Les guerres de Messénie (743-668 av. J.C.)

Première guerre de Messénie (743-723 av. J.C.)

Causes de la guerre (743 av. J.C.)

Une montagne, le Taygète, sépare la Laconie d’un pays bien plus riche, la Messénie. Les Spartiates et les Messéniens étaient de même lignée, Doriens; mais des violences commises de part et d’autre le long des frontières, les rendirent ennemis irréconciliables. En 743 avant J.C., les Lacédémoniens s’emparèrent d’Amphée par surprise, et la guerre commença. Le récit que les anciens nous en ont laissé est encore bien mêlé de fictions et de légendes merveilleuses.

Siège d’Ithome

Les Messéniens, qui n’étaient pas soumis à la rude discipline des Spartiates, ne purent tenir contre eux la campagne. Ils furent peu à peu contraints d’abandonner leurs villes et de s’enfermer dans la forteresse d’Ithome (Ithômé ou Ithôme), qui, placée sur une montagne, semblait inaccessible.

Aristodémos immole sa fille (744-724 ou 736-716 ou 714 av. J.C. selon les sources)

Cependant ils envoyèrent consulter l’oracle qui répondit : « Choisissez par le sort une jeune vierge pure, du sang d’Epytos, et immolez-la pendant la nuit aux divinités infernales. » Le sort désigna la fille de Lyciscos. Son père, pour la sauver de ce terrible destin, s’enfuit avec elle à Sparte. Le peuple était consterné. Aristodémos (Aristodème), un des Epytides, homme puissant et guerrier illustre, offrit volontairement sa propre fille; mais, elle était déjà fiancée à un Messénien. Pour la sauver, le jeune homme prétendit que lui seul maintenant, et non pas son père, avait le droit de disposer d’elle, et que, d’ailleurs, elle ne pouvait satisfaire à l’oracle, puisqu’elle était épouse et mère. Aristodémos, furieux de cette opposition outrageante, tue sa fille; et le peuple, persuadé que l’affreux sacrifice allait apaiser la colère du dieu, célébra par de joyeux festins sa réconciliation avec le ciel. Les Spartiates le crurent aussi, et la guerre fut pendant quelques années suspendue.

Mort d’Aristodémos (744-724 ou 736-716 ou 714 av. J.C. selon les sources)

Quand elle recommença, le roi Euphaës fut tué, et Aristodémos fut élu roi à sa place. Quoique les devins eussent averti le peuple de se défier d’un homme qui porterait sur le trône une tâche sanglante, leurs craintes ne se réalisèrent pas d’abord. Les Spartiates furent plusieurs fois vaincus; mais bientôt des signes menaçants se montrèrent. Un songe acheva de jeter l’effroi dans l’âme d’Aristodémos. ll se voyait couvert de ses armes et prêt à marcher au combat; devant lui, sur une table, étaient les entrailles des victimes, quand sa fille apparut vêtue d’une robe noire et lui montrant du doigt sa poitrine entr’ouverte. Elle renversa ce qui était sur la table, arracha les armes des mains de son père, et, en échange, lui donna le long habit blanc et la couronne d’or dont les Messéniens paraient les morts illustres au jour des funérailles. Ce songe était un signe que sa fin approchait. Aristodémos réalisa lui-même le présage en se tuant sur le tombeau de sa fille.

Seconde guerre de Messénie (685-668 av. J.C.)

Soumission de la Messénie (724-685 av. J.C.)

Après lui, Ithome tomba, et les Messéniens ne gardèrent leur pays qu’à la condition d’envoyer aux Spartiates la moitié de leurs moissons, et de venir tous à Sparte, hommes et femmes, vêtus de robes noires, pour assister aux funérailles des rois et des grands. On les forçait de pleurer la mort de leurs oppresseurs.

Révolte des Messéniens (685 av. J.C.)

Une génération avait déjà vécu dans la tristesse et l’opprobre, quand un jeune héros, Aristoménès, se leva. Il entraîna tout son peuple, et les Spartiates eurent la Messénie à reconquérir. Aristoménès n’attendit pas qu’ils vinssent l’attaquer. Un jour, il partit seul, traversa les montagnes, entra de nuit dans Lacédémone, et suspendit au temple de Minerve Chalcioecos un bouclier avec cette inscription : « Aristoménès à Minerve, des dépouilles des Lacédémoniens ».

