Les formes de procédure

Devant l’assemblée du peuple

Depuis l’établissement des tribunaux permanents, nous n’avons qu’un seul exemple de jugement porté par le peuple, dans les comices par tribus: c’est la condamnation de Cicéron à l’exil. Condamnation illégale, car c’était dans les comices par centuries que ces sortes de causes devaient se débattre.

La citation devant les comices par centuries ne pouvait se faire que par les magistrats supérieurs. Cependant ils pouvaient déléguer ce droit aux tribuns et aux questeurs.

La citation avait lieu au Forum. Si l’affaire était capitale, l’accusé devait fournir des répondants (vades); s’il s’agissait d’une amende, il donnait des cautions (praodes).

Le jour de l’assignation arrivé, si l’accusé ne comparaissait pas, on jugeait les motifs de son absence: tantôt c’était une maladie, tantôt les funérailles d’un parent. Souvent même il prévenait la peine par un exil volontaire. Dans ce cas, comme dans celui d’absence illégitime, on prononçait le jugement dans le sens de l’accusation.

Quelquefois un mauvais présage suffisait pour faire remettre la cause.

Si l’accusé comparaissait, l’accusateur lisait son accusation à la tribune, et elle restait affichée au Forum pendant trois marchés consécutifs.

Puis venait le jour du jugement. L’accusateur alors reproduisait à la tribune les griefs avancés.

L’accusé se défendait immédiatement, soit par lui-même, soit par l’organe d’un orateur. La multitude des juges, la composition du tribunal ne permettaient pas, comme on le pense bien, une discussion approfondie. Le plaidoyer n’était guère qu’une déclamation qu’on avait soin de rendre le plus pathétique possible. En même-temps on s’occupait de parler aux yeux: l’accusé et sa famille, ses clients, vêtus de deuil, s’humiliaient et se lamentaient devant le peuple souverain.

La cause entendue, ou plutôt le spectacle terminé, on indiquait le jour des comices. Ce jour venu, les centuries se formaient au Champ-de-Mars, sous la présidence d’un des grands magistrats. Comme l’accusé restait libre jusque-là, il était bien rare que, dans la prévision d’un arrêt sévère, il ne s’exilât pas volontairement avant le jour fatal. Dans ce cas, l’assemblée se formait par tribus, et prononçait la confiscation des biens, en confirmant la peine de l’exil, à laquelle l’accusé s’était condamné lui-même. Si, au contraire, il assistait aux comices, le magistrat, président, recueillait les suffrages des centuries, et publiait l’arrêt, qui s’exécutait sur le champ.

Devant les tribunaux criminels

Pour les crimes que nous avons spécifiés, il n’était pas permis à tout le monde indistinctement de se porter accusateur. D’abord il fallait être citoyen romain, ou municipe. Les sujets des provinces ne pouvaient poursuivre que par l’entremise d’un citoyen. Puis le questeur ne pouvait accuser son proconsul, l’affranchi celui qui l’avait fait libre, à plus forte raison le client son patron. Bien plus, on n’admettait pour une cause qu’un seul accusateur: s’il s’en présentait plusieurs, ils plaidaient entre eux pour savoir qui accuserait: on appelait cela plaider de divinatione.

L’accusation était alors formulée, et portée sur le registre du préteur, qui faisait prêter à l’accusateur le serment de calomnie (juramentum calumniae), par lequel il jurait que la vérité seule dirigeait ses poursuites.

Le préteur ajournait alors à dix ou à trente jours, quelquefois à un terme plus éloigné, surtout quand il s’agissait de concussion, car la production des pièces de la défense pouvait, vu l’éloignement des provinces, exiger de longs délais.

Dès lors l’accusé prenait des vêtements négligés, en faisait prendre à ses amis, à ses clients, et laissait croître sa barbe et ses cheveux, tout en s’occupant du soin beaucoup plus important de se procurer des avocats; le nombre toléré pour ces derniers, tant en faveur de l’attaque qu’en faveur de la défense, était ordinairement de quatre.

Au jour marqué, les juges, tirés au sort, siégeaient au-dessous du préteur dans une des basiliques qui entouraient le Forum. Le tribunal formait un hémicycle dont la chaise curule du préteur, surmontée d’une pique (hasta), occupait le milieu.

La cause appelée, si l’accusé ne comparaissait pas, il était jugé dans le sens de l’accusation.

S’il était présent, les avocats de l’accusateur produisaient les preuves. Il y en avait de trois sortes :

1° les dépositions des témoins;

2° les confessions des esclaves, confessions qui s’obtenaient par la torture;

3° les pièces écrites (tabulae). Après cette production de preuves, venaient les plaidoyers de l’accusation.

