Sparte et Lycurge (800-730 av. J.C.)

Les Spartiates (Xième – VIIIième siècle av. J.C.)

Les Doriens, qui s’étaient établis dans la Messénie et l’Argolide, en avaient chassé les habitants; ceux, au contraire, qui s’étaient fixés dans la Laconie avaient laissé les indigènes ou Laconiens vivre dans le pays qui leur avait appartenu, mais en les réduisant à la condition de sujets. Quelques-unes de ces peuplades laconiennes ayant voulu secouer le joug, furent vaincues et placées dans une condition plus dure, celle des Ilotes.

Il y eut alors trois sortes d’hommes dans la Laconie : les Doriens, ou les maîtres; les Laconiens, ou les sujets; les Ilotes, ou les esclaves.

Les Doriens, peu nombreux et entourés d’ennemis, se concentrèrent dans la capitale, Lacédémone ou Sparte, d’où leur nom de Spartiates. Ayant tout à craindre de la haine de leurs sujets et de leurs esclaves, ils furent obligés de se donner une sorte d’organisation militaire, et d’avoir toujours les armes à la main, comme une armée campée en pays ennemi. De là les lois singulières de Sparte. Lycurgue ne les inventa pas; il les trouva dans les usages, dans les moeurs de son peuple, et il se contenta de les coordonner en les précisant.

Lycurgue (800-730 av. J.C.)

Il y a sur Lycurgue bien des incertitudes. On croit qu’il naquit, dans le Xième siècle, du roi Eunomos. Sparte était alors déchiré par des dissensions intestines. Son père, en voulant séparer des gens qui se battaient, reçut un coup de couteau dont il mourut. Son frère aîné, Polydectès, eut de même une fin prématurée, et Lycurgue fut roi tant qu’on ignora qu’il avait laissé un fils. La reine, sa belle-soeur, lui offrit de faire périr l’enfant à condition qu’il l’épouserait. Il trompa ses désirs coupables et sauva le fils de son frère. Les grands, irrités de la sagesse de son administration pendant la minorité du jeune Charilaos, le forcèrent à s’exiler. Il voyagea longtemps pour converser avec les sages et étudier les coutumes des nations étrangères. Dans l’île de Crète, il se fit instruire par le poète Thalétas de toutes les lois de Minos; de l’Asie Mineure il n’emporta que les poésies d’Homère; mais les prêtres égyptiens le comptèrent parmi leurs disciples. Les Spartiates des derniers temps voulaient qu’il fût allé jusque dans l’lnde interroger l’antique sagesse des Brames.

A son retour, après une absence de 18 ans, Lycurgue trouva la ville pleine de troubles; le peuple sentait lui-même le besoin d’une réforme. Le moment était donc favorable. Afin d’ajouter à l’autorité de son nom celle d’Apollon Delphien, le dieu national des Doriens, il consulta l’oracle sur ses projets. La Pythie le salua du nom d’ami de Jupiter. Fort de cet appui, il fit accepter ses lois sans résistance.

Les lois politiques (800-730 av. J.C.)

Il conserva le partage de la royauté entre deux maisons royales qui prétendaient descendre d’Hercule. Ce partage était possible, car les rois spartiates avaient bien peu de pouvoir, seulement le soin de veiller à l’exécution des lois, quelques fonctions religieuses et le commandement des armées. Tout le gouvernement était aux mains du sénat, réunion de vingt-huit vieillards âgés d’au moins soixante ans. Les deux rois siégeaient avec eux. Une assemblée générale des citoyens, réunie chaque mois, à la nouvelle lune, votait les lois proposées par le sénat. Les éphores ou surveillants furent institués plus tard, et dans les derniers temps devinrent les vrais maîtres à Sparte, « jusqu’à forcer les rois », dit Polybe, « à les respecter comme leurs pères. » Les Laconiens n’avaient aucun droit politique; les Ilotes restaient esclaves.

Les lois civiles : égalité entre les Spartiates (800-730 av. J.C.)

Lycurgue s’était proposé d’établir la plus complète égalité entre les Spartiates. Pour y parvenir, il partagea toutes leurs terres en autant de lots qu’il y avait alors de citoyens : 9000; et il interdit que ces lots fussent jamais vendus, afin qu’aucun Spartiate ne perdit le sien, et que d’autres n’en acquissent plusieurs. Il voulait qu’il n’y eût dans sa cité ni pauvres ni riches.

Les repas communs (800-730 av. J.C.)

