignaient deux autres, sans lesquelles l’admission devint impossible : il fallait être chevalier, et posséder une certaine fortune, dont le taux alla toujours croissant avec la prospérité de la république.

Du reste, bien que les magistratures donnassent le droit de siéger au sénat, ce droit cessait avec l’exercice de la magistrature, si l’on n’était pas porté sur la liste des censeurs : Sylla, par une loi, fit une exception en faveur des questeurs. C’est en cette qualité que Cicéron devint sénateur, car lorsqu’il entra au sénat, Rome n’avait pas eu de censeurs depuis seize ans.

1. Nous ne doutons pas que ces expressions n’aient été souvent prises l’une pour l’autre, même par les auteurs latins : cette confusion, qu’une sorte d’indifférence introduit à la longue dans toutes les langues, n’empêche pas les mots d’avoir un sens primitif et logique, auquel il faut toujours revenir si l’on veut comprendre les institutions d’un pays. Il ne faut pas confondre non plus les patriciens et les nobles; on appelait nobles tous ceux qui avaient exercé une magistrature curule, qu’ils fussent de famille plébéienne ou patricienne.

2. On appelait consuls désignés, les consuls nommés pour l’année suivante.

3. Voici l’origine de cette appellation. Les premiers sénateurs furent appelés pères, patres. Les cent nouveau que Tarquin ajouta aux deux cents de Romulus furent désignés par le nom de Conscripti. Lorsqu’on adressait la parole au sénat, on interpellait d’abord les premiers par ce mot : patres, puis les autres par celui-ci : conscripti. Plus tard, la différence ayant disparu, la virgule disparut aussi, et les deux mots se réunirent; ainsi, au lieu de patres, conscripti, on eut patres conscripti.