Alors on accordait quelques jours à la disposition de la défense. Pendant cet intervalle, l’accusé avait la faculté de mettre en avant une autre sorte d’avocats, qu’on appelait laudatores, panégyristes. C’étaient, en général, des personnages éminents qui, sans toucher au fond de la cause, récitaient en public l’éloge de l’accusé, rappelaient ses services, et cherchaient à intéresser l’opinion en sa faveur.

Puis, au jour marqué, venaient les plaidoyers de la défense.

Quand tout était dit, un huissier prononçait ledixerunt, et le préteur recueillait les suffrages.

Ces suffrages, écrits sur des bulletins, étaient déposés dans une urne. Leur forme était fort simple. L’acquittement s’exprimait par un A (absblvo); la condamnation par un C (condemno); enfin, l’irrésolution par deux lettres N. L. (non liquet, ce n’est pas clair).

Si ces derniers bulletins étaient en majorité, le préteur remettait la cause, en ordonnant un plus ample informé (ampliatio).

Si la pluralité des voix acquittait ou condamnait, le préteur prononçait l’arrêt sur-le-champ, mais toujours avec cette formule pleine de réserve, et qui supposait le droit d’appel : il parait que… (videtur…).

La même forme était employée dans le prononcé de la peine : il parait avoir mérité la mort… il parait qu’il faut lui interdire l’eau et le feu, etc.

Remarquons aussi que, dans le cas d’une peine capitale, le préteur, avant d’énoncer l’arrêt fatal, se dépouillait de sa toge prétexte.

Si l’appel au peuple n’avait pas lieu, la sentence s’exécutait.

Devant les tribunaux civils

Le préteur, dans son édit, réglait l’ordre qu’on suivrait pendant l’année pour la distribution des matières judiciaires.

Tous les jours n’étaient pas consacrés aux affaires: ceux pendant lesquels le préteur pouvait donner audience, et prononcer les trois mots sacramentels de sa fonction, do, dico, addico, s’appelaient jours fastes (dies fasti).

Les autres, et ils étaient nombreux, consacrés à quelque cérémonie religieuse, étaient nommés jours néfastes (nefasti).

Les affaires étaient suspendues aussi pendant les jours qu’on appelait atri, noirs, anniversaires de quelque grand désastre.

Enfin, il y avait des jours nommés intercisi, entrecoupés, parce qu’une moitié de la journée était faste, et l’autre moitié néfaste. Les pontifes firent très longtemps un grand mystère de tous ces jours, afin de rendre leur science indispensable.

On appelait quelqu’un en justice en le conduisant devant le tribunal du préteur. S’il refusait de s’y rendre, le demandeur commençait par se procurer des témoins de ce refus, en touchant le bout de l’oreille de toutes les personnes présentes. La loi des Douze Tables, sévère en tout, autorisait à l’y traîner de force, en lui entortillant le cou dans un pan de sa toge.

Arrivé devant le préteur, le demandeur faisait sa déclaration, et le défendeur demandait ou désignait un avocat pour plaider sa cause. Dès lors, il devait donner des répondants (vades). Le répondant s’engageait, dans le cas où l’inculpé ferait défaut, à payer la somme, montant ou équivalant de la plainte. Le préteur alors assignait les parties à jour fixe, toutefois après que chacune d’elles avait consigné une certaine somme, qu’on appelait sacramentum, et que devait retirer celui qui gagnerait sa cause.

Au jour fixé, l’appel de la cause fait, le demandeur exposait sa plainte, en se renfermant nécessairement dans le texte des formules prescrites. Puis, après avoir, comme au criminel, prêté le serment de calomnie (Juramentum calumniae), les deux plaideurs présentaient successivement leurs griefs et leurs moyens de défense. Cet exposé sommaire s’appelait causae conjectio. Après quoi l’affaire était renvoyée au surlendemain (comperendinatio) pour les plaidoyers des avocats et le prononcé du jugement.

A cette première audience, comme à l’audience définitive, celle des parties qui faisait défaut perdait sa cause, et était condamnée.

On doit penser que toutes les causes ne se jugeaient pas avec cette promptitude. Celles surtout que le préteur était obligé d’instruire lui-même, assisté des décemvirs, à plus forte raison celles qu’il devait porter au conseil des centumvirs, exigeaient plus de temps, entraînaient plus d’appareil. Mais ces grandes affaires étaient assez rares. Le plus souvent l’action du préteur se bornait à donner aux parties, comme nous l’avons dit plus haut, un juge choisi (selectus), des arbitres, ou des récupérateurs. Si la cause ne présentait qu’une question de fait, explicitement résolue par une loi, on l’appelait res strictijuris. Elle était au contraire question de bonne foi (bonae fidei), si elle laissait latitude aux interprétations. Dans ces deux cas, le juge choisi, si les lumières lui manquaient, pouvait se faire assister d’un jurisconsulte.