Philippe (359-336 av. J.C.)

Epuisement général en Grèce (359 av. J.C.)

Athènes avait été ruinée par Sparte; Sparte par Thèbes, et Thèbes par elle-même, s’étant consumée dans l’effort qu’elle avait fait pour saisir la prépondérance; de sorte qu’il ne restait plus en Grèce de peuple fort. Un homme vint alors qui essaya d’élever son pouvoir sur tous ces débris, et son peuple au-dessus de tous ces peuples : c’est Philippe de Macédoine.

Etat misérable de la Macédoine avant Philippe (359 av. J.C.)

La Macédoine, vaste région au Nord de la Thessalie et de la mer Egée, avait eu de bonne heure des rois, qui, entourés par des peuples barbares et guerriers, n’avaient jamais joué un rôle remarquable. Un d’eux, Alexandre, avait paru dans les guerres médiques, comme allié contraint de Xerxès, et, en donnant aux Grecs d’utiles avis, il avait obtenu d’eux d’être reconnu comme descendant des princes argiens et d’Hercule. Dans les dernières années, la Macédoine était tombée dans le chaos. Quatre rois venaient de s’y succéder en onze ans, et il avait fallu subir la honte de payer un tribut aux Illyriens. Thèbes, Athènes intervenaient sans cesse et ne faisaient qu’augmenter la confusion.

Philippe se fait déclarer roi (359 av. J.C.)

Pélopidas avait emmené à Thèbes, en 367 av. J.C., un des jeunes princes macédoniens, Philippe. Celui-ci, élevé dans la maison d’Epaminondas, vit ce que pouvait le génie d’un homme pour la grandeur d’une nation. Cet exemple ne fut pas perdu pour lui. A l’avènement du jeune Amyntas IV, son neveu, il s’échappa de Thèbes et vint saisir, avec le titre de régent, les rênes du gouvernement (359 av. J.C.). Il avait alors 23 ans.

Philippe rétablit l’ordre à l’intérieur (359 av. J.C.)

Des barbares, les Péoniens, désolaient le royaume; deux compétiteurs se disputaient la couronne. Philippe bat les uns, chasse les autres, et, oubliant son pupille, se fait décerner le titre de roi. Tout cela fut l’affaire de moins de deux années.

La phalange (359 av. J.C.)

La longue faiblesse de la Macédoine tenait à l’esprit anarchique de la noblesse et à l’absence de toute organisation militaire. Philippe plia les grands à l’obéissance et se fit donner des otages de leur fidélité, en retenant leurs enfants près de lui par un service d’honneur. Quant à l’armée, il la gagna en lui donnant ce que le soldat souhaite avidement, de la gloire et du butin, puis il la soumit à la plus rigoureuse discipline. Se souvenant du bataillon sacré des Thébains, il organisa la phalange de telle sorte qu’avant la légion romaine l’antiquité ne connut pas de plus terrible instrument de guerre. Les soldats y étaient placés sur seize files de profondeur, serrés les uns contre les autres, couverts de fortes armures, portant une épée et la sarisse, longue pique de sept mètres, dont la pointe acérée protégeait l’homme du premier rang, à six mètres en avant de sa poitrine, de sorte que l’homme du second rang portait encore sa lance à cinq mètres en avant du premier phalangiste, celui du troisième à quatre, et ainsi de suite jusqu’au soldat de la sixième file, dont la lance dépassait encore d’un mètre le front de la phalange. C’était donc bien, comme dit Plutarque, une bête monstrueuse et hérissée de fer. Sur un terrain de niveau, rien ne pouvait lui résister.

Conquêtes autour de la macédoine (359-352 av. J.C.)

