Les débuts de la République (493-430 av. J.C.)

La révolte du mont sacré (494 av. J.C.)

La victoire du Lac Régille, en rassurant pour jamais les patriciens contre le retour des Tarquins, les rendirent plus orgueilleux et plus durs. Mais le peuple se lassa des promesses qu’on lui faisait dans le danger et qu’on oubliait dans le triomphe. En 494 av. J.C., l’armée abandonna les consuls et se retira sur le mont sacré (Mons Sacer, colline près de Rome; son nom viendrait du fait que c’étaient sur ses hauteurs que les augures venaient observer le vol des oiseaux), tandis que les plébéiens qui n’avaient pas prêté le serment militaire s’emparaient de l’Aventin, la plus forte position de Rome après le Capitole. La ville se trouva déserte. Les patriciens effrayés députèrent aux soldats dix consulaires parmi lesquels Menenius Agrippa.

Cet homme de bien, qui avait l’éloquence du coeur, était aussi aimé du peuple qu’estimé des grands. Il conta aux plébéiens l’apologue des membres et de l’estomac. « Les membres », dit-il, « s’imaginant un jour que l’estomac jouissait sans rien faire du fruit de tous leurs efforts, refusèrent de travailler pour lui; mais bientôt ne recevant plus eux-mêmes la nourriture et la force qu’il leur distribuait, alanguis, épuisés, ils sentirent que la vie allait leur échapper, s’ils persistaient dans leur révolte. » La fable fut comprise, on traita.

Les sénateurs accordèrent que tous les esclaves pour dettes seraient affranchis, et les débiteurs insolvables libérés. Mais avant de rentrer dans la ville, le peuple voulut qu’on lui donnât des garanties que ces promesses seraient exécutées. On l’avait tant de fois trompé, qu’il craignait d’être encore dupe.

Le tribunat (493 av. J.C.)

Alors il fut convenu que les plébéiens auraient deux magistrats de leur ordre, chargés spécialement de venir en aide au débiteur maltraité, et d’empêcher qu’un plébéien put être emprisonné pour dettes sur la sentence des consuls. Ces magistrats reçurent le nom de TRIBUNS. Ils n’avaient aucun ornement sur leur costume, aucun signe extérieur qui les distinguât de la foule, mais leur personne était inviolable et sacrée. De plus, ils n’avaient qu’à dire le veto, pour suspendre les décisions du sénat et des magistrats. Représentants des pauvres, il leur était interdit de sortir de la ville pendant l’année de leur charge, et les portes de leur maison devaient rester ouvertes nuit et jour, afin qu’on pût toujours invoquer leur protection. Dès lors l’histoire intérieure de Rome ne sera plus que la lutte des plébéiens dirigés par leurs tribuns contre les patriciens qui ont à leur tête le sénat et les consuls.

La loi agraire de Spurius Cassius (486 av. J.C.)

Les terres enlevées par les légions aux peuples qu’elles avaient vaincus formaient ce qu’on appelait le domaine public du peuple romain. Pour tirer un revenu de ces terres le sénat les louait au plus offrant. C’étaient les riches, les patriciens qui les prenaient en ferme mais bientôt avec la connivence du sénat, le prix du fermage n’était plus payé et les terres publiques devenaient des propriétés particulières. Spurius Cassius, trois fois consul et triomphateur, voulut qu’une partie de ces terres fût partagée entre les nécessiteux et de plus que les fermiers payassent régulièrement la redevance pour ce qui leur serait laissé. C’est la première des lois agraires.

Mais cette usurpation des terres publiques était la principale source des fortunes patriciennes; les grands, menacés dans leurs intérêts, eurent recours contre Cassius à une tactique déloyale. Ils l’accusèrent d’aspirer à la royauté et le firent condamner à être battu de verges et frappé de la hache (486 av. J.C.).

Les Fabius au Crémère (477 av. J.C.)

