Les Consuls

Dans Rome, le pouvoir, environné de l’appareil qui attire le respect, éloignait avec soin tout ce qui inspire la crainte et rappelle la force. Comme il était défendu, sous les peines les plus sévères, de porter des armes dans la ville, les magistrats n’avaient aucune garde, ils ne pouvaient pas même monter à cheval; les signes de la plus haute dignité étaient la robe prétexte, toge ornée d’une bordure de pourpre, et la chaise curule, petit tabouret pliant, orné d’ivoire, avec siège de cuir, et dont les pieds étaient courbés en forme d’X. Une escorte des grands magistrats se composait de quelques licteurs, espèces d’officiers publics qui marchaient devant le fonctionnaire pour lui ouvrir le passage à travers la foule. Ils portaient des faisceaux de verges : depuis Valerius Publicola, la hache placée au milieu de ces faisceaux avait disparu et lorsque le magistrat se présentait dans les comices pour les présider, les faisceaux s’inclinaient devant le peuple.

Au dehors, c’était tout autre chose : les haches reprenaient leur place dans les faisceaux, toujours debout; le sagum, vêtement militaire, succédait à la toge pacifique; une garde nombreuse, un corps brillant d’officiers et de chevaliers, un cortège de secrétaires (scribae), d’huissiers (accensi), de hérauts (praecones), entourait le magistrat délégué du peuple romain; il exerçait l’autorité souveraine, et cette autorité était désignée par le mot imperium, bien différent de potestats, dont le pouvoir se concentrait dans Rome. C’est que là, le magistrat n’était que l’agent du peuple romain, tandis qu’au dehors il était son représentant.

Tu regere imperio populos, Romane, memento (Virgile).

Ce n’était pas, au reste, seulement dans les signes extérieurs de l’autorité que consistait la différence. A l’extérieur, cette autorité agissait sans contrepoids, et presque sans contrôle car le compte qu’on devait rendre n’aboutissait le plus souvent qu’à des formalités insignifiantes. A l’intérieur, au contraire, on en était venu à une balance de pouvoirs, qui, tout en occasionnant des luttes perpétuelles, donnait à la liberté les garanties les plus rassurantes, et à l’orgueil romain les plus satisfaisantes illusions.

Les magistratures étaient divisées en magistratures ordinaires, et magistratures exceptionnelles.

Dans les premières, on distinguait encore les grandes magistratures, qu’on appelait curules. Elles donnaient droit à la chaise curule et aux images, c’est-à-dire que les familles qui en avaient été honorées pouvaient conserver et faire porter dans les cérémonies les images de leurs ancêtres. Ces images étaient des bustes de bois ou de cire, toujours coloriés.

Les magistratures curules étaient : le consulat, la préture, la censure, et l’édilité patricienne1. Toutes les magistratures ordinaires étaient annuelles, excepté la censure.

Les consuls

Les consuls succédèrent aux rois, l’an 245 de Rome (509 av. J.C.). Leur pouvoir fut d’abord le même que celui des rois, seulement ils ne devaient rester en charge qu’un an.

Après les restrictions que les résistances plébéiennes eurent introduites dans les attributions de cette dignité, ce fut encore la plus haute et la plus importante magistrature de la république.

Tous les autres magistrats leur étaient soumis, excepté les tribuns du peuple.

Ils convoquaient et présidaient le sénat, requéraient les augures et les aruspices, présidaient les comices, et proposaient les lois.

Ils disposaient des finances de l’Etat.

Ils ouvraient les dépêches, recevaient les ambassadeurs, et les présentaient au sénat.

Ils faisaient les levées de troupes.

Ils commandaient les armées, nommaient à tous les grades, à l’exception de quatre places de tribuns militaires réservées au peuple dans certains cas.

Enfin, ils avaient sur l’Italie, et dans les provinces, le pouvoir absolu (imperium).

Douze licteurs marchaient devant eux, un à un, et leur faisaient faire place. Chacun devait se lever à leur aspect, s’écarter, s’arrêter, descendre de cheval ou de litière, si c’était hors de la ville. Dans Rome, ils avaient seuls le droit de se faire porter en litière.

C’était par leurs noms qu’on désignait les années.

Comme ils étaient toujours deux, voici comme on réglait entre eux le partage du pouvoir. Si l’on était en paix, chacun d’eux gouvernait un mois, alternativement. Le plus âgé commençait, à moins que l’autre n’eût déjà exercé cette charge. Le consul en fonction jouissait seul des prérogatives de la dignité : seul il était précédé des licteurs, qui marchaient l’un derrière l’autre. En temps de guerre, l’un restait à Rome, l’autre commandait les armées, à moins qu’on n’eût besoin de les employer tous les deux contre l’ennemi, ce qui arriva souvent. Le sénat réglait cette attribution, de même qu’il décidait quelle partie du dehors chacun d’eux aurait dans son ressort. On appelait cela la province de chacun (provincia). Mais le peuple revendiqua quelque-fois ce droit de partage, et l’exerça le plus souvent. Le sénat décidait, avant l’élection, quelles provinces seraient attribuées aux consuls, et le sort, après l’élection, donnait à chacun la sienne.

Longtemps réservée aux patriciens, elle devint enfin accessible aux plébéiens l’an 387 (367 av. J.C.). Mais telle était l’influence des grands noms, que les plébéiens y parvinrent rarement.

Pour être élevé au consulat, il fallait avoir passé par les magistratures inférieures à celle ci, par conséquent s’être déjà fait un nom dans l’Etat, et de plus posséder une grande fortune, ou du moins l’avoir possédée, car les premières dignités, par lesquelles on devait débuter, supposaient et exigeaient même de la richesse.

Quant à l’âge requis pour le consulat, il ne paraît pas avoir été déterminé explicitement, avant la loi de Villius Tappulus (573; 180 av. J.C.), qui le fixa à 43 ans. Mais la nécessité de passer par les magistratures précédentes, jointe à l’obligation que tout citoyen subissait de servir dix ans dans les légions avant de se mettre sur les rangs pour exercer des fonctions dans l’Etat, ne permettait guère d’arriver au consulat avant l’âge de quarante ans. On voit cependant des exceptions dans l’histoire, notamment en faveur du premier Scipion.

Les consuls étaient élus dans les comices par centuries, au Champs-de-Mars, dans le mois Sextilis (août). Ils entraient en fonction l’année suivante; jusques-là on les appelait consuls désignés (consules designati).

L’époque de l’entrée en fonctions a beaucoup varié : ce fut successivement le 1er mars, le 24 février, le 1er août, le 15 mai, le 15 décembre, le 1er juillet; enfin elle fut fixée, mais bien tard, au 1er janvier.

Immédiatement après l’élection, les consuls désignés, suivis de tout le sénat et du peuple, escortés par les autres magistrats, allaient rendre grâce au Capitole, et prendre la toge prétexte dans le temple de Jupiter. Cette toge était fournie par l’Etat.

Il est certain que les fonctions consulaires étaient rétribuées, mais on ignore comment. L’Etat ne laissait jamais les hautes magistratures à la charge des fonctionnaires : on les défrayait de tout, on leur fournissait jusqu’à la vaisselle de leur table.

Quiconque avait exercé une fois les fonctions de consul prenait le titre de personnage consulaire (sir consularis), avait droit au respect de tous les citoyens, et pouvait, dans les cérémonies, comme dans les assemblées du sénat, porter la prétexte.

1. La dictature était aussi une magistrature curule, mais une magistrature extraordinaire.