La Macédoine était délivrée, maintenant Philippe veut l’agrandir. Les colonies grecques établies sur ses côtes l’empêchent de toucher à la mer et d’avoir une marine; il les prendra les unes après les autres. D’abord il enlève Amphipolis (358 av. J.C.), qu’Athènes, trompée par de perfides promesses, ne peut secourir, puis Potidée (357 av. J.C.), et tout le pays, entre le Nestos et le Strymon. Il trouve là des bois de construction pour la marine et les mines d’or du mont Pangée, qui lui fournissent un revenu annuel de 1000 talents. Il pousse même plus avant, pénètre en Thrace, où il soumet plusieurs peuplades, et songe déjà à mettre la main sur Byzance.

Intervention de Philippe en Grèce; la guerre sacrée (352 av. J.C.)

Pour accomplir ses projets dans la Chalcidique et la Thrace, il a besoin de n’être pas troublé par Athènes, dont la marine et l’activité sont encore à craindre. Il attire donc son attention d’un autre côté en se mêlant aux affaires de la Thessalie et à la guerre sacrée. Le conseil amphictyonique venait de condamner les Phocidiens pour avoir labouré un champ consacré à Apollon. Ils avaient répondu à cette sentence en pillant le trésor de Delphes et en commençant (357 av. J.C.) contre les Thébains et les Locriens une guerre qui dura onze années, au grand scandale de la Grèce, mais au grand profit de Philippe. Une invasion de ce peuple en Thessalie lui permet en effet d’entrer lui-même dans cette province. Il y remporte sur eux une victoire décisive (352 av. J.C.) et apparaît alors comme le vengeur des dieux offensés par le sacrilège des Phocidiens. La reconnaissance des Thessaliens lui ouvre trois de leurs villes, ou il met garnison; la Thessalie n’est bientôt plus qu’une province macédonienne. Il veut aller plus loin et s’emparer des Thermopyles; mais les Athéniens, par leur vigilance, déconcertent une première fois ce projet, comme ils avaient déjà déconcerté une tentative sur Byzance et une autre sur l’Eubée. La première Philippique de Démosthène est de cette année (352 av. J.C.).

Démosthène (352 av. J.C.)

Seuls alors, en effet, les Athéniens veillaient pour la Grèce, guidés par un grand citoyen, Démosthène, le prince des orateurs grecs. Son père était un armurier qui possédait un grand atelier et de nombreux esclaves, mais il fut orphelin de bonne heure. Ses tuteurs le dépouillèrent d’une partie de son bien et ne firent même pas les frais de son éducation. Il s’attacha à l’orateur Isée, dont l’éloquence convenait à son génie. Dès qu’il fut en âge, il plaida lui-même contre ses tuteurs et les fit condamner à restitution (366 av. J.C.). Ses débuts à la tribune furent malheureux. Ses longues phrases, son style tourmenté, sa voix faible, son haleine courte, soulevèrent les rires. Le comédien Satyros releva son courage en lui montrant que le mal était surtout dans son débit. Dès lors, Démosthène s’appliqua, avec une indomptable opiniâtreté, à vaincre ces difficultés naturelles. Plutarque raconte qu’il se fit construire un cabinet souterrain : il y descendait tous les jours pour y façonner son geste et sa voix; souvent il s’y confinait deux ou trois mois de suite, la tête à demi rasée, afin de résister, par la honte, aux plus vives tentations de sortir. D’autres fois, il montait d’une course rapide une montagne, en récitant des vers à haute voix; ou bien, sur le bord de la mer, la bouche à demi remplie de petits cailloux, pour forcer sa langue à se délier, il luttait de la voix avec le fracas des vagues. On pense bien qu’après de tels efforts et pour un tel homme, les orages de la place Publique n’étaient plus redoutables.

Dès que Démosthène put se mêler aux affaires de l’Etat, l’ambition du roi de Macédoine fut sa constante préoccupation. Il devint l’âme de ce parti généreux qui voulait l’indépendance d’Athènes et de la Grèce, et qu’on a condamné comme s’étant voué à une oeuvre impossible et mauvaise. L’oeuvre était grande, et peu s’en fallut qu’elle ne se réalisât. Les succès de Philippe ont conduit Alexandre à la conquête de l’Orient. La civilisation du monde a gagné au contact des deux civilisations grecque et asiatique. Mais la vie se déplaça; d’Athènes, elle passa à Rhodes, à Pergame, à Alexandrie, et le résultat de la domination macédonienne fut la mort de la Grèce d’Europe. L’éternel honneur de Démosthène a été de voir que cette puissance, qui se levait au Nord, allait tuer sa patrie, et d’avoir donné son génie, sa vie pour la sauver.