La mort de Cassius était une défaite pour les plébéiens. Un grand désastre public fut pour eux l’occasion d’un succès. Les Fabius, contraints de s’exiler de Rome, étaient allés, au nombre de trois cent six, avec leurs quatre mille clients se poster en face des Veïens, sur les bords du fleuve Crémère, où ils soutinrent quelque temps avec leurs seules forces tout le poids de la guerre. Vainqueurs en plusieurs rencontres, ils se laissèrent à la fin attirer dans une embuscade, et périrent tous sans que le consul Menenius qui se trouvait dans le voisinage avec une armée, ne fît rien pour les sauver. Un seul Fabius, laissé à Rome à cause de son bas âge, empêcha l’extinction de cette illustre lignée.

Progrès de la puissance des Tribuns (477-471 av. J.C.)

Les tribuns profitèrent de la douleur publique pour accuser le consul de trahison, et celui-ci (Menenius), certain d’une condamnation, se laissa mourir de faim (476 av. J.C.). Dès lors les tribuns s’arrogèrent le droit de citer par-devant l’assemblée du peuple les consuls qui s’étaient montrés dans leur charge ennemis de la cause populaire. Cinq ans après, les plébéiens obtiennent encore que les assemblées par tribus, où la majorité leur appartenait, pourraient rendre des décrets, nommés plébiscites (471 av. J.C.). Ainsi ces hommes qui un siècle auparavant n’étaient rien dans la cité, ont maintenant des chefs, le droit de se réunir et celui de faire des lois.

Coriolan (490 av. J.C.)

Ces luttes domestiques étaient mêlées de guerres extérieures. La plus célèbre est l’invasion des Volsques sous la conduite de Coriolan. C’était un patricien nommé Marcius, et surnommé Coriolan, parce qu’il avait le premier franchi le mur au siège de Corioles. D’un courage héroïque, il était fait pour servir utilement son pays et il eût sans doute laissé une mémoire glorieuse s’il eût moins obéi aux conseils de la colère. Il croyait avoir mérité le consulat et le demanda. Le peuple irrité de sa hauteur refusa de l’élire. Il en fut vivement blessé, et une famine étant survenue, il engagea les sénateurs à ne distribuer aux plébéiens le blé que Gélon venait d’envoyer de Sicile à Rome, que s’ils renonçaient à leurs tribuns. Les tribuns entendirent ce conseil funeste et citèrent aussitôt leur ennemi par-devant le peuple. Ni les menaces, ni les prières des patriciens ne purent les fléchir. Coriolan fut condamné à l’exil.

Il se retira chez les Volsques. Tullius, chef de ce peuple, excita dans le coeur de l’exilé le désir de la vengeance. Il consentit à n’être que son lieutenant, et Coriolan marcha sur Rome à la tête des légions Volsques. Aucune armée, aucune place ne l’arrêta. Il vint jusqu’à cinq milles de la ville, ravageant les terres des plébéiens, mais épargnant à dessein celles des grands. En vain Rome essaya de le fléchir. Les plus vénérables des consulaires et les prêtres des dieux n’obtinrent qu’une dure réponse. Il céda pourtant aux larmes de sa mère Véturia (490 av. J.C.). Les Volsques regagnèrent leurs villes chargés de butin mais ils ne pardonnèrent pas à Coriolan de s’être arrêté au milieu de sa vengeance, et ils le condamnèrent à mort. Suivant d’autres, il aurait vécu jusqu’à un âge avancé, en répétant : « L’exil est bien dur pour un vieillard. »

Cincinnatus (460-430 av. J.C.)

Un autre personnage fameux de ces temps reculés n’est du moins célèbre que par ses services. Le consul Minucius s’était laissé bloquer par les Eques. Dans ce péril public on nomma dictateur Cincinnatus. Les députés que le sénat lui adressa le trouvèrent à la charrue. Ils l’abordent, et lui annoncent qu’ils viennent à lui de la part du sénat. « La République serait-elle donc en danger? » s’écrie-t-il, et il entre aussitôt dans sa cabane pour changer sa tunique de laboureur contre la toge du citoyen. Alors les députés le saluent maître du peuple. Le même jour, il marcha aux Eques, réussit, par d’habiles manoeuvres, à les enfermer eux-mêmes et les fit passer sous le joug. Rentré à Rome en triomphe, suivi de l’armée et du consul qu’il avait délivré, il déposa le seizième jour la dictature pour retourner à son champ (457 av. J.C.).