Dans cette même vue, il défendit le luxe, les arts, les lettres, le commerce, la monnaie d’or et d’argent, n’autorisant qu’une lourde monnaie de fer dont on ne pouvait transporter la plus petite somme que sur des chariots. Il institua les repas en commun, où régna toujours la plus stricte frugalité, et dont il ne fut permis à personne, pas même aux rois, de se dispenser. Leur mets favori était ce brouet noir, mélange grossier de sel, de vinaigre, de graisse de porc et de petits morceaux de viande, qui fit faire la grimace à Denys, tyran de Syracuse, un jour qu’il lui prit fantaisie d’y goûter. « C’est détestable! » s’écria-t-il. – « Il manque vraiment quelque chose », répondit le cuisinier. – « Et quoi donc? – De vous être baigné dans l’Eurotas ou d’avoir fait tous les exercices de la palestre. »

Les exercices militaires (800-730 av. J.C.)

Lycurgue obligea, en effet, tous les citoyens à des exercices continuels, car il ne proposait d’autre but à leur vie entière que de préparer et de fournir à la patrie de robustes défenseurs. Les voyants entourés d’ennemis, il voulait faire d’eux des soldats et il y réussit. Pour l’habileté à manier les armes, pour la force à supporter les fatigues, pour le courage à braver le péril et la mort, il n’y avait personne en Grèce qui pût le disputer à un Spartiate.

Education des enfants (800-730 av. J.C.)

Le même principe dirigea l’éducation des enfants, qui appartinrent bien plus à l’Etat qu’à leurs parents. L’enfant né difforme était mis à mort parce qu’il n’aurait pas pu faire un bon soldat. De violents exercices, imposés même aux filles, donnaient aux autres la force et la souplesse. Pas de chaussures; même vêtement, été comme hiver; pour lit, des roseaux coupés par eux-mêmes dans l’Eurotas; peu de nourriture, afin de les forcer à dérober par ruse et adresse de quoi satisfaire leur appétit.

Il est étrange de voir ainsi enseigner le vol; mais, à cause de la communauté qui unit les Spartiates, ce n’est pas véritablement un vol. Celui qui se laisse prendre est châtié, non comme coupable, mais comme maladroit. A la guerre ils se souviendront, pour dépister l’ennemi, des ruses qu’enfants ils auront pratiquées pour trouver leur nourriture. Un d’eux qui avait volé un jeune renard, voyant venir quelqu’un, le cacha sous sa robe, et aima mieux se laisser ronger le ventre et les entrailles, sans pousser un seul cri, que de se trahir.

Pour les endurcir à la souffrance, on les soumettait à de rudes épreuves; ils étaient battus de verges devant l’autel de Diane, et c’était à qui supporterait le mieux la douleur : on en vit expirer sous les coups, sans qu’un gémissement eût décelé leurs souffrances. A ces exercices il s’en mêlait d’une autre sorte: on leur apprenait à jouer de la flûte et de la lyre, à chanter des hymnes sacrés ou des poésies guerrières. Homère, Tyrtée et toute poésie virile qui élève et fortifie l’âme étaient fort en honneur; mais les vers d’Alcée, qui avait honteusement chanté sa fuite et son bouclier laissé à l’ennemi, étaient proscrits.

Après le dévouement à la patrie, et le mépris pour la douleur et la mort, la vertu qu’on leur enseignait le plus était le respect de la vieillesse. Rien n’était plus nécessaire dans une cité ou presque tous les magistrats étaient des vieillards, et où la loi, qui ne fut pas écrite, devait s’exprimer par la bouche, des anciens. Il leur semblait obéir aux dieux en honorant ceux que la divinité avait jugés dignes d’une longue vie. Un jour, au théâtre d’Athènes, un vieillard cherchait une place parmi la foule et parcourait les bancs, repoussé des uns, raillé des autres; des députés lacédémoniens l’aperçurent, et, se levant de leurs sièges, lui firent signe de venir prendre place au milieu d’eux : « Je vois bien », dit le vieillard, « que les Athéniens savent ce qui est beau; mais les Lacédémoniens seuls le pratiquent ».

Toutefois, un vieillard qui avait fui les charges de la paternité leur semblait moins digne de respect. Un jour, Dercillydas, général de grande réputation, se présente à une assemblée; un jeune Lacédémonien ne se lève pas à son approche, comme c’était l’usage; le vieux guerrier s’en étonne: « Tu n’as point d’enfant », dit le jeune homme, « qui puisse me rendre un jour le même honneur ». Personne ne le blâma.