Philippe maître des Thermopyles (346 av. J.C.)

Il n’y réussit pas. En vain déploya-t-il toutes les ressources de sa nerveuse éloquence pour dévoiler sans relâche les ambitieux desseins du roi de Macédoine. Ses Philippiques, ses Olynthiennes ne purent déjouer la ruse aidée de la force. Olynthe, qu’il avait voulu sauver, tomba, et avec elle la barrière qui gênait le plus la Macédoine (348 av. J.C.). Athènes, menacée maintenant dans l’Eubée et jusque dans l’Attique où un débarquement de troupes macédoniennes vint renverser les trophées de Marathon et de Salamine, signa une paix conseillée par Démosthène lui-même. Pendant qu’Athènes, sur la foi de ce traité, s’abandonne aux fêtes, Philippe franchit les Thermopyles, accable les Phocidiens et se fait donner la voix qu’ils avaient dans le conseil amphictyonique (346 av. J.C.).

Philippe étend sa domination jusqu’au Danube (342 av. J.C.)

Ce pas était décisif. Philippe, devenu membre du corps hellénique, pouvait faire parler le conseil des amphictyons selon ses intérêts. Toutefois, comme il savait attendre, il n’alla pas plus loin cette fois, et, pour éviter quelque désespoir dangereux, il tourna ses pas vers la Chersonèse de Thrace, où Phocion et une armée athénienne l’arrêtèrent encore, et vers le Danube qu’il donna pour borne à son royaume.

Bataille de Chéronée (338 av. J.C.)

Mais pendant qu’il était si loin des Thermopyles, ses agents travaillaient pour lui en Grèce, et l’orateur athénien Eschine lui faisait décerner le commandement d’une nouvelle guerre sacrée contre les Locriens, qui, eux aussi, avaient mis en culture un champ d’Apollon. Il passa alors une seconde fois les Thermopyles (338 av. J.C.) et s’empara d’Elatée. Aussitôt Démosthène éclate. Il réunit Athènes et Thèbes pour un suprême effort, mais la liberté grecque vient mourir à Chéronée (338 av. J.C.). Du moins Démosthène eut le droit de s’écrier : « Non, non, Athéniens, vous n’avez pas failli en vous exposant à la mort pour le salut de la Grèce! Non, j’en jure par vos ancêtres tombés à Marathon, à Salamine, à Platées!

Philippe généralissime des Grecs contre les Perses (337 av. J.C.)

Philippe s’honora par la modération dont il usa envers les vaincus; et, pour légitimer sa domination sur la Grèce, il se fit nommer par les amphictyons généralissime des Grecs contre les Perses. Il allait recommencer l’expédition d’Agésilas, mais avec de bien autres ressources. La Macédoine, en effet, était maintenant un puissant Etat, s’étendant des Thermopyles au Danube, et des bords de l’Adriatique jusqu’à la mer Noire. Son gouvernement intérieur, devenu absolu, ne redoutait ni troubles, ni prétendants au trône. La noblesse, cause de tous les désordres antérieurs, avait été gagnée par la gloire du monarque, par les honneurs et les commandements. La Macédoine, pour se faire puissance conquérante, s’était soumise à la discipline militaire.

Mort de Philippe (336 av. J.C.)

Mais Philippe fut arrêté par la mort au milieu de ses projets. Un noble macédonien, Pausanias, qui avait une injure personnelle à venger, l’assassinat, à l’instigation des Perses (336 av. J.C.). Il n’avait que 47 ans.

Platon, Aristote, Praxitèle (336 av. J.C.)