Tyrtée (685-668 av. J.C.)

Sparte, effrayée, consulta l’oracle de Delphes. Le dieu répondit qu’elle devait demander un chef aux Athéniens. Athènes ne voulait pas concourir à la grandeur de Sparte, et n’osait résister aux ordres d’Apollon. Pour obéir, elle envoya à Lacédémone un maître d’école boiteux, Tyrtée, qui passait pour fou. Mais ce fou était un poète; il chanta, et sa poésie ranima tous les courages:

« Il est beau pour un brave de tomber aux premiers rangs de bataille et de mourir en défendant sa patrie. Mais il n’est pas de plus lamentable destin que d’abandonner sa ville, ses fertiles campagnes, et d’aller mendier par le monde, en traînant après soi sa mère, son vieux père et ses petits-enfants ».


« Combattez donc avec courage pour cette terre, jeunes guerriers, et n’abandonnez pas vos aînés, ces vieux soldats dont les jambes ne sont plus légères : car c’est chose honteuse de voir étendu sur la terre, en avant des jeunes hommes, un brave dont la tête est blanchie déjà, et qui exhale dans la poussière son âme généreuse, en retenant de la main ses entrailles sanglantes. Mais à la jeunesse tout sied : tant que le guerrier a cette noble fleur de l’âge, on l’admire, on l’aime, et il est beau encore quand il tombe aux premiers rangs de bataille' ».

Exploits d’Aristoménès (vers 684 av. J.C.)

Ces brûlantes paroles valaient mieux que la froide expérience d’un chef habile. Cependant, dans la plaine de Stényclaros, la bouillante valeur d’Aristoménès donna la victoire aux Messéniens. Au retour, les femmes jetaient des fleurs sur son passage et chantaient: « A travers les champs de Stényclaros, et jusque sur le sommet de la montagne, Aristoménès a poursuivi les Lacédémoniens. »

Il aimait les courses aventureuses. Un jour, il tomba entre les mains de sept Crétois au service de Sparte; ils s’arrêtèrent sur la route, dans une maison, pour y passer la nuit. Là habitait une jeune fille qui, la nuit précédente, avait rêvé qu’elle délivrait un lion que des loups amenaient enchaîné. Frappée de cette rencontre, elle comprend qu’Aristoménès est le lion de son rêve, que les loups sont ses indignes gardiens. Elle enivre ceux-ci, et détache les liens du héros; il tue les Crétois, et donne la jeune fille pour épouse à un de ses fils.

Siège d’Ira (682-671 av. J.C.)

Cependant, vaincu par la trahison du roi des Arcadiens, Aristoménès fut contraint de se retirer sur le mont Ira. Il s’y défendit onze années en sortant souvent et portant encore le ravage et la terreur jusqu’au milieu de la Laconie.

Arlstoménès précipité dans la Céada (671 av. J.C.)

Dans une de ces expéditions, il fut enveloppé tout d’un coup par les Spartiates. Frappé d’une pierre à la tête, il tomba évanoui et fut pris avec 50 de ses compagnons. On le précipita dans la Céada, gouffre où l’on jetait les malfaiteurs. Les autres Messéniens périrent brisés. Mais quand vint le tour d’Aristoménès, un aigle, dit la légende que nous abrégeons, le soutint dans sa chute sur ses ailes étendues, de sorte qu’il arriva au fond sans blessure. Pendant trois jours, il resta dans le gouffre, enveloppé dans son manteau, et attendant la mort. Au bout de ce temps, il entendit un léger bruit; il se découvrit la tête, et, comme ses yeux étaient habitués à l’obscurité, il vit un renard qui mangeait les cadavres. lmaginant bien que cet animal avait pénétré jusque-là par quelque issue secrète, il le laisse approcher, le saisit d’une main; de l’autre, chaque fois que le renard se retourne, il lui présente son manteau à mordre, le suit ainsi, et arrive jusqu’à un trou qui laisse passer une faible lueur; il le lâche alors, élargit l’ouverture avec ses mains, s’échappe et retourne à Ira.

Prise d’Ira (668 av. J.C.)