A vingt ans, le jeune homme était admis dans l’armée et faisait le service soit à l’intérieur, soit au dehors. A trente, il devenait époux, et exerçait les droits de citoyen. A soixante, sa carrière militaire était finie, il s’occupait alors de l’administration des affaires publiques et de l’éducation des enfants.

Courage des Lacédémoniennes (800-730 av. J.C.)

La vie des jeunes Lacédémoniennes n’était guère moins dure, et cette éducation, qui les rendait saines et fortes, élevait leurs sentiments et leur courage. Elles n’avaient pas de faiblesses maternelles. « Il est bien court », disait un jeune soldat à sa mère, en lui montrant son glaive. « Fais un pas de plus », répond-elle. Une autre donnant le bouclier à son fils pour une expédition, lui dit : « Reviens dessus ou dessous », c’est-à-dire : Tue ou sois tué; mais pas de déshonneur; mieux vaut la mort.

Mépris pour les arts (800-730 av. J.C.)

Hormis la guerre et les exercices par lesquels il s’y prépare, les seules occupations du Spartiate sont la chasse et la conversation dans les lieux publics où il s’habitue à cette façon de parler brève et sentencieuse qu’on a appelé le laconisme. Une fois quitte de ses devoirs envers la patrie, comme il méprise l’industrie, le commerce et tout travail manuel, comme il ne se soucie de philosophie, de beaux-arts, ni de littérature, quoiqu’on lui apprenne quelques vers et un peu de musique, il jouit de cette oisiveté précieuse qui lui semble l’apanage de l’homme libre. On raconte qu’un Spartiate, se trouvant à Athènes, apprit qu’un citoyen de cette ville venait d’être condamné à l’amende pour cause d’oisiveté. Il s’étonna fort et demanda à voir celui qu’on punissait pour s’être conduit en homme, en méprisant les arts mécaniques et les travaux serviles qui, disait-il, s’ils donnent la richesse, avilissent !

Mais il faut bien convenir que cette oisiveté et cette uniformité de vie ne donnaient pas aux Spartiates l’esprit souple, ingénieux, hardi, plein de ressources, qui était le partage des Athéniens. lls étaient superstitieux à l’excès et s’embarrassaient pour peu de chose, cela se remarque même à la guerre : un siège, la mer, tout ce dont ils n’avaient pas l’habitude, les déroutait. A Platées, il leur fallut attendre les Athéniens pour forcer les retranchements de Mardonius; les sièges qu’ils entreprenaient avaient une durée homérique; ceux d’Ira et d’Ithome durèrent dix ans.

Hôtes (800-730 av. J.C.)

Ainsi Lycurgue avait voulu faire des Spartiates ce que leur position exigeait qu’ils fussent, un peuple de soldats. Le travail des mains fut laissé aux Ilotes, esclaves de l’Etat qui labouraient et moissonnaient pour leurs maîtres, quelquefois combattaient à côté d’eux, mais ne devaient se montrer ni trop braves, ni trop habiles, de peur d’exciter les soupçons et de s’exposer à quelque sanguinaire résolution du sénat. Un jour, 2000 d’entre eux furent gratifiés de la liberté, en récompense de leur courage; mais la nuit suivante ils disparurent: Sparte les avait immolés à ses craintes.

Mort de Lycurgue (730 av. J.C.)

Ce ne fut pas sans peine que Lycurgue parvint à établir sa constitution. Quand il voulut introduire la frugalité avec les repas en commun, les riches, habitués déjà au luxe et à la débauche, firent une sédition et voulurent le lapider; ils le poursuivirent jusque dans un temple et le blessèrent : il eut un oeil crevé. Le patriotisme pourtant et le sentiment des dangers que courait la cité, avec ces divisions, l’emportèrent : les lois furent acceptées.

On raconte qu’après les avoir vu adopter, il fit jurer aux rois, aux sénateurs, à tous les citoyens, de n’y rien changer jusqu’à son retour. Puis, s’éloignant, il alla consulter l’oracle d’Apollon. Le dieu répondit que Sparte effacerait la gloire de toute autre cité tant qu’elle conserverait ses lois. Lycurgue envoya cet oracle à Lacédémone, fit un nouveau sacrifice, embrassa ses amis et son fils, et, pour ne pas dégager ses concitoyens de leur serment, il se laissa mourir de faim.