Des grands hommes avaient encore dans cette période ajouté au patrimoine de gloire que leurs prédécesseurs avaient formé. Praxitèle (360-280 av. J.C.), le plus gracieux des sculpteurs grecs, et le peintre Pamphile, qui fut le maître d’Apelles, avaient succédé à Phidias, à Polyclète et à Zeuxis. Pourtant déjà l’art fléchit : le goût est moins pur, le style moins sévère. On donne trop à la grâce, on parle plus aux yeux qu’à la pensée.

Si l’art montre quelques symptômes de défaillance, l’éloquence et la philosophie n’en ont pas. La tribune d’Athènes retentit des accents passionnés et virils de Démosthène, de Lycurgue, d’Hypéridès et d’Hégésippos. Eschine, le rival de Démosthène, y apporte le mouvement et l’éclat de sa parole; Phocion sa vertu, qui, pour l’orateur, est aussi une arme puissante.

Après la mort de Socrate, ses disciples s’étaient dispersés. Le plus illustre d’entre eux était cependant revenu dans Athènes : Platon enseignait dans les jardins d’Académos1.

Les Grecs, charmés par la grâce incomparable de son langage, contaient que son père était Apollon et qu’à son berceau les abeilles de l’Hymette avaient déposé leur miel sur ses lèvres.

Aristote, son élève, son rival, a fixé sur lui, par d’autres mérites, l’éternelle attention des hommes. Vaste et puissant génie, il voulut tout connaître, les lois de l’intelligence humaine, comme celles de la nature. La philosophie obéit encore à la double impulsion que lui ont imprimée ces deux grands esprits.

Xénophon, âme douce et conteur admirable, ne peut prendre place que bien loin d’eux.

1. Platon (429-347 av. J.C.) fut pendant dix ans l’élève de Socrate. A sa mort il quitta Athènes et voyage en Italie, en Egypte et en Sicile, où Denis le Tyran, irrité de sa franchise, le fit vendre comme esclave. Un philosophe de Cyrène le racheta. Il revint à Athènes et y ouvrit l’école appelée du lieu où il enseignait, l’Académie. Il a laissé un grand nombre de dialogues où il exposait les idées de Socrate et les siennes avec une grande élévation de pensée et souvent une pureté de morale qui lui ont valu le respect de la postérité.
Aristote (384-322 av. J.C.) fonda l’école du Lycée ou des Péripatéticiens, c’est-à-dire des promeneurs, parce que leur maître enseignait dans la promenade d’Athènes, qu’on appelait le Lycée, sur les bords de Illissos. Il était né à Stagire, dans la Chalcidique; il suivit longtemps les leçons de Platon, fut chargé par Philippe de l’éducation d’Alexandre, et, vers l’an 335 av. J.C., vint enseigner à Athènes, qu’il quitta vers 323 av. J.C. Il connaissait toutes les sciences de son temps et en a créé de nouvelles. Ses écrits, qui nous sont arrivés mutilés et incomplets, ont cependant, jusqu’au XVIième siècle de notre ère, satisfait à toutes les exigences de la science du moyen âge, et, si la science moderne est allée plus loin, c’est en suivant la voie qu’il avait ouverte, la méthode de recherches qu’il avait donnée.
Xénophon (445-355 av. J.C.), Athénien comme Platon, et comme lui disciple de Socrate; il fut un des principaux chefs des Dix mille, dont il a raconté la retraite; se lia avec Agésilas, roi de Sparte, qu’il suivit dans beaucoup d’expéditions, et fut à cause de cela banni d’Athènes. Comme historien, il est très inférieur à Thucydide dont il a continué l’histoire; comme philosophe, il est bien loin de Platon et d’Aristote, mais son Anabase, ou Retraite des Dix mille, ses Dits Mémorables et son Apologie de Socrate, ses livres d’instruction militaire, sont parmi les restes les plus précieux de l’antiquité. On a eu le tort de prendre pour un livre d’histoire son roman intitulé la Cyropédie.