Aristoménès recommença aussitôt ses courses, tailla en pièces plusieurs troupes ennemies, et offrit pour la troisième fois à Jupiter Ithoméen le sacrifice appelé hécatomphonie, parce qu’il était réservé au guerrier qui avait tué de sa main cent ennemis. Cependant le temps marqué pour la prise d’lra approchait. L’oracle avait dit: « Lorsqu’un bouc boira dans la tortueuse Néda, je ne défendrai plus les Messéniens ». La Néda est une rivière voisine d’lra. Pour empêcher la menace de l’oracle de s’accomplir, on en écartait avec soin tous les boucs. Mais il y avait dans le pays une espèce de figuier sauvage qu’on appelait aussi le bouc. Il arriva qu’un de ces figuiers poussa horizontalement sur les bords de la rivière, de telle sorte que l’extrémité des branches s’y baignait. L’oracle était accompli : le bouc avait bu dans la Néda.

Quelque temps après, par une nuit sombre, comme la pluie tombait à torrents, et qu’il n’y avait pas sur les remparts d’lra d’abri où les gardes pussent se mettre à couvert, tous se retirèrent pour attendre que l’orage eût cessé. Un esclave, transfuge des Lacédémoniens, s’en aperçut, et, saisissant cette occasion de rentrer en grâce auprès de ses anciens maîtres, courut l’annoncer au camp des Spartiates. Ils se mirent aussitôt en marche. Le bruit de leurs pas étant couvert par celui du tonnerre et de la pluie, ils arrivèrent, sans être reconnus, jusqu’au milieu de la ville. Pourtant les Messéniens tinrent trois jours encore, se défendant de maison en maison. Lorsque enfin il n’y eut plus d’espoir, Aristoménès, plaçant au milieu de ce qui lui restait de guerriers les vieillards, les femmes et les enfants, sortit d’lra, et les Lacédémoniens respectant leur malheur ou redoutant un dernier effort de courage n’inquiétèrent pas leur retraite (668 av. J.C.).

Dispersion des Messéniens (vers 668 av. J.C.)

De ce jour, les Messéniens cessèrent de former un peuple et vécurent dispersés au milieu des Grecs. Quelques-uns passèrent en Italie et plus tard fondèrent en Sicile la ville qui porte encore leur nom, Messine.

Haine persévérante des Messéniens contre Sparte (vers 668 av. J.C.)

Aristoménès se trouvait un jour à Delphes quand un roi de l’île de Rhodes vint consulter l’oracle sur le choix d’une femme. La Pythie lui ayant dit d’épouser la fille du plus vaillant des Grecs, il pensa qu’il n’y avait personne qu’on pût comparer pour la bravoure à Aristoménès, et il lui demanda à devenir son gendre. Le héros se rendit avec lui dans l’îe de Rhodes. Il y emporta sa haine contre Sparte, et il cherchait encore quels ennemis il pourrait soulever contre elle, quand la mort vint le condamner à l’éternel repos. Son peuple fut comme lui fidèle au souvenir de la patrie perdue, et jamais ne se réconcilia avec ceux qui lui avaient injustement ravi le foyer domestique, les tombeaux des aïeux et la liberté. Tous les ennemis de Sparte, Athènes, Epaminondas les trouvèrent prêts, partout et toujours à combattre contre elle; et quand il n’y avait plus de Sparte, quand il n’y avait plus de Grèce, les derniers des Messéniens chantaient encore, neuf siècles après la chute d’Ira: « A travers les champs de Stényclaros, et jusque sur le sommet de la montagne, Aristoménès a poursuivi les Lacédémoniens. »

Puissance de Sparte au VIième siècle av. J.C.

De quelques fictions qu’on ait embelli le récit de ces guerres, le résultat n’en est pas moins certain. Sparte possédait les deux tiers du Péloponnèse. Des guerres heureuses contre les Arcadiens de Tégée et contre les Argiens étendirent son influence sur le reste. Sa renommée alla bien plus loin que sa puissance. Même en Asie, on connut son nom, et Crésus rechercha l’alliance de ceux qu’il appelait le premier peuple de la Grèce. Des moeurs austères, la rude discipline à laquelle il s’était soumis, de belles qualités militaires, et un ardent patriotisme l’avaient élevé à ce haut point de grandeur.